Audiologie à distance : la technologie au rendez-vous

La téléaudiologie n’est pas encore démocratisée, mais ce n’est pas une question de technologie. Une quantité de solutions sont à disposition des professionnels de santé pour réaliser une partie de leurs actes à distance. Reste à faire sauter les verrous réglementaires…

Par Bruno Scala
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Professionnels de santé et patients sont confinés depuis le 17 mars et ne peuvent pas se voir en présentiel, à part pour quelques soins urgents. Pour assurer la continuité des autres soins, une seule solution raisonnable : la télésanté. La crise sanitaire du Covid-19 que nous traversons actuellement a placé la télésanté sur le devant de la scène. Et a montré à quel point son déploiement était loin d’être effectif...

Pourtant, les solutions techniques existent mais une majorité n’est pas applicable, faute de texte de loi autorisant et encadrant leur utilisation.

Téléaudiométrie : les outils sont là

La téléaudiologie peut être réalisée selon deux approches. L’une sans contact (le patient reste chez lui), l’autre avec un facilitateur (le patient se rend dans un lieu annexe, près de chez lui, où il est assisté par une personne).

Ces approches sont différentes à plusieurs titres. Elles exigent des outils et technologies différentes, elles n’impliquent pas le même niveau de réglementation et elles ne sont pas aussi bien acceptées par les professionnels de santé.

L’approche avec facilitateur est techniquement la plus facile à mettre en oeuvre. Le patient se trouve dans lieu annexe, équipé de tout l’équipement nécessaire pour réaliser un bilan, et notamment d’un salle insonorisée. Le facilitateur l’aide le patient à réaliser les tests, à procéder à l’otoscopie, à placer le casque sur ses oreilles, etc. En somme, cette solution nécessite uniquement une bonne connexion Internet et du personnel. Interacoustics propose une solution de ce type, baptisée RA S (pour remote audiology system). L’audiomètre Equinox est installé dans un site annexe, avec l’ensemble des outils nécessaires pour réaliser un bilan complet. Le patient est guidé par un facilitateur, et converse par vidéo avec son praticien. Quand les médecins français seront autorisés à réalisés des audiométries à distance, cette solution, déjà disponible outre-Atlantique, leur sera proposée.

L’approche sans facilitateur, permettant au patient de rester à son domicile, est plus compliquée à mettre en oeuvre, puisque l’environnement n’est pas contrôlé. Plusieurs acteurs commencent toutefois à proposer des solutions à l’étranger. C’est le cas de la société sud-africaine hearX, créée par le professeur d’audiologie De Wet Swanepoel et pionnière en téléaudiologie.

Depuis peu, elle propose la solution sans contact hearX Self Test Kit qui fonctionne de la façon suivante. L’audiologiste envoie à un patient un kit comprenant un casque Sennheiser calibré et une tablette Samsung, dotée d’une batterie d’applications permettant de faire des tests. Avec ces outils, le patient peut réaliser un bilan : audiométries tonale et vocale dans le bruit. Au cours de l’audiométrie tonale, un système permet d’analyser le niveau de bruit ambiant, et le test est interrompu si le niveau n’est pas acceptable. L’audiométrie vocale est le test des 3 chiffres, implémenté dans l’application de repérage de l’OMS, hearWHO, et celle de la Fondation pour l’audition, Höra. En outre, l’audiologiste a la possibilité d’envoyer à son patient un otoscope : le patient réalise le test lui-même et les images sont catégorisées grâce à un module d’intelligence artificielle. Tous les résultats de ce bilan sont envoyés à l’audiologiste.

Du bilan à l’appareillage

En France, Audyx, dont le nom a récemment changé pour Koalys, est sur le point de proposer une solution similaire à des clients indiens et américains. Fondée par Yves (audioprothésiste et membre du CNA) et Bernard Lasry, la société propose déjà plusieurs produits de télésanté, dont le Koalys Connect, à destination des audioprothésistes et ORL , permettant de réaliser une audiométrie complète, en appel vidéo. Mais la nouvelle solution, Koalys Home Care, vise à prendre en charge les malentendants du pré au post appareillage : « Nous allons envoyer des boîtes à certains audiologistes, contenant un transducteur calibré, un haut-parleur bluetooth et un lien vers une plate-forme web, explique Yves Lasry. L’audiologiste peut les adresser à ses patients. Une fois la boîte réceptionnée, le patient doit simplement mettre son casque et se rendre sur la plateforme web grâce au lien envoyé par mail ou par SMS. Patient et audiologiste peuvent échanger en visio. L’audiologiste peut ainsi réaliser l’audiométrie tonale ou vocale et a également la possibilité de basculer sur du champ libre. » Koalys souhaite aller plus loin en proposant des solutions complémentaires : « On va aussi intégrer un petit outil pour mesurer la taille de pavillon, que le patient pourra mettre dans son oreille et grâce à la visio, l’audiologiste pourra déterminer la taille de l’écouteur déporté. Puis il peut préparer les aides auditives dans son labo et les envoyer au patient avec différentes tailles de dôme, et le patient sera alors prêt pour un rendez-vous d’adaptation. Ce que nous voulons proposer aussi, c’est que le casque envoyé au patient puisse lui servir ultérieurement pour réaliser des auto-tests. » D’autres développements sont envisagés pour répondre à des contraintes médicales plus strictes. « Ce kit ne permet pas de faire une mesure du bruit ambiant, mais c’est une chose que nous pouvons proposer, grâce à un micro livré avec le transducteur : le patient laisserait le micro pendant une heure dans la salle où la téléconsultation aura lieu, le temps d’analyser le bruit ambiant et la réverbération. Il est aussi possible de proposer un petit appareil permettant de faire de la conduction osseuse. »

