Une de plus. On ne compte plus les études qui établissent un lien entre la perte auditive et la démence. La plus marquante est certainement celle réalisée par l’équipe de Frank Lin (université Johns Hopkins) en 2011, qui montrait qu’une perte d’acuité auditive de 25 dB correspond à un vieillissement cognitif de sept années [1]. Il y a deux ans, une analyse publiée dans The Lancet, identifiait la perte d’audition comme premier facteur de risque modifiable de démence et estimait que si toutes les pertes d’auditives étaient évitées, le nombre de démence chuterait de 9 % [2].
Atrophie cérébrale et pathologie tau
Ce mois-ci, de nouveaux travaux confirment cette relation entre perte d’audition et déclin cognitif [3]. Publiés dans eBioMedicine (appartenant au groupe The Lancet) et réalisés par une équipe de l’université Fudan, en Chine, ils permettent d’en préciser les liens. Les auteurs se sont en effet penchés sur deux caractéristiques : l’atrophie cérébrale et la concentration de protéine tau dans le cerveau – un marqueur de certaines maladies neurodégénératives dont la maladie d’Alzheimer. Pour cela, ils ont procédé à des analyses sur trois cohortes différentes, chinoise, britannique et internationale, comptabilisant au total environ 168 000 individus.
Les différentes analyses suggèrent que « la perte auditive est associée au déclin cognitif, à l'atrophie cérébrale et à la pathologie tau, et ces liens ont été validés dans des études d'association génétique. » Les résultats vont même un peu plus loin suggérant que plus l’atrophie ou la pathologie tau est importante, plus le lien entre audition et démence est étroit.
Un mécanisme à découvrir
« Cependant, il est nécessaire d'évaluer le mécanisme dans de futures études animales », concèdent les auteurs chinois dans leur publication. Ils émettent toutefois une hypothèse : il a été observé qu’en raison d'une stimulation réduite, la déficience auditive entraîne une hausse de l’activité neuronale, associée au dépôt de protéines tau ». Malgré ces soupçons, certes forts, on ne sait toujours pas si le lien entre audition et cognition est causal. Il y a deux ans, une publication signée par Timothy Griffiths et ses collègues, au Biosciences Institute de Newcastle (Angleterre), envisageait quatre scénarios pouvant expliquer la relation entre déficit auditif et démence [4]. L’un d’entre eux portait précisément sur la maladie d’Alzheimer. Il stipule qu’une hausse de l’activation des processus impliqués dans la cognition auditive, au niveau du lobe temporal, afin de compenser la perte auditive périphérique, pourrait augmenter les mécanismes pathologiques précoces de la maladie d’Alzheimer dans les mêmes zones cérébrales. « Ce scénario est basé sur une interaction très spécifique entre la pathologie de la maladie d’Alzheimer et la perte auditive, dans le lobe temporal médian, ce que [les travaux chinois] ne démontrent pas », constate néanmoins Timothy Griffiths. Mais l’étau semble se resserrer autour de cette piste.