Quand l’oxygène devient nuisible pour l’oreille

Les mécanismes menant à la dégénérescence neurale cochléaire sont encore obscurs. Une enzyme, NOX3, semble bien avoir sa part de responsabilité. Elle produit des dérivés actifs de l’oxygène qui favorisent les synaptopathies.

Par Bruno Scala
NOX3 ouverture1
Section de cochlée de souris montrant (en rouge) les sites d’expression de NOX3 dans la cochlée (CD : cellule de Dieter, CC : cellule de Claudius, CPhI : cellule phalangiale interne, PCE : pilier de Corti externe).

En présence de bruit intense ou d’une substance ototoxique, l’oreille suffoque. Elle produit une quantité importante de dérivés réactifs de l’oxygène (ou DRO, les radicaux libres). Ces déchets affectent le fonctionnement de l’organisme. On parle de stress oxydant. Dans l’oreille, les DRO sont suspectés d’entraîner des surdités, en endommageant les cellules sensorielles. On observe par ailleurs une augmentation lente de ces dérivés de l’oxygène dans l’oreille avec l’âge.

Le site de production de ces DRO n’est pas clairement défini. Une chose est sûre néanmoins, c’est que la NOX3 (pour NADPH oxydase), une enzyme exprimée presque exclusivement dans l’oreille et dans le vestibule, participe activement à leur synthèse. C'est ce qu’a montré l’équipe de Karl-Heinz Krause, à l’université de Genève [1]. Les auteurs émettaient alors l’hypothèse que les DRO produits par NOX3 causaient de troubles de l’audition.

Des sites de production dans la cochlée

L’équipe de Takehiko Ueyama, à l’université de Kobe (Japon), vient de confirmer cette hypothèse [2]. D’une part, elle a révélé que l’expression du gène codant NOX3 augmente dans plusieurs zones de la cochlée après une exposition au bruit, à du cisplatine, ou avec l’âge (photo ci-desus). D’autre part, elle a montré que des souris incapables de produire NOX3 étaient protégées des effets nocifs du bruit : le déclin des seuils aux ABR était moins important que chez les souris contrôle. La différence était notable sur les hautes fréquences.

Ces résultats confirment les conclusions d’autres travaux réalisés par l’équipe de Karl-Heinz Krause et Pascal Senn. Celle-ci a mis en évidence le mécanisme par lequel NOX3 est nocif pour l’oreille : les DRO que l’enzyme produit favorisent une cascade de réactions menant à l’excitotoxicité, à savoir l’explosion des rubans synaptiques des cellules ciliées internes, en raison de la trop forte concentration de glutamate [3]. Il s’agit donc d’un processus différent du stress oxydant – où les DRO endommagent eux-mêmes les cellules – appelé signalisation redox. « Cette signalisation redox sous contrôle de NOX3 participe donc à la synaptopathie auditive », explique Francis Rousset, qui a mené ces travaux. Synaptopathie qui constitue la première étape de plusieurs formes de surdités.

Thérapie en vue

Les DRO et NOX3 sont donc considérés comme des cibles thérapeutiques potentielles. « Étant donné la spécificité d’action des DRO, généralement produits à proximité de leur cible, et leur demi-vie extrêmement courte, les antioxydants se révèlent relativement inefficaces, précise néanmoins Francis Rousset. Nous ciblons donc l’activité de NOX3.

Pour cela, nous explorons deux axes. Le premier est dédié à l'identification d'inhibiteurs spécifiques de NOX3. Nous en avons identifié quelques-uns mais devons encore améliorer leur affinité pour NOX3 par chimie médicinale. Le second axe repose sur la thérapie génique. En collaboration avec la startup Antion Biosciences et à l’aide d’un gène de synthèse que nous avons récemment développé [4], nous tentons de bloquer la synthèse de NOX3 ou de gènes impliqués dans l’excitotoxicité. Ce type de traitement serait préventif aussi bien que curatif. En effet, nos travaux en cours montrent que les animaux déficients en NOX3 présentent une perte auditive similaire aux souris contrôle après 24 h, mais récupèrent presque intégralement après 7 jours. Ce qui ouvre une fenêtre clinique pour le traitement des traumatismes sonores. »

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