20 Novembre 2024

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Quelle place pour les diplômes dispensés en UE ? L'expérience de la kinésithérapie

En 2023, plus de la moitié des jeunes audioprothésistes et kinésithérapeutes s’installant en France ont obtenu leur diplôme à l’étranger. Comment expliquer un tel appel d’air ? Les formations étrangères sont-elles de qualité ? Peut-on contrôler cet afflux ? Retour sur l’expérience des kinésithérapeutes qui connaissent ce phénomène de longue date.

Par Violaine Colmet Daâge
(c)weerasak_adobestock

En France, plusieurs disciplines paramédicales voient une part significative de leurs étudiants s’expatrier vers la Belgique, l’Espagne ou l’Allemagne pour obtenir leur diplôme. Le secteur de l’audioprothèse n’échappe pas à cette tendance : les nouveaux diplômés à l’étranger sont désormais aussi nombreux que ceux sortant des écoles françaises. Formation plus courte, plus proche ou simplement plus accessible, les raisons sont multiples pour aller étudier hors de nos frontières. Mais si certains cursus européens proposent des enseignements de qualité, d’autres sont moins scrupuleux et visent spécifiquement un public à la recherche d’un diplôme facile, au mépris de la santé publique. Face à ce constat, les représentations professionnelles nationales restent souvent désarmées en raison de la loi européenne favorisant la mobilité européenne. Comment contrôler les acquis de ces jeunes professionnels à leur retour sur le territoire et maintenir une offre de soins de qualité ? Comment identifier les formations fallacieuses ? Même si les dérives persistent, les kinésithérapeutes ont mis en place quelques garde-fous intéressants et travaillent au niveau européen à l’homogénéisation de la formation. Une suite logique puisque la formation en kinésithérapie est entrée dans le système LMD depuis 2015 au contraire des audioprothésistes qui n’ont toujours pas achevé l’universitarisation de leur formation.

Un outil de contournement

« Le phénomène des diplômés à l’étranger existe depuis longtemps dans notre profession », explique la vice-présidente de la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs, Céline Cheval Raizer. En 2023, 106 000 kinésithérapeutes étaient inscrits au tableau de l’Ordre des masseurs kinésithérapeutes et exerçaient en France, dont 25 à 30 % diplômés à l’étranger. « Parmi ces derniers, les deux tiers sont Français, tandis qu’un tiers constitue une “vraie mobilité européenne” », détaille Nicolas Pinsault, vice-président du Conseil national de l’Ordre des kinésithérapeutes.

En audioprothèse, cet afflux de diplômés issus de formations étrangères est plus récent et s’est considérablement amplifié avec la mise en place du 100 % Santé. Aujourd’hui, plus d'un audio sur cinq n'est pas diplômé d’État.

Il arrive qu’un maitre de stage promette une embauche et ait tendance à valider plus facilement le stage compensatoire.

Nicolas Pinsault, vice-président de l’Ordre des kinésithérapeutes

Pourquoi s’expatrier ?

Si, dans les années 1990, le numerus clausus rendait l’accès à la formation de kiné délicat, l’augmentation du nombre de places dans les écoles françaises depuis n’a pourtant pas vraiment changé la donne. « Les étudiants ne partent pas à l’étranger par plaisir mais parce que la filière française est inadaptée », explique la présidente de la fédération nationale des étudiants en kinésithérapie, Louise Lenglin. Après avoir suivi une première année commune aux médecins, dentistes, sages-femmes et kinés, les étudiants sélectionnés rejoignent l’IFMK de leur région pour quatre années supplémentaires (lire l'encadré). Mais si certains établissements sont rattachés à l’université et disposent d’une prise en charge optimale, d’autres sont des écoles privées aux tarifs prohibitifs (jusqu’à 10 000 euros par an). Résultat : les jeunes inscrits en écoles privées voient leur frais de rentrée exploser [1]. Et il n’est pas possible de contourner la carte scolaire, pour viser une école moins onéreuse. « Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que certains étudiants préfèrent étudier à l’étranger où la formation peut être moins chère », constate Louise Lenglin.

La situation est très différente pour les étudiants audioprothésistes qui disposent d’un réseau d’écoles maillant plutôt correctement le territoire et rattachées à une université : les couts de rentrée y sont homogènes et relativement modiques. En revanche, même si le nombre de places a évolué ces dernières années avec l’ouverture de nouvelles écoles (Évreux et Lille en 2019, Clermont-Ferrand en 2023, Marseille en 2024, « certains établissements n’ont pas réellement augmenté leurs effectifs », reconnait le vice-président du SDA, Stéphane Gallego. D’où la tentation de certains de contourner le système pour aller se former à l’étranger.