Toutefois, en France, les recommandations tendent plutôt vers une solution avec la présence d’un facilitateur pour positionner les transducteurs, l’otoscope, etc.

Un côté positif d’un long confinement sera sans doute d’accélérer la réflexion vers un téléréglage d’implants cochléaires.

Pr Paul Avan (université Clermont d'Auvergne)

Téléréglages : les fabricants au rendez-vous

Dans le cadre « conventionnel » des téléréglages tels qu’ils sont pratiqués en France à l’heure actuelle, le patient se rend chez son audioprothésiste pour un premier rendez-vous d’adaptation en présentiel. Puis, il est possible d’affiner les réglages à distance. Les principaux fabricants proposent en effet des solutions, en synchrone ou asynchrone (voir le tableau récapitulatif). « Hearing Care Anywhere est asynchrone, explique Guillaume Allermoz, directeur de l'Université Starkey, ce qui laisse plus de liberté au patient, qui peut envoyer ces demandes à toute heure, et à l'audioprothésiste, qui y répond quand il peut. Mais il est tout à fait possible de passer en synchrone en communiquant via un logiciel d'appel vidéo. » Ces solutions n’ont pas été conçues pour répondre au confinement de la crise du Covid-19, mais s’avèrent aujourd’hui bien utiles : « Nous observons un regain d’intérêt pour ces solutions », note Mikaël Ménard, responsable d’application et de formation chez Signia, qui propose la solution TeleCare. Même constat du côté de Starkey, où les formations télémédecine de la nouvelle Académie Starkey sont prisées : « Plus de 250 personnes », se réjouit Guillaume Allermoz.

Ces solutions offrent différentes finesses de réglage en fonction de la situation de l’audioprothésiste, comme l’explique Mikaël Ménard : « Avec TeleCare, l’audioprothésiste peut soit effectuer un téléréglage fin et synchrone via le logiciel Connexx, à condition qu’il ait accès à ses dossiers patients – ce qui n’est pas forcément le cas s’il est chez lui en confinement –, soit effectuer un téléréglage plus basique et asynchrone via une plate-forme web. Pour cette dernière solution, seule une connexion Internet est nécessaire. »

Néanmoins, ces services semblent assez peu utilisés. « Environ 7 % des audioprothésistes ont un compte actif », estime Jean-Baptiste Lemasson, audioprothésiste et responsable Audiologie chez GN Hearing France, qui édite ReSound Assist Live. Et d’expliquer ce faible taux : « Beaucoup d’audios craignent que les industriels se passent d’eux et de perdre leurs patients. Mais c’est une fausse inquiétude : ces solutions ne permettent pas de régler tous les problèmes et le relationnel entre le professionnel et le patient reste primordial. Au contraire, c’est un service supplémentaire nous permettant de maintenir le lien, crucial notamment pendant la période critique de l’essai. » Mais la crise du Covid-19 semble avoir converti certains d’entre eux. Un sondage réalisé par nos confrères de The Hearing Review, indique que 45 % des audiologistes américains interrogés utilisent le téléréglage lors de cette période de confinement.

La téléassistance est un service supplémentaire nous permettant de maintenir le lien, crucial notamment pendant la période critique de l’essai.

Jean-Baptiste Lemasson (GN Hearing)

Toutefois, l’intérêt dépasse la crise du Covid-19 : « Avec la téléassistance, on ne laisse pas les patients avec leur problème jusqu’au prochain rendez-vous ou démunis pendant leurs vacances. Nous sommes garants du suivi et nous avons une obligation de moyen. Nous devons nous en servir si le téléréglage fait partie de ces moyens », plaide Jean-Baptiste Lemasson. En outre, « le téléréglage permet l’optimisation du temps du patient et de l’audioprothésiste. Dans plus de 80 % des rendez-vous de suivi, les ajustements ou réglages sont réalisés en moins de 10 minutes. Or pour 100 % de ces rendez-vous, le patient nécessite 30 minutes en présentiel. C’est pour ces rendez-vous que ces solutions ont d’abord été créées. »

En plus du téléréglage, certaines de ces applications, comme Signia app, proposent d’autres services de télésanté : tutoriels, entraînement auditif, exercices.... Les données sont ensuite transmises sous forme de rapport au professionnel, qui s’en servira lors d’un futur rendez-vous. D’autres éditeurs de logiciels ne fabriquant pas d’aides auditives, comme Profonia, proposent aussi ce type de service.

tableau telereglage
Les solutions de téléréglages proposées par les fabricants d’aides auditives (certaines options peuvent ne pas être accessibles en fonction de l’aide auditive utilisée).

