Tartini, le musicien qui découvrit les produits de distorsion

Le musicien italien Giuseppe Tartini est l’auteur de plusieurs œuvres connues, dont la Sonate des trilles du Diable, pour violon. Il est aussi à l’origine de la découverte du troisième son, un phénomène de distorsion qui se produit lorsque deux notes soutenues sont jouées simultanément. Elle mettra plus tard David Kemp sur la piste des produits de distorsion acoustique, comme nous l’explique le Pr Paul Avan, auteur d’un ouvrage sur le musicien italien.

Propos recueillis par Bruno Scala
entracte tartini

Giuseppe Tartini n’est pas très connu dans le monde de l’acoustique. Qui est-ce ?

C’est avant tout un musicien et compositeur italien du début du 18e siècle. Il a vécu dans une période de transition pour la musique ce qui explique sans doute pourquoi il est assez méconnu. C’était un violoniste qui s’est épanoui plutôt tardivement, vers ses 20 ans. Il a réalisé un travail important sur la technologie du violon ; il a d’ailleurs collaboré avec Stradivarius. C’était un homme qui bricolait, qui réfléchissait. Il était également enseignant, pour des étudiants de haut niveau, triés sur le volet.

Le troisième son est un produit de distorsion qui est émis lorsque deux notes soutenues sont jouées simultanément. C’est donc un vrai son, et non une construction du cerveau comme l’est par exemple le fondamental absent.

Votre livre porte sur un phénomène qu’il a observé : le troisième son. En quoi cela consiste ?

C’est en fait une otoémission acoustique. C’est pour cette raison que Giuseppe Tartini a attiré mon attention. Il s’agit d’un produit de distorsion qui est émis lorsque deux notes soutenues sont jouées simultanément. C’est donc un vrai son, et non une construction du cerveau comme l’est par exemple le fondamental absent. Le troisième son est peu intense, mais distinctement perceptible par les personnes bien entraînées.

Comme l’était Tartini, donc. Comment l’a-t-il découvert ?

C’est un son qui peut se produire lorsqu’on fait vibrer deux cordes d’un violon avec le même archet. Tartini s’est rendu compte que le timbre était alors enrichi d’un son supplémentaire. Il a mené ses expériences ; c’était une personne très empirique. Il est même parvenu à déterminer sa fréquence. Au fil du temps, le phénomène musical perd de son éclat. Notamment parce que la découverte est banalisée par Hermann von Helmholtz, un grand scientifique et médecin prussien. Il juge le phénomène très banal, arguant qu’il s’agit bien d’une distorsion mais que Tartini l’a mal positionnée sur la portée. En outre, selon Helmholtz, la cochlée découpe parfaitement les sons, indépendamment les uns des autres, ce qui exclut donc que le troisième son soit une création de la cochlée. Un peu trop sûr de lui, il conclut qu’il provient de l’oreille moyenne : aucun intérêt diagnostique donc… Puis, plus personne ne s’intéresse au phénomène, jusqu’à Thomas Gold, en 1948. Selon lui, la cochlée est nécessairement un système actif. On connait alors le phénomène des otoémissions spontanées. Mais Gold est persuadé que ces otoémissions sont des acouphènes et il ne teste que des sujets acouphéniques. Encore une fois, c’est une erreur de raisonnement qui met un coup d’arrêt aux explications du mécanisme du troisième son. C’est dans les années 1970 que David Kemp reprend tout à zéro, sans préjugés. Il place un microphone dans le conduit auditif et procède à des enregistrements. Il découvre alors les produits de distorsion, et les observateurs font le lien entre ces derniers et le troisième son de Tartini. Ce dernier est obtenu en envoyant deux stimuli de fréquences f1 et f2 dans l’oreille, et sa fréquence est égale à : 2 f1 – f2, que les dernières théories relient au fonctionnement cochléaire.

Quel est le retentissement de cette découverte sur l’audiologie moderne ?

Avec le recul, il est fascinant de constater que Tartini avait observé un phénomène, résultant d’un mécanisme physiologique très fin et aujourd’hui décrit, à savoir l’ouverture du canal de transduction. Notre système auditif est une mécanique extrêmement précise, quasi parfaite. Les otoémissions et les produits de distorsion constituent de petites imperfections, une contrepartie à un système si performant.

Et d’ailleurs, l’absence de ces imperfections est un signe de dysfonctionnement de la cochlée. C’est pour cela que cette découverte est aujourd’hui utilisée quotidiennement pour le dépistage néonatal de la surdité.

Giuseppe Tartini et le troisième son. Des canaux ioniques d’une oreille optimisée au dépistage néonatal universel des surdités, Paul Avan, L’Harmattan

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