Vous avez rejoint le groupe Sonova en juin 2023 pour prendre la direction de la filiale Sonova Audiological Care France, autrement dit d’AuditionSanté. Quelles missions vous ont été confiées ?
La France représente un marché important aux yeux de Sonova qui ambitionne clairement d’accélérer le développement d’AuditionSanté et d’en faire l’une des trois enseignes leaders du secteur. Le groupe compte pour cela sur mes expériences passées, notamment mes dix années en optique ou dans le luxe. En effet, ces domaines peuvent sembler éloignés – surtout le second – mais ils présentent en réalité un certain nombre de similitudes dont nous pouvons nous inspirer en audioprothèse. L’optique a sans doute une quinzaine d’années d’avance, en termes de modernisation et de structuration de tout ce qui gravite autour de la compétence technique et médicale. Quant au retail du luxe, il maîtrise parfaitement la notion de parcours client, d’accompagnement et de service personnalisé. Et l’on sait que ce sont des notions clés dans notre métier. Comme l’audioprothèse, ce secteur accorde un souci tout particulier à la qualité de la prestation.
Enfin, mes années passées dans des grands groupes internationaux me confèrent une expérience solide de la gestion de la croissance et de la structuration, qui peuvent être des compétences duplicables aujourd’hui pour répondre aux enjeux du marché de l’audioprothèse en général et d’AuditionSanté en particulier.
Ces enjeux que vous évoquez, quels sont-ils ?
Dans un secteur en pleine évolution, tout l’enjeu est de maintenir le parcours de santé au centre de nos actions, de continuer à apporter le meilleur soin à nos patients pour les aider à mieux vivre. Ces derniers rajeunissent, sont plus connectés et plus exigeants. Il faut pouvoir en tenir compte au travers des solutions que nous leur apportons. Et, si le 100 % Santé a permis d’amener à l’appareillage un grand nombre de patients en levant le frein financier et en rendant notre secteur plus visible, il reste encore beaucoup à conquérir. Tout cela dans un marché plus concurrentiel sur lequel il est plus difficile de gagner des parts de marché ou même de maintenir ses positions.
L’un des challenges d’AuditionSanté est d’augmenter son accessibilité et de passer d’une enseigne multirégionale à un réseau national, présent sur l’ensemble du territoire, pour remplir sa mission de proximité. Mais pour y répondre et accompagner un maximum de patients, nous devons composer avec la problématique, centrale, des ressources humaines en audioprothèse. Nous sommes en effet confrontés – et ce, pour quelques années encore – à plus de demandes que d’offres... Il nous faut par conséquent trouver des solutions pour répondre aux besoins croissants de la population avec cette contrainte forte du manque d’audioprothésistes.
Les relations avec le corps médical qui, jusqu’à présent, ne figuraient pas forcément au cœur de la stratégie d’AuditionSanté, constituent un autre axe sur lequel nous souhaitons mieux travailler.
Quelle est la stratégie d’AuditionSanté face à cette double gageure ?
Nous devons faire en sorte que les audioprothésistes qui travaillent chez nous soient les plus épanouis et les meilleurs dans leur exercice. Mon travail à moi est de leur permettre de se concentrer sur ce qui fait la différence dans ce secteur, c’est-à-dire un accompagnement et un service personnalisé, en leur apportant des outils ou du support pour leur faire gagner du temps et en leur épargnant certaines tâches qui ne relèvent pas de leur cœur de métier.
Par ailleurs, nous avons créé cette année un poste de direction dédié à la formation et nommé à sa tête Jean-Paul Gazeilles, notre ancien directeur de la région Sud-Ouest. Nous allons continuer d’accompagner nos audioprothésistes dans le développement de leurs compétences métier et aussi sur les aspects réglementaires qui prennent une grande place dans notre secteur.
Un dernier aspect, qui n’est pas propre au secteur de l’audition, et dont nous devons tenir compte, est l’évolution des attentes des nouvelles générations de la part des entreprises qui les emploient. Cela passe beaucoup par du non financier, de la flexibilité, la compréhension de leurs besoins individuels. Et cela suppose une remise en question des managers. Parce que nous n’aurons pas le choix.
Nous devons composer, dans certains territoires, avec un accès plus difficile aux prescripteurs. Cela retarde l’entrée dans le parcours de soins. Or le moindre obstacle est facteur d’abandon.
Le fait d'appartenir au groupe Sonova est-il un atout ou une contrainte en matière de recrutement ?
Appartenir au leader mondial des solutions auditives, c’est évidemment une force. Nous pouvons notamment nous appuyer sur l’expérience d’autres filiales de Sonova Audiological Care qui ont des positions dominantes sur d’autres marchés. C’est très inspirant.
