« Les tutelles et agences nationales de santé doivent préciser le cadre de la téléaudiologie »

Les mesures de confinement et de distanciation sociale ont contribué à donner un coup d’accélérateur à la télémédecine. Où en est la téléaudiologie en France aujourd’hui ? Quels actes médico-techniques sont possibles ? À quels enjeux, au-delà du Covid-19, permet-elle de répondre ? Entretien avec les professeurs Hung Thai-Van et Frédéric Venail de la Société française d’audiologie.

Par Bruno Scala et Ludivine Aubin-Karpinski
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Audiologie Demain (AD) : En France, à quels enjeux répond la télémédecine, et plus particulièrement la téléaudiologie ?

Frédéric Venail : En France, nous n’avons pas beaucoup de problème d’éloignement géographique, en tout cas pas autant que dans des pays comme le Brésil, l’Afrique du Sud ou le Canada. Néanmoins, la population d’ORL baisse et si celle-ci n’est pas inquiétante, la désertification médicale dans certaines régions peut poser un problème d’accès aux soins. La télémédecine peut dans ce cas offrir une solution. Dans le cas de la téléaudiologie, l’objectif est d’améliorer le service existant en offrant de nouvelles possibilités. Par exemple, on va pouvoir vérifier la fonctionnalité des aides auditives, réaliser des réglages intermédiaires en situations réelles, ce qui apporte un plus par rapport à ce qui se fait dans un centre, où on tente de mimer des situations écologiques.

Hung Thai Van : La téléaudiologie répond à trois enjeux. Le premier est de garantir un meilleur accès aux soins en proposant une solution de prise en charge aux patients isolés géographiquement, pour lesquels les délais d’accès à un spécialiste sont importants. Le second est de fournir des soins de qualité à des patients institutionnalisés, qui, de la même façon, rencontrent des difficultés d’accès aux ORL. Cette problématique a, bien sûr, été amplifiée avec l’épidémie de Covid-19. Il est important de leur apporter une solution, en s’appuyant sur les professionnels de santé médicaux et paramédicaux de leur environnement direct. Enfin, l’un des enjeux de la téléaudiologie est de permettre la continuité des soins entre le spécialiste et l’équipe de soins de proximité pour s’assurer de la bonne mise en oeuvre des préconisations qui ont été données et du bénéfice du traitement prescrit.

AD : Où en est-on aujourd’hui ?

Hung Thai Van : Consciente des enjeux dans notre pays, la Société française d’audiologie a créé un groupe de travail sur la téléaudiologie, il y a déjà cinq ans. Grâce à ses avancées, un guide de conseils de bonnes pratiques pour la téléconsultation médicale en audiologie, devrait être diffusé très prochainement. Si le sujet n’est donc pas nouveau en France comme ailleurs, l’épidémie de Covid-19 a joué les catalyseurs de la télémédecine. Et, ce besoin risque de perdurer, au vu de l’évolution de la crise, notamment pour les personnes fragiles et/ou dans l’incapacité de se déplacer. Des solutions existent d’ores et déjà. Des actes de téléaudiologie sont réalisables dans des conditions médico-techniques conformes aux règles de l’art. Ces conditions, le guide de la SFA et de la SFORL, les inventorie. Reste pour les tutelles et agences nationales de santé à définir dans les mois à venir le cadre de la réalisation de ces actes médico-techniques comme l’audiométrie ou les explorations fonctionnelles objectives. Une cotation existe déjà pour la téléconsultation simple. Le CNP ORL est partie prenante du travail de définition du cadre réglementaire de la télémédecine en ORL.

AD : Quels sont les principaux textes qui encadrent la télémédecine ?

Frédéric Venail : Le dernier en date est l’avenant 6 à la convention médicale. Ce texte autorise entre autres la téléconsultation, la téléassistance, la téléexpertise, la télésurveillance, la régulation (le Samu). Mais dès sa publication, ce texte était déjà obsolète ! En effet, en ce qui concerne la téléconsultation, l’avenant n’intègre pas la possibilité de réaliser des actes médico-techniques. En audiologie, où aucun diagnostic ne peut être posé sans réaliser une audiométrie, des otoémissions, des PEA, etc., cela limite considérablement le champ d’action. En fait, ce texte a été pensé essentiellement pour la médecine générale.

En outre, la réglementation sur la télémédecine n’a pas prévu l’intervention d’un facilitateur en télémédecine : un professionnel de santé avec une formation minimale et qui aiderait le patient. Ce dernier ne serait pas chez lui, mais dans une maison de santé par exemple, et s’assurerait que le patient positionne correctement le casque, vérifiant que les conditions sont réunies pour réaliser l’audiométrie, etc. Mais rien n’est prévu à ce sujet aujourd’hui.