Un référentiel européen commun pour la formation en kinésithérapie

Quid de la qualité des formations étrangères ? L’Ordre des kinésithérapeutes a effectué un comparatif minutieux des formations proposées. Celui-ci permet aux Dreets d’instruire les demandes d’autorisation d’exercer déposées par les élèves issus des cursus européens. Globalement, les kinés interrogés reconnaissent des formations de qualité, chez nos voisins européens. « Pour la Belgique et l’Allemagne – à part certaines écoles –, les dossiers sont quasiment validés d’office », pointe Nicolas Pinsault. Si les jeunes diplômés espagnols ne rencontrent pas plus de difficultés, les quelques dossiers roumains restent les plus problématiques tant la formation diffère, reconnait-il. Lorsque les acquis sont insuffisants, des mesures compensatoires sont demandées, principalement sous forme de stages. Mais, « ce dispositif n’est pas totalement satisfaisant, nuance le vice-président de l’Ordre. Car les mesures compensatoires – décrétées au niveau de la Dreets – peuvent différer d’une région à l’autre. De plus, il arrive qu’un maitre de stage promette une embauche et ait tendance à valider plus facilement le stage. Nous préférerions que cela soit centralisé, par exemple au niveau de l’Ordre. »

L’inscription au tableau est le second prérequis pour exercer en France et se fait sous certaines conditions (notamment le fait de parler français couramment) mais il ne constitue pas un réel « filtre ». L’Ordre peut attaquer la décision d'accorder l'autorisation d'exercice prise par la Dreets, si elle lui semble « manifestement » illégale. « Ce n'est donc pas pour des stages insuffisants mais si, par exemple, la demande s'est faite alors que le diplôme était un faux ou obtenu hors de l'UE, précise-t-il. C'est déjà arrivé mais c'est très rare. La procédure se fait alors au tribunal administratif. » Pour limiter l’hétérogénéité du niveau des diplômés, l’Ordre des kinés a proposé à l’Union européenne de définir un cadre commun, afin que le programme de formation soit le même dans tous les pays européens. « Le dossier est en cours de consultation ; aucun pays ne s’y oppose », indique Nicolas Pinsault.

Pour l’audioprothèse, la situation est plus complexe, car les niveaux requis diffèrent fortement selon les États membres. En Espagne, les étudiants sont formés pour être techniciens, à un niveau bac +2. D’où des stages compensatoires très longs, de 43 semaines. « À l’inverse, en Allemagne et en Italie, les étudiants bénéficient d’un master et d’une formation solide, pointe Stéphane Gallego, qui déplore en revanche le niveau de certaines écoles de la « filière » espagnole : « Ces cursus contournent ouvertement le système et proposent une formation au rabais. » La DGOS est consciente de la situation. « Ces formations dispensent un volume horaire de stage inférieur à celui qui est exigé en France, a reconnu une de ses représentantes, lors du congrès des audioprothésistes en 2024. Nous constatons aujourd'hui une disparité dans les exigences qui sont posées par les Dreets en matière de mesures compensatoires. On ne peut pas les imposer puisqu'il y a un principe d'autonomie. En revanche, on peut établir une doctrine qui permettrait de les normaliser. » À plus long terme, la solution passera sans doute par l’harmonisation européenne des formations, mais, avant cela, les audioprothésistes doivent encore achever l’universitarisation de leur diplôme.

Lutter contre les escroqueries

L’expatriation des étudiants en kiné croît ainsi d’année en année. Une façon de contourner les numerus clausus mais également, pour certaines entreprises peu scrupuleuses de « vendre » des diplômes pour 10 à 12 000 euros l’année, sans formation adéquate. En 2017, le TGI de Toulon a condamné le Centre libre d’enseignement supérieur international (Clesi, encore appelé ESEM France) à cesser de dispenser ses formations sur le territoire français. À l’issue de la formation, les étudiants se voyaient délivrer un diplôme portugais ou roumain. « Cette filière a été stoppée mais de nouvelles structures ouvrent régulièrement sous d’autres noms », déplore Nicolas Pinsault. Lorsque ces établissements réussissent à établir des partenariats avec des universités européennes, il devient très difficile de les identifier. En outre, « certains établissements se servent de ces filières pour valider les compétences de leurs employés », prévient-il.

Dernier point de vigilance : bien vérifier que le pays reconnaisse le diplôme et l’exercice. Une formation maltaise a ainsi délivré un diplôme en kinésithérapie sans droit d’exercer sur le sol maltais. Un préalable indispensable pour pouvoir obtenir le droit d’exercer ailleurs.

Remédier au manque de professionnels

« D’ici 2040, le nombre de kinés devrait augmenter de 57 %, soit beaucoup plus que les besoins », alertait la Drees en 2018. Qu’en est-il réellement ? « Cette vision de la profession néglige à la fois l’évolution des missions du kiné mais également les besoins réels des patients », rétorquent de concert les kinés interrogés. « En Allemagne, après un AVC, les patients peuvent se faire prescrire plusieurs dizaines de séances de kinés, illustre Nicolas Pinsault. En France, seules deux séances sont remboursées en moyenne. » En outre, avec le virage ambulatoire, les patients voient leur besoin en soins augmenter. Ils reconnaissent toutefois une inégale répartition des professionnels sur le territoire. Pour y remédier, le gouvernement a mis en place l’obligation d’exercice dans les territoires très sous-dotés ou sous-dotés ou en salariat, pendant les deux premières années d’exercice. « En contrepartie, l’État devait mieux prendre en charge la formation des kinés. Nous n’avons toujours pas eu de retour », déplore Louise Lenglin. Pour le secteur de l’audioprothèse, la préoccupation se focalise aujourd’hui davantage sur la qualité des enseignements. « Des professionnels mal formés constituent en bout de chaîne une perte de chance pour les patients », prévient Stéphane Gallego.

Audiologie Demain
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