Quelle place pour le test ACT dans les pratiques de l'audioprothésiste ?

Le test ACT (Audible Contrast Threshold) permet de mesurer rapidement et simplement la gêne en milieu bruyant. Sa place dans la pratique courante de l'audioprothésiste est ici illustrée par une étude observationnelle et un cas clinique.

Par Julie Bestel, Martin Chavant et Éric Bougerolles
CouvAD Audilab

Les aides auditives actuelles sont équipées de systèmes permettant d’améliorer le rapport signal/bruit. Le bon dosage de ces traitements de signaux est important pour la bonne réussite de l’appareillage. Un sous-dosage entrainerait un manque de performance et un surdosage limiterait la perception de la scène sonore pour des patients en capacité de trier correctement l’information.

Puisque l’objectif premier de ces systèmes est d’améliorer le rapport signal/bruit (RSB), il est naturel de vouloir se baser sur une audiométrie vocale dans le bruit (AVB) pour les paramétrer. Les tests d’AVB normés en français (HINT, FraMatrix, VRB) utilisent des phrases comme signal de parole. Cette caractéristique les rend très écologiques pour mesurer la difficulté de compréhension dans le bruit, mais imprécis pour cibler les capacités à extraire les sources de parole présentes dans une situation bruyante. En effet, ces dernières se mélangent avec des capacités plus centrales comme la suppléance mentale ou la connaissance sémantique.

C’est dans l’optique de développer un test pré-prothétique, permettant de mesurer cette capacité d’extraction, que les centres de recherche d’Interacoustics et d’Oticon se sont associés pour créer ACT (Audible Contrast Threshold). Il s’agit d’un test simple et rapide, qui permet de mesurer le plus petit contraste détecté par le patient entre une modulation spectro-temporelle, aux caractéristiques auditives inhérentes à la parole, et un bruit masquant. Ce test tient compte de la perte d’audibilité et n’est pas dépendant des connaissances lexicales du patient.

Comme le score ACT reflète la difficulté du sujet à extraire un signal de parole d’un milieu bruyant, Oticon propose d’utiliser cette valeur pour ajuster la quantité de traitement de signal, dans son logiciel de programmation Genie.

Étude observationnelle

Afin d’explorer les scores ACT dans une large population, Audilab a lancé une étude observationnelle, dans laquelle les données suivantes ont été récoltées, à un ou deux rendez-vous :
- AT aux inserts ;
- AVS aux inserts ;
- ACT aux inserts : 2 administrations ;
- FraMatrix en CL : 3 listes de 20 phrases.

Le nuage de points ci-après (figure 1) représente 209 sujets (résultats incluant plusieurs mémoires d’audioprothèse) selon deux dimensions : leur SIB50 au Fra- Matrix (troisème liste) en fonction de leur score ACT (seconde passation). Les individus sont étiquetés selon deux critères binaires : « bons » ou « mauvais » au Fra- Matrix, « bons » ou « mauvais » à ACT. Pour le découpage selon FraMatrix, nous avons choisi la valeur de coupure communément admise comme cliniquement significative : dégradation de 3 dB par rapport à la « norme ». Nous prenons pour cette dernière la valeur de -6 dB RSB. Pour ACT, nous nous référons à la classification donnée par le fabricant, selon laquelle une valeur de ACT < 4 dB est considérée comme « normale ».

La figure 1 nous inspire les commentaires suivants : il existe peu, voire pas de patients qui sont à la fois dégradés à ACT mais performants au test FraMatrix. Dans cet échantillon, qui compte 209 sujets, deux ont un score ACT > 4 et un SIB50 < -3 dB. Cette observation tend à montrer que la bonne performance à ACT est nécessaire à une bonne performance au FraMatrix. Les deux tests capturent donc des informations différentes et complémentaires : ACT teste une fonction périphérique, bas niveau, alors que FraMatrix évalue un traitement plus central.

