Surdité évolutive et audition bimodale

Madame C. souffre d’une surdité évolutive bilatérale. Des intras-auriculaires à l’audition bimodale, en passant par un système bi-Cros : récit d’une prise en charge qui a dû évoluer avec la pathologie de la patiente.

Par la Dr Isabelle Mosnier et Jonathan Flament
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Madame C., âgée de 81 ans, est suivie depuis 2000 pour une surdité évolutive bilatérale prédominant sur les fréquences aiguës. Elle est appareillée des deux côtés depuis 2010 avec des intra-auriculaires. Les appareils sont portés 11 heures par jour, le suivi prothétique est régulier, sans difficulté.

Évolution de la perte

En 2016, la survenue d’une surdité brutale gauche profonde a conduit à réaliser une IRM qui a dévoilé un schwannome vestibulaire gauche occupant tout le conduit auditif interne et débordant de 3 mm dans l’angle ponto-cérébelleux (figure 1). Il est décidé une surveillance annuelle par imagerie, faisant état d'une stabilité du volume du schwannome. La patiente signale quelques troubles de l’équilibre et le bilan vestibulaire montre une aréflexie vestibulaire gauche compensée. Cette surdité profonde incite l'audioprothésiste à proposer l’essai d’un système bi-Cros (bilateral routing of signal) en mini-Rite avec un embout sur mesure du côté droit. Le bi-Cros consiste à transférer le son parvenant à l’oreille cophotique vers l’oreille controlatérale saine ou déficiente, tout en corrigeant la perte auditive avec comme principaux intérêts de lever l’effet de masque de la tête et d’améliorer les performances dans le bruit. Malgré le passage d’un intra-auriculaire vers un contour d’oreille et l’inconvénient lié à l’autonomie de la pile, Mme C. s’adapte bien à l’amplification après quelques réglages et semble rapidement satisfaite du bénéfice apporté.

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Fig. 1 – IRM en coupes axiales avec injection de gadolinium (A) montrant le schwannome vestibulaire débordant dans l’angle ponto-cérébelleux (flèche pleine). En séquence T2 (B), le schwannome remplit le fond du conduit auditif interne mais épargne le tour basal de la cochlée (flèche en pointillés).

En 2019 survient une baisse des seuils auditifs à droite (figure 2A) ainsi que des distorsions cochléaires à l’origine d’un pincement de la dynamique et d’une dégradation de l’intelligibilité. La patiente, ancienne secrétaire de direction, est mariée, dynamique et en très bon état général malgré une baisse très importante de l’acuité visuelle liée à une DMLA sévère qui aggrave ses troubles de l’équilibre et majore son handicap, en retentissant sur sa lecture labiale. Elle a démarré une rééducation orthophonique auditivo-cognitive un an auparavant. Elle se sent cependant en grande difficulté car elle ne distingue plus les voix à faible intensité et supporte mal les bruits forts. Sa vie sociale est également plus limitée, la patiente avouant même refuser de garder ses petits-enfants de peur de ne pas les entendre la nuit. En parallèle, des difficultés de manipulation liées à son trouble visuel apparaissent. L'audioprothésiste propose alors un nouveau système bi-Cros rechargeable permettant de faciliter la manipulation, la mise en place des accessoires d’aide à l’écoute et d’un système qui permet le streaming entre l’appareil auditif et le téléphone portable, ainsi que l’écoute en direct de la télévision. Au cours de l’essai, la patiente est adressée pour avis à un centre référent pour l’implant cochléaire.

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Fig. 2 – A. Audiométries tonale et vocale au casque et en champ libre (mots dissyllabiques de Fournier) dans le silence avant l’implant cochléaire. Aucune intelligibilité dans le bruit. B. Audiométrie en champ libre à 3 mois post-implantation cochléaire. PA : prothèse auditive. S/B : rapport signal sur bruit.

Le bilan

Au terme de la consultation ORL, il est proposé à Mme C. un bilan de sa surdité afin de discuter d’une éventuelle implantation cochléaire. Ce bilan comprend une audiométrie (figure 2A), des potentiels évoqués auditifs (désynchronisés à droite et à gauche), un bilan vestibulaire (normal à droite, aréflexie gauche compensée avec atteinte des 3 canaux sur le Vhit), un entretien avec la psychologue afin d’évaluer le retentissement psychologique du double handicap ainsi que les attentes et la motivation de la patiente, et un bilan orthophonique qui évalue entre autres la communication et permet de redonner les informations concernant les modalités de l’implantation et du suivi. Le bilan orthophonique comprend, compte tenu de l’âge de la patiente, un bilan cognitif de dépistage avec la réalisation d’un Codex et d’un Moca1,2 qui sont légèrement altérés (Codex B, Moca à 23/30, norme ≥ 26) avec une atteinte touchant principalement les capacités attentionnelles. Les coordonnées du Cisic (Centre d’information sur la surdité et l’implant cochléaire, www.cisic.fr), une association de patients implantés cochléaires présente sur tout le territoire français, lui sont transmises afin qu'elle puisse rencontrer une personne implantée correspondant à son profil. Au terme du bilan, les éléments du dossier sont discutés en réunion de concertation pluridisciplinaire :

  • Le bilan audiométrique retrouve une intelligibilité de 60 % dans le silence en champ libre à 60 dB en binaural pour les mots disyllabiques de Fournier avec un appareillage optimal, ce qui est légèrement supérieur au score recommandé par la HAS qui se situe à 50 %. Néanmoins, on constate une dégradation rapide des seuils à droite et un épuisement cognitif majoré par un second handicap visuel avec un retentissement majeur sur la qualité de vie. La patiente est en très bon état général et demandeuse d’une amélioration de sa communication. On rappelle qu’il n’y a pas de limite d’âge à l’implantation cochléaire sous réserve qu’un bilan cognitif ait été réalisé.
  • Le deuxième point de discussion concerne le côté d’implantation. L’existence d’un schwannome vestibulaire n’est pas une contre-indication à l’implantation dès lors qu’il est de petit volume et stable sur les IRM successives. La majorité des patients implantés dans ce cadre obtient un bénéfice auditif comparable aux autres étiologies de surdité3, mais les patients doivent être informés du risque d’échec. Le suivi par IRM est possible quelle que soit la marque d’implant, mais la présence de l’aimant masquera la région de l’angle ponto-cérébelleux. Cependant, un suivi par scanner avec injection est envisageable. L’audition résiduelle à droite avec persistance d’une intelligibilité associée à l’aréflexie vestibulaire gauche chez une patiente présentant un handicap visuel sévère contre-indiquent une implantation à droite.
  • Le dernier point de discussion concerne le choix de la marque d’implant. Il est souhaitable d'opter pour une marque proposant des accessoires compatibles avec la prothèse auditive et le processeur de l’implant.

Les résultats de l’implantation cochléaire

La patiente a bénéficié d’une implantation cochléaire gauche avec des suites opératoires simples. Dès trois mois post-implantation, l’intelligibilité est nettement améliorée et atteint 80 % dans le silence avec l’implant cochléaire seul, avec un bénéfice de la binauralité dans le silence (100 % à 60 dB) et dans le bruit (30 % à un rapport signal/ bruit de 5 à 60 dB – figure 2B). La patiente est plus à l’aise pour se déplacer dans la rue du fait de l’amélioration de la localisation sonore et rapporte un bénéfice sur son attention4 et sur sa qualité de vie. Une poursuite de la rééducation orthophonique est recommandée pendant au minimum six mois.

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