Dans nos recrutements, c’est parfois un sujet, mais jamais un obstacle. Au contraire, cela nous apporte une force de frappe indéniable. Faire partie d’un grand groupe et d’autant plus un groupe intégré verticalement et qui a une certaine culture de la décentralisation, c’est uniquement un atout. Bien sûr, nous travaillons en priorité avec les marques de Sonova mais notre préoccupation est d’apporter la meilleure solution possible aux patients et cela veut dire que, si par hasard celle-ci ne se trouve pas chez nous, nous avons la liberté d’aller la chercher ailleurs.
L’enseigne a connu une forte croissance depuis l’entrée en vigueur du 100 % Santé, avec notamment l’acquisition de certains centres de renom, comme les laboratoires d’Éric Bizaguet ou ceux de Philippe Metzger à Paris. Est-ce une stratégie que vous allez poursuivre ?
En effet, notre enseigne s’est beaucoup développée ces cinq dernières années. Nous comptons aujourd’hui un peu plus de 320 laboratoires. Notre ambition est d’être présents partout en France et d’apporter des solutions différentes pour répondre aux attentes spécifiques de chaque patient. Notre développement se fait donc avec divers profils de laboratoires qui peuvent être complémentaires. Nous n’avons pas l’ambition de nous développer uniquement par l’acquisition de centres comme celui d’Éric Bizaguet, tout d’abord parce qu’il existe peu d’équivalent en France. C’est une entité à part dont nous souhaitons valoriser l’unicité. Mais notre ambition est avant tout de devenir une enseigne nationale reposant sur un réseau de proximité.
Quid des centres World of Hearing ?
Nous avons deux centres World of Hearing, à Paris et à Lille, et nous envisageons d’en ouvrir un troisième. Pour ce type de magasin, l’emplacement est prioritaire. L’idée est de disposer de quelques-uns, aux bons endroits. Mais ils n’ont pas vocation à être développés massivement, en tout cas pour le moment. Ce sont des vitrines de l’innovation de Sonova, destinées à sensibiliser le grand public à la santé auditive et à déstigmatiser notre métier. Ils participent de ce point de vue à augmenter la visibilité et la pénétration de notre secteur. J’estime que c’est notre responsabilité à tous de faire en sorte que les mentalités changent pour amener plus tôt et plus largement les personnes malentendantes à s’appareiller. Le marché a quasi doublé mais il est encore sous-pénétré par rapport au potentiel réel. Il faut donc continuer le travail pour améliorer l’accessibilité au sens large. Nous devons pour cela adapter notre offre en proposant des formats de magasin différents, de la proximité, de l’omnicanalité, en nous appuyant sur le numérique...
Avez-vous constaté une évolution dans l’âge de vos patients ?
Nous constatons un réel rajeunissement : l’âge moyen a baissé d’un peu plus de deux ans.
Le 100 % Santé, en levant le frein financier, a rendu l’appareillage accessible à davantage de personnes et plus précocement. Ce qui est très positif car plus tôt on prend en charge la perte d’audition, meilleurs sont les résultats. C’est d’autant plus important que de nombreuses études aujourd’hui ont prouvé les liens entre bien entendre et bien vieillir.
2023 a marqué une décroissance du marché. Cela a-t-il un impact sur le coût des acquisitions ? Comment envisagez-vous 2024 et les années suivantes ?
Je constate que le marché reste très dynamique en termes d’acquisitions et d’offres, et la décroissance du marché ne se répercute pas du tout par une baisse de la valeur et des coefficients de vente. Des transactions se font encore à de très hauts niveaux car les affaires qui se trouvent sur le marché concernent souvent des centres établis et qui ont donc une forte valeur ou des groupes plus récents ayant enregistré une importante croissance ces dernières années.
Je pense aussi que le secteur reste assez optimiste concernant sa reprise. 2023 a été une année d’ajustement suite à une explosion du marché ; 2024 devrait être une année stable, de normalisation, avant le retour de la croissance en 2025 et les renouvellements d’une partie des patients appareillés en 2021.
Néanmoins, nous devons composer aussi avec un accès plus difficile aux prescripteurs. Nous le constatons dans certains de nos centres qui se trouvent dans des zones plus tendues en termes de disponibilités ORL. Clairement, cela retarde l’entrée dans le parcours de soins. Or, l’on sait que le moindre obstacle est facteur de renoncement.
En tant que membre du Synea, l’enseigne AuditionSanté participe aux discussions avec les différents acteurs de la filière pour alerter sur le fait que cette situation a des répercussions sur la qualité des soins et le bien-être des patients et pour trouver des solutions ensemble. Elles doivent être envisagées selon les territoires. La télémédecine pourrait être un de ces leviers.