Réglage d’implant : à l’hôpital

Si le réglage d’aides auditives est autorisé à distance, celui de l’implant doit être réalisé dans un centre de référence d’implantation cochléaire uniquement1. Pourtant, des études se sont penchées sur la faisabilité d’une telle pratique, et leurs résultats montrent que les réglages, qu’ils soient effectués en centre ou à distance, fournissent des performances comparables2.

Outre l’aspect légal, quelques détails pratiques s’opposent aussi au déploiement du téléréglage d’implant : « Une particularité des implants est que nous continuons à maintenir et régler des parties internes anciennes alors qu’en réglage d’aides auditives, on ne voit quasiment jamais d’appareils de conception remontant à nettement plus de 5 ans », explique le Pr Paul Avan, qui règle des implants au CHU de Clermont-Ferrand. « De ce fait, la diversité des situations rencontrées par les régleurs d’implants en termes d’interfaces est assez considérable. Il n’en reste pas moins que dans un cas sur deux et chez l’adulte, la séance de réglage ne nécessite que des modifications qui pourraient se faire à distance. Un côté positif d’un long confinement sera sans doute d’accélérer la réflexion vers un téléréglage d’implants cochléaires. »

Télésurveillance des implants

Si le téléréglage d’implant n’est pas encore possible, la télémédecine devrait prochainement s’immiscer dans le parcours de soins de l’implanté cochléaire. En effet, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) a mandaté la SFORL pour établir ses recommandations sur le suivi du patient implanté, parmi lesquelles figurera un chapitre sur la télésurveillance. L’objectif : « Face à des cohortes de patients de plus de plus importantes, il est nécessaire de trouver des solutions pour pouvoir dégager du temps pour les patients complexes », explique le Pr Bernard Fraysse, président de l’Ifos et expert auprès de la HAS. Les renouvellements de processeurs pourraient par exemple être réalisés à distance. « Le spécialiste pourrait constater le dysfonctionnement et valider le renouvellement lors d’une téléconsultation. Le fabricant enverrait par la suite le nouveau processeur au patient après conversion de la “Map”3. Néanmoins, on ne pourra faire l’économie de rendez-vous de suivi en présentiel pour affiner les réglages du nouveau processeur. »

Cochlear est déjà sur les rangs pour proposer des solutions de télésurveillance. Début avril, en raison de la pandémie de Covid- 19, le fabricant australien a accéléré le lancement de Remote Check aux États-Unis. Cet outil est un module supplémentaire de l’application patient de Cochlear, Nucleus Smart App. Il permet à ce dernier quelques auto-réglages et de recueillir lui-même un certain nombre d’informations : questionnaire sur l’utilisation quotidienne de l’implant (inconfort, difficultés ressenties…), audiométrie tonale, test des 3 chiffres et test d’impédance pour vérifier la fonctionnalité des 22 électrodes. L’ensemble de ces éléments est envoyé au corps médical, avec les données de datalogging. En fonction des résultats, il sera alors conseillé au patient de se rendre dans un centre pour modifier les réglages. Ce service pourrait arriver en France d’ici l’été, espère-t-on chez Cochlear. « Nous sommes en train d’obtenir les autorisations réglementaires auprès des établissements de santé », explique Sandrine Bousquet-Cabrol, market access manager chez Cochlear France. Une étude anglaise, publiée en 2018, atteste du bien-fondé de ces pratiques4. Elle montre que le télésoin pour les personnes implantées est non seulement réalisable, mais qu’il accroît la participation active des patients dans leur traitement (empowerment), ce qui se traduit par de meilleures performances auditives.

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La téléaudiologie est une forme de télésanté appliquée à l’audiologie. Elle emprunte à la télémédecine et au télésoin. À noter que seules quelques professions peuvent facturer des actes de télésoin à l’Assurance maladie (dont les orthophonistes, mais pas les audioprothésistes).

Téléconsultation : l’embarras du choix

Les orthophonistes aussi disposent d’outils pour effectuer des soins à distance. De nombreux logiciels utilisés lors des séances d’orthophonie sont en effet utilisables chez le patient. Quant aux outils de téléconsultation, ils sont pléthoriques. Au début du confinement, la Cnam les a recensés en demandant aux concepteurs de se déclarer. Résultat : près de 190 éditeurs sont disponibles, qu’ils soient nationaux, ou régionaux et financés par des ARS, etc. Pas de doute, les solutions technologiques sont bel et bien disponibles. « Je pense que suite à cette crise, personne ne pourra s’opposer au développement de la télémédecine, prévoit Bernard Lasry. J’espère que cela inspirera les décideurs. »

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