Il existe un autre type de discordance ACT/ FraMatrix, beaucoup plus répandu : les patients qui scorent « normalement » à ACT mais qui ont un SIB50 dégradé. Ce sont les points bleus, qui méritent donc toute notre attention. Le bon score ACT nous apprend que ces individus n’ont pas de problème de RSB. Une fois l’audibilité « restaurée », ils doivent avoir moins de difficulté à comprendre dans le bruit. Il ne faut donc pas trop traiter le signal, au risque de diminuer inutilement la perception de la scène sonore.

Figure1
Figure 1 : Répartition des 209 participants en fonction des scores obtenus au Framatrix et à ACT.

Cas clinique de Monsieur T.

Pour illustrer notre propos, nous avons choisi le cas du patient Monsieur T. : 61 ans, ingénieur informaticien en activité, gêné pour la télévision et le théâtre, mélomane. Son audiométrie aux inserts est représentée sur la figure 2, ainsi que ses scores ACT et FraMatrix (condition « bruit direct », niveau de parole fixe à 65 dB SPL).

Figure2
Figure 2 : A-Audiométrie aux inserts de Monsieur T. B-scores ACT et Framatrix de Monsieur T.

Monsieur T. a été appareillé avec des RITE Oticon Real 2 (NAL-NL2, dômes ouverts). Un test ACT ayant été réalisé, le logiciel Genie 2 le prend en compte et propose une personnalisation des traitements de signaux (figure 3).

La valeur d’ACT pour ce patient est de 2 dB nCL. Sa capacité à extraire la parole du bruit peut être considérée comme normale. Ce que préconise Genie 2 est décrit en figure 4.

La configuration de l’environnement sera ajustée de manière à ne faire intervenir le traitement de signal que dans les situations les plus complexes. Lorsque le bruit est faible ou modéré, le patient peut naturellement séparer les sources sonores. Une valeur plus élevée d’ACT aurait entrainé l’intégration des environnements modérés dans la zone en gris foncé. Dans ce cas-là, le traitement de signal serait déclenché pour un RSB un peu plus bas. Pour Monsieur T., la réduction de bruit pour les environnements faciles n’est pas enclenchée car, compte tenu de son âge et de la valeur d’ACT, on peut considérer que ses capacités cognitives ne sont pas altérées de manière significative.

ACT teste une fonction périphérique bas-niveau alors que FraMatrix évalue un traitement plus central

Le Sound Enhancer d’Oticon Real permet quant à lui de modifier l’émergence des sources de parole par rapport aux sources de bruit dans les environnements difficiles pour le patient. Puisqu’il ne se déclenchera que pour les situations « complexes » et « très complexes », il a été réglé sur « équilibré ». Genie préconise ainsi d’améliorer le RSB tout en conservant une perception riche de l’environnement sonore. Pour des patients possédant des capacités cognitives dégradées, la valeur préconisée serait « confort ».

Figure3
Figure 3 : Résultats d’ACT de Monsieur T.

Alors que notre réflexe d’audioprothésiste aurait été d’ajouter des réducteurs de bruit, ou au moins de laisser le réglage par défaut, la connaissance d’ACT induit au contraire une préconisation d’allègement.

Nous avons suivi cette recommandation, et le patient a été évalué au FraMatrix après un mois d’essai. Son SIB50 appareillé est alors de -3,6 dB RSB, ce qui le ramène à une valeur proche de la « norme ». Son SIB50 avec le réglage par défaut est moins bon d’environ 1 dB, ce qui ne constitue cependant pas une différence cliniquement significative.

Le cas de Monsieur T. illustre l’intérêt que peut présenter ACT dans le réglage des aides auditives, en complément de nos tests d’AVB, qui restent obligatoires pour l’évaluation du bénéfice clinique.

Afin de mieux comprendre le lien entre ACT et nos autres mesures audiométriques, Audilab continue d’explorer ce sujet complexe en faisant varier des paramètres importants de l’AVB : en bruit diffus ou direct, mesures du SIB50, du SIB70 voire du SIB80, variation du niveau de bruit ou de la voix.

Figure4
Figure 4 : Préconisations du logiciel Genie pour Monsieur T.

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