Sous la surface, un océan de bruit

Peu à peu documenté, l’impact du bruit sur les écosystèmes marins est un désastre en cours. Un environnement sonore sain est pourtant vital pour la préservation de la faune des océans du globe. Malheureusement, aucune règlementation internationale contraignante n’existe encore.

Par Stéphane Davoine
helice

Qu’il semble loin le « monde du silence » décrit en 1955 dans le film-documentaire de Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle... Comme c’est le cas à la surface du globe, les milieux marins sont aujourd’hui soumis à une pollution sonore telle qu’il ne subsisterait plus le moindre recoin échappant au bruit généré par les activités humaines.

Avec des conséquences pour les espèces peuplant l’immensité bleue que l’on appréhende encore imparfaitement mais dont on peut présumer qu’elles excèdent celles affectant les êtres vivants sur terre ou dans les airs, eux aussi soumis au bruit anthropique. Car la faune marine s’appuie essentiellement sur l’émission et la perception de sons pour transmettre et capter des informations, se déplacer, se nourrir, localiser des partenaires pour s’accoupler ou encore fuir des prédateurs. C’est dire combien la pollution sonore sous-marine pourrait s’avérer rédhibitoire à la survie d’écosystèmes déjà mis à mal par les rejets de plastique, d’hydrocarbures et autres métaux lourds.

Le bruit émanant d’une unique mine sous-marine peut être perçu par la faune jusqu’à 500 km à la ronde.

« Fog » sous-marin

L’eau est un milieu propice à la circulation des ondes sonores. Elles s’y déplacent de quatre à cinq fois plus vite que dans l’air et parcourent de plus longues distances. Ainsi, le bruit émanant d’une unique mine sous-marine peut être perçu par la faune jusqu’à 500 km à la ronde.

C’est la marine commerciale avec ses 54 000 navires à fort tonnage, assurant plus de 90 % du transport mondial de marchandises, qui constitue la principale source de bruit anthropique. Cette pollution sonore est essentiellement issue de la rotation des hélices propulsant les bateaux. Elle s’établit dans les basses fréquences qui sont celles qu’utilisent de nombreux mammifères marins – baleines, phoques, dauphins, etc. – pour communiquer. Durant les cinq décennies passées, la croissance du transport maritime alliée à l’augmentation de la taille des navires est allée de pair avec une multiplication par 32 les émissions de basses fréquences enregistrées le long des grandes voies de navigation. Pour les scientifiques, c’est un vrai brouillard sonore qui affecte désormais ces chemins maritimes.

Bien d’autres activités ajoutent à ce « fog » sous-marin. La prospection pétrolière réalisée avec des canons à air comprimé – durant des campagnes qui durent des semaines et dont les tirs interviennent à quelques secondes d’intervalles 24 heures sur 24 – ainsi que le fonctionnement de sonars militaires actifs. Et l’on peut encore citer la construction et le fonctionnement de fermes d’éoliennes off-shore, le décollage d’avions des pistes d’aéroports proches des rivages, les vols à basse altitude et le passage de ponts routiers au-dessus de bras de mer, sans dresser une liste exhaustive des sources de pollutions sonores anthropiques...

Certaines plantes aussi sont affectées

Les conséquences de cette cacophonie composée d’une multitude de bruits ambiants et impulsifs ont d’abord été documentées pour les mammifères marins [1]. Hémorragies cérébrales, pertes d’audition temporaires ou permanentes handicapant les animaux sur des fonctions vitales comme la capture de proies, comportements d’évitement perturbant ou stoppant l’alimentation et les accouplements, abandon d’habitats et de routes migratoires, échouages de masse sont quelques-uns des effets délétères et quelquefois fatals qu’ils subissent.

Une simple mesure de réduction de 10 % de la vitesse des navires se traduirait par une diminution de 40 % du bruit sous-marin !

Les poissons ne sont pas non plus épargnés. Au-delà des impacts auditifs, l’exposition à la pollution sonore perturbe également l’expression de certains gènes, affecte la taille des larves, freine le développement des individus et dégrade certains organes [2]. Plus récemment, les études ont montré que les vibrations sonores sont également utilisées par les invertébrés marins – méduses, crustacés, coraux etc. – pour gérer leur gravité et par certaines plantes aquatiques, tels les herbiers de posidonies, pour localiser le fond marin et s’y enraciner.

Face à ce désastre en cours et qui affecte l’ensemble des écosystèmes, peu est fait. La directive-cadre de l’Union européenne « Stratégie pour le milieu marin » (directive 2008/56/CE), qui comporte un objectif de diminution de l’impact du bruit sur les milieux marins, et les lignes directrices, publiées en 2014 par l’Organisation maritime internationale, sont non contraignantes, et donc sans réelle efficacité. Pourtant, on estime qu’une simple mesure de réduction de 10 % de la vitesse des navires se traduirait par une diminution de 40 % du bruit sous-marin ! Sous l’eau comme au-dessus, rien n’y fait : il est difficile de changer les mentalités...

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