Surdité et otite chronique

Monsieur P., 50 ans, présente de nombreux antécédents d’otites moyennes aiguës dans l’enfance. Il a bénéficié de la pose de plusieurs aérateurs tympaniques pour otite séromuqueuse puis de plusieurs interventions chirurgicales au niveau des deux oreilles mais ne se souvient plus ni pour quelle pathologie ni quel type d’intervention. Il ne dispose pas non plus de ses comptes rendus opératoires ni de ses anciens audiogrammes ni d’imagerie récente.

Par la Dr Mary Daval et Johanna Savin
Cas clinique 1

M. P. est appareillé depuis 25 ans en contours d’oreille ; les derniers datent de 3 ans et sont de moins en moins efficaces depuis 1 an. Il s’agit de son motif principal de consultation. Il se plaint d’épisodes d’otorrhée gauche intermittents répondant bien aux traitements antibiotiques locaux mais l’empêchant régulièrement de porter son appareil à gauche. À l’examen otoscopique, il existe un aspect de tympanoplastie en technique ouverte bilatérale. Le revêtement cutané de l’oreille gauche est inflammatoire avec présence de pus contrairement à la droite.

cas clinique otoscopie otite

Étape 1

Quel bilan complémentaire réalisez- vous en tant qu’ORL ?

Un scanner des rochers +/- une IRM. Vous ne connaissez pas ce patient. Il a probablement bénéficié d’une intervention chirurgicale pour un cholestéatome. Même s’il s’agit d’une tympanoplastie en technique ouverte ancienne, l’examen clinique seul ne vous permet pas de savoir s’il persiste du cholestéatome dans la minicaisse ou dans le comblement mastoïdien, s’il a été réalisé. L’IRM pourra répondre à la question grâce aux séquences principalement en diffusion. Le scanner quant à lui permettra d’analyser l’anatomie post opératoire de ce patient : degré d’abaissement du mur du facial et présence de récessus osseux expliquant les épisodes d’otorrhée, aération de la minicaisse, statut ossiculaire, lyse osseuse (tegmen, sinus) imposant, le cas échéant, de rester prudent lors des aspirations de cavité postérieure en consultation. Ce bilan est nécessaire quelle que soit la décision que va prendre le patient dans la prise en charge de sa surdité.

Quels éléments supplémentaires à l’interrogatoire vont orienter votre prise en charge thérapeutique ?

La présence de vertiges à l’air (coup de vent). L’avis du patient sur une éventuelle nouvelle intervention chirurgicale. La plainte principale : la surdité ? L’otorrhée ou les deux ?

En attendant les résultats de l’imagerie, que faites-vous sachant que le patient ne veut plus entendre parler de chirurgie sur ses oreilles ?

Le revêtement cutané est inflammatoire à gauche avec présence d’une otorrhée. Dans un premier temps, il faut conseiller au patient de ne plus porter son appareil à gauche et instaurer un traitement antibiotique local. Le gain auditif de son appareil droit ne paraît pas satisfaisant. L’ORL se demande si un nouveau réglage de son appareil droit serait utile et suffisant ou s’il faut prescrire un nouvel appareil. Pour la gauche, il décide d’attendre de revoir le patient après traitement et avec son bilan.

Étape 2

Nouveau réglage ou nouvel appareillage ?

