Une école de trop ?

À l’heure où les étudiants en audioprothèse font leur rentrée, une 8e et une 9e écoles ouvrent leurs portes à Évreux et Lille.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski
Contrepoints : les débats et controverses qui agitent le secteur de la santé auditive

Après les créations encore relativement récentes des écoles de Cahors et Bordeaux (en 2013 et 2014), celles de ces deux nouveaux établissements coïncident avec l’ouverture de vannes jusqu’alors contenues. Ainsi, l’arrêté du 25 avril, paru le 30 avril 2019 au Journal officiel, porte à 282 le nombre d'étudiants à admettre en première année d'études préparatoires au diplôme d'État d'audioprothésiste pour l'année universitaire 2019-2020. Un numerus clausus en augmentation depuis 2017 (+18,5 % par rapport à 2018 ; +41 % depuis 2016) et qui devrait atteindre les 300 étudiants d’ici 2021, conformément aux objectifs fixés par le Gouvernement dans le cadre du RAC 0 en audioprothèse. Cet afflux supplémentaire doit s’adapter à l’évolution prévisionnelle du nombre de personnes appareillées et permettre de garantir la disponibilité de professionnels pour améliorer le suivi audioprothétique. Les effectifs des formations existantes restent stables voire diminuent au profit des deux nouvelles. Et l’une d’entre elles en particulier cristallise les inquiétudes et crée des dissonances au sein de la profession. Après l’annonce de sa création en 2017 et son ouverture reportée, l’école d’Évreux (université de Rouen) a accueilli ses premiers étudiants... sous le signe de la controverse. Certains s’inquiètent du projet pédagogique et de la capacité de la nouvelle formation à proposer des stages à ses étudiants et jugent même qu’elle sert des intérêts politiques ; d’autres estiment ces ouvertures bienvenues mais encore insuffisantes pour « répondre à la demande ».

OUI

François Le Her, président du Collège national d’audioprothèse (CNA)

« Le CNA ne remet pas en question l’augmentation du nombre d’étudiants en audioprothèse. Elle correspond à une demande du président de la République de voir le nombre des professionnels formés porté à 300 d’ici 2021. Nous avions d’ailleurs proposé logiquement que cet afflux se fasse dans les écoles existantes ; elles s’étaient organisées en conséquence et doivent aujourd’hui faire machine arrière. Or, il nous semble que l’on multiplie les centres d’enseignement au mépris de projets pédagogiques cohérents. En effet, lorsque l’on examine objectivement la situation des deux nouvelles écoles, de vraies disparités apparaissent. Lille est légitime par sa position géographique, sa capacité d’accueil et son projet pédagogique ; ce n’est malheureusement pas le cas d’Évreux. Nous avons des inquiétudes concernant le contenu de l’enseignement qui, il y a encore peu de temps, semblait lacunaire faute d’une équipe complète. Or, enseigner l’audioprothèse ne s’improvise pas… De même, les élèves doivent pouvoir bénéficier de lieux de stages notamment hospitaliers qui les accueillent dans de bonnes conditions. L’école d’Évreux ne nous semble pas en mesure de répondre à ces exigences. Cette ouverture satisfait davantage à une volonté politique et découle d’un accord tripartite entre l’université de Rouen, l’hôpital La Musse (Renaissance sanitaire), à qui elle a délégué la formation conduisant à la délivrance du diplôme d’État d'audioprothésiste, et le conseil régional de Normandie.

Par ailleurs, d’ici à 2021 seront venus s’ajouter 180 étudiants formés en espagne. Or, ces diplômés autorisés à exercer en France, souvent captés par les enseignes d'optique pour leurs corners d'audioprothèse, ne bénéficient pas de la même formation, notamment en pédiatrie.

On multiplie les centres d’enseignement au mépris de projets pédagogiques cohérents.

