Une nouvelle indication pour l'implant cochléaire

Des premières preuves de concept à son entérinement, il se sera écoulé plus de dix ans ! L’extension d’indication de l’implant cochléaire pour les patients souffrant de surdité profonde unilatérale avec acouphènes invalidants vient d'être approuvée. Réflexions sur les perspectives qu’ouvre cette innovation de transfert mais également sur la lenteur du processus.

Par le Pr Mathieu Marx
(c)Charles LIMA AdobeStock

Ça y est ! L’extension des indications d’implantation cochléaire aux surdités profondes unilatérales associées à un acouphène invalidant, validée par la Haute autorité de santé (HAS) en 2020, a été entérinée par la parution d’un arrêté au Journal officiel, le 6 septembre 2021 [1]. Cet arrêté prévoit le remboursement par la Sécurité sociale du dispositif et des soins l’entourant dans cette nouvelle indication. Il vient conclure près de dix ans de travaux menés par plusieurs équipes françaises, dans le sillage tracé par les équipes du Pr Paul Van de Heyning (Anvers) [2] et de la Pr Susan Arndt (Fribourg) [3] à la fin des années 2000. C’est l’occasion pour nous de dresser le bilan de cette décennie et d’envisager les perspectives que laisse entrevoir cette extension.

Une spécificité française

Les réussites, d’abord. Avec deux études multicentriques nationales et plusieurs publications qui en sont issues [4, 5, 6], la recherche française a apporté une belle pierre à l’édifice, grâce à une fructueuse collaboration multidisciplinaire entre les cliniciens, chercheurs, industriels, méthodologistes et économistes de la santé. Ces travaux ont démontré de manière robuste l’efficacité, parfois spectaculaire, de l’implant pour soulager l’acouphène invalidant associé à la surdité profonde unilatérale, chez 70 à près de 90 % des patients concernés. Ils ont également mis en évidence une amélioration globale de la qualité de l’audition chez ces patients, cette amélioration se révélant variable d’un sujet à l’autre, sans que les facteurs expliquant cette hétérogénéité n’aient été jusqu’ici clairement identifiés. C’est donc l’acouphène invalidant associé à la surdité qui devient logiquement le principal symptôme cible de l’implantation cochléaire dans cette nouvelle indication. La Haute autorité de santé recommande de considérer cette solution chez les patients présentant un score de sévérité de l’acouphène supérieur à 6/10 sur une échelle visuelle analogique, et/ou supérieur à 50 au Tinnitus Handicap Inventory. Les essais préalables d’un système CROS (contralateral routing of the signal) et d’un système à conduction osseuse sur bandeau sont obligatoires, et ce n’est qu’en cas d’échec de ces essais que l’implant peut être maintenant envisagé, quand ces patients restaient jusqu’alors sans solution.

Cette nouvelle indication est une spécificité française ; un suivi étroit des résultats obtenus dans ce cadre est impératif.

Un travail de longue haleine

On peut se réjouir d’un tel aboutissement, mais il est également important de pointer les obstacles et autres limites qui ont jalonné ce chemin. Comment et pourquoi cette innovation devient-elle officiellement accessible aux patients en 2021, alors que la preuve de concept était disponible dès les premiers rapports de Paul Van de Heyning, Griet Mertens et leur équipe en 2008 ? Plus de dix ans d’attente, c’est long, trop long ; et trop de patients, qui auraient dû bénéficier de cette innovation, ont été placés sur une forme de « liste d’attente », qu’il faut aujourd’hui mettre à jour, tant bien que mal. La responsabilité de ce délai est collective et il est important pour chacun des acteurs impliqués, y compris nous les cliniciens chercheurs, d’évaluer sa part, pour fluidifier le parcours et le devenir de futurs travaux multicentriques de ce type. Les équipes de soutien à la recherche clinique, incluant au minimum un assistant de recherche, un chef de projet et un biostatisticien, doivent être structurées et pérennisées autour du clinicien investigateur. Le temps passé à la recherche de financements pour le personnel de soutien à la recherche, sur des projets de 6, 12 ou même 18 mois, est autant de temps perdu pour mener efficacement et sereinement ces travaux d’envergure. Les établissements et structures qui financent la recherche clinique, qu’ils soient publics ou privés, doivent impérativement mesurer les conséquences de ce fonctionnement exclusif sur projet court et changer de stratégie.

Une fois les travaux scientifiques finalisés, vient le temps de l’évaluation par la HAS, au travers de la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS), du dossier constitué par les industriels concernés (dans notre cas, les quatre principaux fabricants d’implants cochléaires). Ce temps n’a pas de durée fixe et dépend beaucoup du nombre de demandes que la CNEDiMTS doit expertiser. Afin de limiter la durée de cette étape, la HAS a récemment mis en place la possibilité d’une prise en charge transitoire pour des dispositifs médicaux innovants, marqués CE, développés par un industriel s’engageant à faire une demande d’inscription à la liste des produits et prestations remboursables pour ce dispositif dans un délai de 12 mois [7].

Définir un nouveau parcours de soins

Cette nouvelle indication validée, il faut dorénavant informer la communauté des professionnels de l’audition, et préciser ce que pourrait être le parcours des patients concernés. La sévérité de l’acouphène associé à la surdité unilatérale constitue la gêne et la cible principale de cette population. Il est donc logique de s’assurer que l’ensemble des traitements conventionnels de l’acouphène ont été essayés et ont échoué. Ainsi, une aide auditive conventionnelle, si des restes auditifs, même minimes, sont présents, une thérapie cognitivo-comportementale et/ou de la sophrologie auront été envisagées avant de considérer la solution de dernier recours que doit rester l’implant cochléaire. Les équipes Afrépa (Association francophone des équipes pluridisciplinaires en acouphénologie) ont la parfaite expertise dans l’évaluation et la prise en charge de ces patients, ainsi que dans l’élaboration de leurs plans de traitement. Nous proposons que tous les patients théoriquement candidats à une implantation cochléaire dans le cadre de l’extension d’indication soient et restent évalués par une équipe Afrépa avant que le bilan pré-implant ne s’organise.

Cette nouvelle indication est une spécificité française et un suivi étroit des résultats obtenus dans ce cadre est impératif. Il est donc souhaitable que des adaptations soient apportées au registre national de suivi des patients implantés cochléaires pour évaluer précisément l’évolution de ces patients. 70 à 90 % de bons résultats, c’est aussi 10 à 30 % de patients non répondeurs, qui doivent faire l’objet d’une attention longitudinale toute particulière. Quand cette nouvelle population sera suffisamment importante, les facteurs pronostiques de succès de l’implantation devront être déterminés. De la même manière, des stratégies de réglage de l’implant et de rééducation orthophonique spécifiques de cette indication doivent être développées, évaluées et diffusées. La recherche dans le domaine des surdités profondes unilatérales a encore de beaux jours devant elle…

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