Il serait préférable de commencer par un nouveau réglage, car un renouvellement ne serait pas pris en charge. Nous commençons par refaire un bilan auditif complet qui va permettre de faire état des difficultés de détection ainsi que de compréhension dans le calme comme dans le bruit. Les tests du bilan ne sont pas substituables les uns aux autres. Ils sont indispensables à l’élaboration d’un réglage pertinent, répondant aux attentes auditives du patient. Ils sont aussi indispensables au choix d’un nouvel appareil, car les caractéristiques psychoacoustiques de chaque fabricant diffèrent. Enfin, ils permettent d’évaluer l’efficacité du système installé. Une fois le profil auditif précisément redéfini, les appareils doivent être nettoyés et passés en chaîne de mesure afin de vérifier leur bon fonctionnement. Des facteurs tels que la qualité d’amplification (des sons faibles, moyens et forts), le niveau de sortie maximum de l’appareil, le taux de distorsion, la directivité des microphones, le bruit de fond de l’appareil sont testés. Dans ce cas précis où il faut plus de puissance sur l’appareil et/ou plus d’intelligibilité, la méthodologie utilisée ou des critères de réglage précis (l’amplification des sons faibles, moyens et forts, le réglage du MPO , les algorithmes de traitement du son, le style de la compression, le stéréo-équilibre) peuvent donner plus de dynamique à l’amplification et plus d’intelligibilité. Si d’aventure il faut renouveler l’équipement, le choix de l’appareil se fait en deux temps. Il faut choisir la forme (conduction aérienne / osseuse, intra-auriculaire / micro contour d’oreille à écouteur déporté / contour traditionnel). Il n’existe pas forcément une seule solution pour un appareillage et rarement une solution idéale regroupant tous les critères. Un questionnement très détaillé du patient permettra d’obtenir les informations nécessaires à ce choix. Il faut ensuite choisir la puce (gamme). Le choix se basera sur le profil complet du patient élaboré à partir des résultats des tests audiométriques réalisés en cabine (seuil tonal, seuil d’inconfort, intelligibilité, niveau de bruit acceptable) et des attentes précises du patient qui doivent être exprimées lors du premier rendez-vous. Ces objectifs vont permettre d’évaluer après l’appareillage / le réglage, si les objectifs déterminés en début de parcours ont été atteints. C’est le COS I (Client oriented scale of improvement). Dans les situations d’otorrhées chroniques, il vaut mieux favoriser un contour traditionnel (il en existe des petits aujourd’hui) avec un tube (2-3 mm) adapté sur un embout sur mesure en acryl dur (plus facile à nettoyer). En effet les intras et micro contours d’oreille à écouteurs déportés auront tendance à se boucher et à tomber en panne trop souvent.

cas clinique audiogramme tonal audiogramme vocal surdite audiologie

Le choix du couplage acoustique, embout souple prêt-à-porter (ouvert /fermé) ou sur mesure (souple/dur/thermotec, occlusif/ aéré) se fait en prenant en considération la perte, l’amplification nécessaire (faible ou forte, dans les graves ou les aiguës), les contraintes stipulées par l’ORL (risque d’infection si manque d’aération du conduit). Le diamètre de l’aération demandée est, de façon similaire à la forme et matière de l’embout, une conséquence des conditions citées précédemment. Il s’agit de trouver le compromis entre ce que l’audiogramme exige comme correction et les contraintes liées au conduit et à la pathologie. En effet, l’amplification des graves sur une perte plate est nécessaire pour redonner de la puissance, pour définir le timbre de la voix (fondamentale laryngée), éviter une résonnance de la voix du patient (autophonation) ainsi qu’une sonorité trop aiguë, désagréable pour le patient. Dans le cas où la préconisation de l’ORL est de laisser une aération, indispensable à l’équilibre de l’oreille, l’embout sur mesure reste une solution. Il faudra y ajouter un évent suffisant pour aérer l’oreille (2-2,5 mm) et vérifier son impact sur les réglages en utilisant l’in vivo. Le conduit doit être régulièrement vérifié par une otoscopie. La nécessité absolue d’hygiène dans ce cas précis peut exiger un remplacement des embouts plus fréquents que la normale (tous les deux ans), pouvant aller jusqu’à plusieurs fois par an. La prise d’empreinte sur oreille opérée est toujours délicate. Il s’agit de mettre une quantité suffisante de protection mousse afin que la pâte à empreinte injectée n’aille pas se loger dans les cavités et empêche, au durcissement, son retrait.

Étape 3

Le patient revient voir son ORL en consultation deux mois plus tard. L’otorrhée s’est tarie le temps du traitement mais reprend dès qu’il remet son appareil. Il est en cours d’essai avec un appareil puissant à droite et semble satisfait mais reste gêné dans les ambiances bruyantes et se plaint d’une absence de localisation spatiale. En effet, la correction monaurale ne permet pas de rétablir les propriétés de stéréophonie de l’écoute binaurale. La localisation spatiale est une autre propriété découlant d’un bonne stéréo-iso-phonie. L’IRM ne montre pas de résiduel cholestéatomateux. Le scanner retrouve une minicaisse aérée et une absence d’osselet. À l’examen, son revêtement cutané est normal au niveau de la cavité postérieure.

Que pouvez-vous lui proposer ?

• Une reprise chirurgicale gauche avec ossiculoplastie sans comblement.

