Une vision « grand angle » des surdités unilatérales

Depuis une décennie, Mathieu Marx et ses collègues se singularisent par des travaux novateurs sur les surdités unilatérales et asymétriques profondes, depuis les mécanismes corticaux qui caractérisent ce groupe de pertes auditives jusqu’aux options de réhabilitation.

Par Stéphane Davoine
(c)shchus AdobeStock

La prise en charge des surdités asymétriques et unilatérales implique la compréhension des réorganisations fonctionnelles spécifiques à cette catégorie de déficit. Derrière l’hétérogénéité des cas se dessine notamment un schéma commun d’évolutions corticales, mis en évidence par un continuum d’études entrepris depuis une dizaine d’années par le Pr Mathieu Marx et un groupe de recherche du laboratoire Cerveau & Cognition (CerCo, UMR 5549, université Paul-Sabatier de Toulouse). « Cet ensemble de publications nous offre un grand angle sur la question, depuis les conséquences neurophysiologiques et neurofonctionnelles jusqu’à l’impact médico-économique et la pertinence de la prise en charge thérapeutique », résume le médecin-chercheur.

Perte de dominance controlatérale

Ces travaux ont notamment montré qu’au-delà des déficits d’intégration binaurale, une perte unilatérale implique un inversement de la dominance controlatérale vers l’hémisphère ipsilatéral. L’oreille entendante, prépondérante au niveau cortical, est alors surreprésentée dans l’hémisphère correspondant impliquant ainsi une symétrie du traitement de l’information, au contraire de ce que l’on constate chez le normo-entendant. « Plus la réorganisation est importante, plus on enregistre une perte de la dominance controlatérale et plus la localisation spatiale est altérée, il y a donc une forme de corrélation entre la neurophysiologie et la performance avec un effet délétère de cette plasticité », traduit le Pr Mathieu Marx.

La dominance hémisphérique controlatérale se trouve rétablie lorsque la perte asymétrique donne lieu à une implantation cochléaire, comme le montre une autre publication. « Avec l’implant, on constate une restauration de l’asymétrie inter-hémisphérique, et ce, surtout pour la stimulation de la bonne oreille comme si cette dernière conduisait la plasticité que ce soit dans un sens ou dans l’autre », détaille-t-il.

En 2019, une étude multicentrique impliquant 155 sujets a analysé les choix des patients atteints de surdité unilatérale quant à la stratégie de réhabilitation. Ce travail a été central dans la décision d’étendre en 2021 l’indication de l’implant cochléaire aux patients présentant une surdité profonde unilatérale et souffrant d’acouphènes invalidants. Initiée en 2014, cette étude a montré via l’indicateur QALY (quality- adjusted life year) que l’implant cochléaire est cout-efficace après 10 ans de suivi pour les patients acouphéniques et après 20 ans pour ceux qui ne présentent pas ce symptôme.

Patients « auto-traités »

Depuis quelques années, l’intérêt des chercheurs du groupe s’est déplacé vers les patients sourds unilatéraux qui présentent des performances normales dans le bruit sans réhabilitation (environ 15 %). Chez ces sujets, la plasticité délétère qui conduit à une perte de dominance controlatérale n’a pas lieu. Cela ne suffit toutefois pas à expliquer leurs capacités dans les environnements bruyants et on suppose que ces patients utilisent d’autres stratégies. « Soit ils présentent des capacités cognitives leur permettant de trier les sources sonores par des mécanismes d’attention sélective ou partagée, soit ils compensent d’un point de vue audiovisuel en explorant la scène pour se positionner adéquatement et optimiser leur communication, relate Mathieu Marx. Et même si d’autres pistes ne sont pas à exclure, on peut considérer que ces patients se sont “auto-traités” et que les stratégies qu’ils utilisent sont transférables à d’autres personnes. » Une étude en cours offrira des éléments de réponse et contribuera à compléter les connaissances d’ores et déjà établies par Mathieu Marx et ses collègues sur les surdités unilatérales et asymétriques profondes.

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