Monsieur V., 73 ans, est suivi au CHU de Montpellier pour le réglage de son implant cochléaire (IC) droit. Il nous consulte pour l'essai d’une BAHA à gauche afin d’apporter une stimulation plus naturelle dans les basses fréquences. Ancien ouvrier dans une usine de plasturgie, Monsieur V. est un homme assez actif. Malgré ses problèmes auditifs, il participe régulièrement à des activités sociales, notamment le tir sportif en club, où une bonne perception sonore est essentielle pour sa sécurité et ses performances.
Antécédents
Oreille droite (implant cochléaire)
En 2018, Monsieur V. a une surdité brutale, profonde, de perception, accompagnée de vertiges sévères et de vomissements. Aucune cause spécifique n’a pu être déterminée. Les traitements conservateurs, incluant des stéroïdes et des séances de rééducation vestibulaire, se sont révélés inefficaces. Face à la persistance de cette perte profonde, l'indication d'un implant cochléaire a été posée, et l’implantation a été réalisée en octobre 2019. Le suivi postopératoire a montré une bonne intégration de l'implant, avec une amélioration notable de la compréhension de la parole et une réintégration partielle dans les activités de groupe.
Oreille gauche (évaluation pour BAHA)
Depuis l'enfance, Monsieur V. a une hypoacousie mixte sévère (probables séquelles d’otites chroniques ayant entraîné une perforation tympanique). Une tympanoplastie en 2013 a malheureusement aggravé sa perte auditive. En 2017, il reçoit une intervention pour un cholestéatome, depuis la situation est stable. Les tests audiométriques révèlent une conduction osseuse préservée jusqu’à 750 Hz, mais l’intelligibilité est quasi nulle au-delà de 90 dB HL (courbe audiométrique vocale non disponible) (Figure 1).
Prise en charge et suivi
Réglage de l'implant cochléaire
Les premiers réglages de l'IC (Cochlear Nucleus CI 622, processeur CP 1000) ont révélé des difficultés dans la perception des sons aigus, avec une sensation métallique rapportée par le patient. La perception des basses fréquences (en dessous de 1 000 Hz) était satisfaisante. Actuellement, la dynamique électrique est bonne (figure 2) et Monsieur V. utilise l'implant en moyenne 15 heures par jour, alternant entre deux programmes d’écoute adaptés à ses besoins quotidiens, incluant des environnements calmes et modérément bruyants. Ses scores de reconnaissance de mots au test PBK (Phonetically Balanced Kindergarten) [1] avec l'implant seul sont de 78 % (phonèmes : 90 %, dissyllabique : 100 %), et la vitesse de lecture indirecte minutée (LIM) [2] est de 77 mots / min, sans lecture labiale. L’évaluation MBAA (Marginal Benefits from Acoustic Amplification) [3] est de 87 % en phrases longues du quotidien avec un rapport signal à bruit de +5 dB.
Essai et adaptation de la BAHA à gauche
La décision d’introduire une BAHA à gauche a été motivée par l’objectif d’optimiser la perception des basses fréquences et d’améliorer la spatialisation (modèle Cochlear BAHA Attract 5, avec aimants internes et externes). Le réglage progressif a permis d’atteindre une stimulation efficace jusqu’à 750 Hz (figure 3). Dès les premières séances, Monsieur V. a ressenti une amélioration de la compréhension de la parole en environnement bruyant, une amélioration de l’écoute de la télévision (avec sous-titres) et des conversations de groupe (BAHA + IC). Bien qu'il rapporte un usage modéré de la BAHA, il l’utilise volontairement dans les environnements exigeants ou les réunions. Des sensations de picotement et d’échauffement autour de la zone d'implantation limitent encore la durée d’utilisation (maximum 6h), qu'il fractionne en sessions d’une heure. La cicatrisation est bonne et il ne présente pas de signe d'infection cutanée ou de complications locales.
Performances auditives globales
L’association de l’IC et de la BAHA a bien amélioré les performances auditives de Monsieur V. dans des environnements complexes. Les mesures dans le bruit (test HINT) [4] ont permis d’évaluer les bénéfices de la BAHA avec l’implant cochléaire par rapport à l'implant cochléaire seul :
- RSB +12 dB : 91 % de reconnaissance de la parole avec BAHA + IC (contre 85 % avec l'IC seul).
- RSB +7 dB : 75 % avec BAHA + IC (contre 69 % avec l'IC seul).
- RSB +2 dB : 69 % avec BAHA + IC (contre 58 % avec l’IC seul).
Le suivi orthophonique, qui a lieu une fois toutes les deux semaines, confirme ces bons résultats : la compréhension globale est bonne. Avec la BAHA + IC, la vitesse LIM atteint 122 mots / min contre 77 mots / min avec l'implant seul. Au quotidien, Monsieur V. décrit une perception sonore plus équilibrée, avec des graves mieux restitués et une spatialisation accrue, particulièrement utile pour des activités comme le tir sportif. Monsieur V. reconnaît en effet la plupart des bruits (score 4/5) et la localisation est conforme aux attentes en écoute bimodale. L’écoute au téléphone, autrefois problématique, est désormais jugée « très bonne » (score 7/9) grâce à la connectivité des deux dispositifs avec l’application mobile dédiée.
Conclusion
Le cas de Monsieur V. illustre une prise en charge originale d’une surdité bilatérale, combinant un implant cochléaire pour la perception des hautes fréquences et une BAHA pour optimiser la perception des basses fréquences. Bien que ses performances avec l'IC étaient déjà satisfaisantes (près de 90 %), l'ajout de la BAHA a renforcé sa capacité d’écoute dans des environnements complexes (bruit, télévision, téléphone via application) et lui a offert une qualité sonore plus naturelle avec moins de résonances et des graves mieux restitués. Ce cas illustre l’intérêt d’une approche bimodale dans les surdités bilatérales, adaptée aux besoins spécifiques du patient. Enfin, il nous rappelle le rôle important d’une prise en charge et d’un suivi pluridisciplinaire, associant les audioprothésistes à l'hôpital mais aussi en ville, les médecins ORL et les orthophonistes. L’accompagnement régulier et les conseils d’utilisation personnalisés étant des éléments déterminants pour garantir l’adhésion du patient et optimiser les bénéfices.
Remerciements :
L'auteur souhaite remercier Antoine Lorenzi et Thibault Esteves Da Torre, audioprothésistes DE, pour la proposition de ce cas clinique et leurs relectures attentives ; Nadjmah Lenel, orthophoniste, pour les résultats vocaux et ses commentaires ; Marielle Sicard, régleuse d'implants, pour les données liées à l'implant cochléaire.