En effet, il semblerait que ses épisodes d’otorrhée soient déclenchés par l’obturation de son conduit. Cependant, au regard de sa conduction osseuse, il apparaît probable qu’il ait besoin d’une amplification en postopératoire. Celle-ci risque de redevenir problématique. D’autre part, le scanner ne permet pas de savoir si la platine de l’étrier bouge toujours. Seule l’exploration chirurgicale permettra de dire si une ossiculoplastie (ici une prothèse totale en l’absence d’étrier) peut améliorer son audition. Si la platine est fixée, l’ossiculoplastie ne pourra pas être efficace.

• Une reprise chirurgicale gauche avec ossiculoplastie et comblement mastoïdien.

La problématique de l’ossiculoplastie reste la même. Le comblement mastoïdien est proposé pour répondre à plusieurs des plaintes du patient : les vertiges à l’air, les épisodes d’otorrhée favorisés par l’obturation du conduit sur une technique ouverte et permettre l’introduction d’eau dans l’oreille (sur le principe, car il garde une technique ouverte droite…). Le patient est prévenu de la cicatrisation qui sera longue (au moins 3 mois avec otorrhée très probable pendant toute la période) avec un risque d’échec (résorption du produit quel qu’il soit : verre bioactif, hydroxyapatite, poudre auto ou hétérologue…).

cas clinique comblement mastoidien

• Appareillage auditif en conduction osseuse.

La CO est trop basse pour envisager des lunettes ou un système sur adhésif (Adhear). Un test au bandeau ou serre-tête sera réalisé si possible en consultation et sera, de toutes manières, suivi d’un test in vivo (prêté par l’audioprothésiste) afin que le patient se rende compte du bénéfice à en attendre

Le patient rejette immédiatement les deux premières propositions. L’implant en conduction osseuse n’est pas une nouvelle intervention sur l’oreille à proprement parler et pourra, souvent après quelques temps de réflexions, être accepté par le patient.

Étape 4

L’ORL confie le patient à l’audioprothésiste pour faire des tests avec un système en conduction osseuse. S’il choisit ce système, sera-t-il « compatible » avec l’appareil auditif droit ? Aurait-il fallu mentionner ce projet thérapeutique avant ? Le patient sera-t-il pris en charge pour l’appareil gauche ? Si oui, comment ?

Une amplification bimodale avec une conduction aérienne à droite et une conduction osseuse à gauche est tout à fait réalisable. La « compatibilité » de l’appareil droit avec le système en conduction osseuse prévu à gauche dépendra de la marque de l’appareil auditif comme de celle de l’ancrage osseux. Aujourd’hui, deux marques sont compatibles au niveau du traitement du son : Cochlear avec Beltone/GN Resound et Oticon Medical avec Oticon. La compatibilité s’arrête au traitement du son et à l’appairage aux accessoires de communication et/ ou smartphones (certains seulement), car les deux appareils ne fonctionnent pas en tant que paire. Ils n’échangent pas les informations sonores collectées pour les comparer et « comprendre » l’environnement afin d’adapter le comportement de la paire (directivité, traitement du bruit et de la parole). De plus, la transmission transcrânienne due à la conduction osseuse crée un appareillage BiCROS non recherché qui va venir fortement perturber les indices de stéréophonie, la phase et l’ILD (interaural level difference). Le patient va mettre plusieurs mois à les intégrer.

Idéalement, le projet thérapeutique doit être mentionné dès le début afin de choisir une marque d’appareil compatible à une amplification bimodale optimisée. Si le patient a des exigences d’accessoires de communication et de streaming avec son smartphone, il est vivement conseillé que l’ORL et l’audioprothésiste échangent sur les compatibilités possibles avant de faire le choix d’un ancrage osseux Cochlear ou Oticon Medical.

Étape 5

Le patient revient satisfait de ses tests. Il demande si l’appareil doit obligatoirement être implanté et si oui comment.

On peut très bien envisager pour le moment un appareillage en conduction osseuse sur bandeau, serre-tête ou SoundArc (pour la BAHA) en attendant que le patient accepte une implantation (qui sera plus efficace et moins douloureuse à long terme. En effet, le port externe de ses appareils nécessite un appui conséquent qui est source de douleur). La conduction osseuse est un peu trop basse pour envisager un implant transcutané (BAHA Attract sur aimant), reste la solution sur pilier : Oticon ou BAHA Connect. L’amplification avec un Bonebridge (ME D-EL) serait également intéressante mais son implantation nécessite une « vraie » intervention chirurgicale (ici probablement en rétrosigmoide du fait de la tympanoplastie en technique ouverte déjà réalisée) et se pose encore une fois la question de l’artefact créé par le dispositif sur l’IRM.

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