La conjonction de ces différents facteurs pose un certain nombre de questions : le niveau sera-t-il le même à la sortie de chaque école ? Nous dirigeons-nous vers une compétition inter écoles pour le recrutement des élèves ? Et enfin ne risquons-nous pas une dégradation du niveau de formation de nos diplômés alors que nous pouvions prétendre jusqu’alors à une situation homogène et qualitative ? Une solution serait de mettre en place un examen de qualification via le collège national d’audioprothèse de type Toeic ou Toefl *, qui serait optionnel et volontaire pour pouvoir quantifier leur niveau.

Aujourd’hui, il y a plus d’offres d’emploi que de demandes, mais en inversant la tendance, nous nous orientons-nous pas vers une audioprothèse à deux vitesses… D’une part, un service rapide et automatisé pour des objectifs de prise en charge du plus grand nombre de patients avec une main d'œuvre à moindre coût. L’autre audioprothèse sera celle du service personnalisé délivré par des professionnels de référence formés à toutes les nouvelles techniques, à l'appareillage pédiatrique et aux réglages des implants. »

*Tests d'anglais, langue étrangère (Toefl ) ou pour la communication international (Toeic).

NON

Jean-Pierre Champion, Directeur général de Krys Group

« Le numerus clausus en audioprothèse n’exprime pas les besoins du marché mais définit le nombre maximum de diplômés qui doivent sortir tous les ans. À horizon 2021, les écoles françaises doivent former 300 diplômés par an. Or, nous contestons le fait que cela suffise. Nous estimons les besoins à au moins 500 diplômés par an, à l’aune du nouveau délai de renouvellement, de l’augmentation du taux d’équipement lié au forfait Macron et de l’implantation de nouveaux magasins. Deux questions se posent alors : comment passer de 240 à 300 diplômés et comment combler l’écart entre 300 et 500 ?

En réponse à la première interrogation, soit on augmente la capacité des écoles existantes, soit on en crée de nouvelles sur le territoire. Il se trouve qu’à l’initiative du président de la région Normandie, Hervé Morin, s’est créée à l’hôpital La musse, près d'Évreux, une huitième école d’audioprothèse. Elle devrait permettre de rattraper le retard de la région en matière de couverture audioprothétique, la Normandie affichant une des plus faibles densités de professionnels en France. Aussi, je salue la décision d’Hervé Morin. Il a su mobiliser les énergies et trouver les moyens de la financer. On ne peut que s’en réjouir. D’aucuns craignent la qualité de la formation qui va y être dispensée. pourquoi serait-elle inférieure à Évreux ? Je n’en vois pas les raisons.

Nous estimons les besoins à au moins 500 diplômés par an.

Le numerus clausus de 300 diplômés à horizon 2021 est insuffisant. Comment atteindre les 500 que nous jugeons nécessaires ? Si nous ne les trouvons pas en France, il faut aller les chercher ailleurs, en Espagne, en Belgique, en Roumanie. Si l’on ne veut pas de diplômés étrangers, que l’on augmente alors la capacité des écoles françaises et que l’on en crée de nouvelles… c’est la quadrature du cercle. Nous sommes face à un véritable enjeu de santé publique. Le taux d’équipement en audioprothèse est loin d’égaler celui en optique. Il reste 50 % à deux tiers de malentendants non appareillés. Mettons-nous en ordre de marche pour améliorer ce taux. À ce jour, Krys audition n’emploie pas d’audioprothésistes formés à l’étranger mais, si cela se présentait, nous les considérerions comme des diplômés comme les autres. S’il s’avérait que leur formation était de moindre qualité, j’encourage les personnes en charge de l’enseignement à mettre en place un contrôle des compétences pour s’assurer de combler l’écart de niveau. Nos audioprothésistes, qu’ils travaillent en centres exclusifs ou en corners dans des magasins d’optique (ils représentent 80 % des centres Krys Audition), délivrent la même qualité de service ; ils sont issus de la même filière. Et, si le nombre d’heures d’ouverture était un critère de qualité, nos corners sont ouverts davantage que certains centres exclusifs… »

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