S'affranchir de l'obligation de passer par la case "prescripteur", c’est peu ou prou ce que propose le service otorhino.io, un site Internet qui vous envoie une prescription d’aides auditives, à la demande. Et ce, en moins de 30 min, moyennant un paiement de 19 €, bien sûr.
Miracle polonais
Et ça marche. Nous avons en effet testé le service. Il faut montrer « patte blanche » et fournir un numéro Adéli, mais otorhino.io n’est pas très regardant : un numéro inventé (avec le mauvais code profession) fait l’affaire. Il faut ensuite renseigner les nom, prénom et numéro de Sécurité sociale (fictifs encore) du patient, et répondre à une très succincte enquête médicale en guise d’anamnèse (voir ci-dessus). Enfin – après l’étape du paiement ! –, il faut transmettre un audiogramme. La première fois, nous avons transmis les véritables résultats d’une audiométrie, réalisée sur un patient qui nécessite effectivement un appareillage. Néanmoins, le document était anonyme... Puis, nous avons poussé le jeu un peu plus loin en envoyant, pour un deuxième patient, une audiométrie vierge ! Et – ô surprise (vraiment ?) – nous avons bien reçu une prescription pour un « appareillage auditif bilatéral » (voir ci-dessous). Dans les deux cas, la prescription, qui paraît tout à fait légale et sérieuse, est signée par une ORL polonaise, la Dr Magdalena Janczewska, qui exerce à l’Hôpital provincial spécialisé d'Olsztyn, comme en témoigne la page web du service ORL de l’établissement. Elle n’a pas répondu à notre sollicitation par mail.Financé par l’Assurance maladie
Mieux, le service otorhino.io édite une feuille de soins, bleue, pour les « soins reçus à l’étranger » (voir ci-dessous). Il y est indiqué que l’acuité auditive a été évaluée par audiométrie tonale et impédancemétrie. Rien n’indique pourtant que cette dernière a été effectuée sur les documents que nous avons fournis. Pire, l’audioprothésiste faisant appel à ce service sera remboursé de ses frais d’inscription : la feuille de soins précise en effet qu’il a facturé les 19 € au patient, qui en demande le remboursement à l’Assurance maladie. Selon la feuille de soins, le soi-disant patient se trouvait en effet en Pologne au moment de l’examen... pour tourisme. Bref, tout le monde y gagne, sauf l’Assurance maladie (le contribuable, donc), qui finance la supercherie, non seulement en remboursant ces consultations fictives, mais en plus en prenant en charge, avec les complémentaires, l’achat des aides auditives permis grâce à ces prescriptions.Sur les réseaux sociaux, les réactions du secteur sont scandalisées. Sur Linkedin, le Pr Vincent Darrouzet, président du CNP d’ORL et du service d’ORL du CHU de Bordeaux, s’est dit « très en colère » et a annoncé avoir saisi la Sécurité sociale. « On marche sur la tête », a quant à lui réagi Stéphane Gallégo, audioprothésiste et vice-président du SDA, qui a levé le lièvre.
Même constat du côté de Frédéric Venail, ORL au CHU de Montpellier : « Le caractère racoleur de ce site est scandaleux. On ne peut que regretter ce genre d'arnaque qui ternit la télémédecine qui lorsqu'elle est encadrée peut rendre service aux patients des zones mal desservies médicalement. »Escroquerie « inacceptable »
Le problème, c’est que la supercherie n’est pas si facile que cela à démontrer. La feuille de soins est en effet réalisée dans les règles et, sauf à prouver que le patient ne se trouvait pas en Pologne comme le formulaire l’indique, il faut employer des moyens d’enquête assez importants pour mettre fin à ce type d’arnaque. Néanmoins, les pouvoirs publics pourraient se saisir du dossier rapidement. Lors d'un entretien avec Agnès Firmin Le Bodo (à paraître prochainement), nous avions évoqué l’escroquerie, ce qui a fait réagir du tac-au-tac la ministre déléguée à l’Organisation territoriale et aux Professions de santé : « Ça n’est pas tolérable, pas acceptable. Si cela est avéré, donnez-moi l’adresse du site, on mettra tout en œuvre pour le fermer. »