AD : En dehors de ces obstacles administratifs, est-ce que la téléaudiologie est techniquement possible ?

Frédéric Venail : Oui, les outils technologiques existent pour réaliser certains actes à distance : otoscopie, audiométrie, examens objectifs, etc. Ils sont déjà utilisés dans certains pays comme l’Afrique du Sud, les États-Unis.

Il faut réfléchir à la façon dont on peut intégrer ces possibilités, afin de garantir la même qualité qu’en présentiel. Par exemple, est-il possible de faire ces actes depuis le domicile du patient ? Tout dépend de la situation clinique. Pour un réglage d’aides auditives, l’insonorisation n’est pas obligatoire. S’il s’agit d’établir un diagnostic, on peut imaginer une maison médicale disposant d’une pièce insonorisée avec un audiomètre, et un facilitateur qui installe le patient, place le casque… On retrouve les mêmes conditions que chez l’ORL, mais le médecin est à distance.

Ces salles pourraient également servir pour les audioprothésistes, afin de vérifier la pertinence de téléréglages, comme un audioprothésiste le ferait dans son centre. Le facilitateur, vérifierait qu’il n’y a pas de souci techniques, que les aides auditives sont correctement connectées, que les dômes ne sont pas encrassés, etc. En ce qui concerne la partie orthophonie, un décret a été publié pour autoriser le télésoin afin d’effectuer de la rééducation à distance. La solution technique avait déjà été pensée en amont. Et pour le téléréglage, à savoir le réglage des aides auditives à distance, les fabricants d’aides auditives proposent déjà des solutions.

Hung Thai Van : Les solutions techniques existent. Il reste à déterminer le cadre et à s’assurer que les actes médico- techniques de téléaudiométrie sont réalisés dans des conditions conformes aux règles de l’art. Ces conditions, qui ne diffèrent pas des obligations du présentiel, sont les suivantes :

  • bénéficier d’un contact visuel de qualité pour vérifier que l’aidant positionne correctement les transducteurs ;
  • disposer d’un système permettant de contrôler le niveau de bruit ambiant de l’environnement dans lequel l’examen est réalisé ;
  • s’assurer du bon fonctionnement du système et de la calibration des transducteurs ;
  • pour l’audiométrie tonale, utiliser le protocole modifié d’Hughson-Westlake (pas ascendant de 5 dB) avec assourdissement controlatéral systématique en conduction osseuse et également en conduction aérienne dès qu’il y a un transfert transcrânien au-delà de 50 dB au casque ;
  • pour l’audiométrie vocale, utiliser les listes vocales validées en France (CD du Collège national d’audioprothèse) ;
  • pour l’audiométrie vocale dans le bruit, utiliser les listes validées par la SFA (présentées aux ateliers du congrès de la société de décembre 2019, voir notre site Internet). Elles figureront dans des recommandations détaillées à paraître dans les Annales françaises d’ORL.

Pour améliorer l’accès aux soins des personnes institutionnalisées, il est tout à fait envisageable de mettre en place un réseau de téléexpertise permettant au médecin spécialiste de donner son avis, de manière asynchrone, sur la base d’une évaluation audiologique réalisée par le médecin traitant (en accord avec le décret du 14 novembre 2018 sur la nomenclature des aides auditives). Dans une autre configuration, synchrone cette fois-ci, le médecin peut réaliser en temps réel, un audiogramme, via une plate-forme de téléaudiométrie de la même façon que s’il se trouvait derrière l’oculus d’une cabine audiométrique, avec le support d’un aidant qui positionne sur place les transducteurs (casques, inserts intra-auriculaires, vibrateurs osseux). L’interprétation des explorations fonctionnelles nécessite un savoir-faire qui ne saurait être délégué et relevant du champ de compétences de l’ORL, le seul à disposer aujourd’hui de la formation requise et à pouvoir en endosser la responsabilité.

L’interprétation des explorations fonctionnelles nécessite un savoir-faire qui ne saurait être délégué.

AD : Est-ce qu’en cette période de crise du Covid-19, vous avez eu recours à la téléconsultation ?

Frédéric Venail : Je travaille dans un CHU et, comme dans beaucoup de CHU, aucun logiciel de téléconsultation agréé n’avait été déployé avant la crise, car les directions n’en voyait pas l’urgence. Un logiciel a été choisi en urgence mais son déploiement se fait progressivement, et le service ORL n’est pas prioritaire…

À mon grand regret, je n’ai donc pas pu faire de téléconsultation. Malgré tout, je continue à faire de l’assistance à distance, par téléphone, ce qui n’est pas facturable, mais permet de rendre service aux patients. C’est de la consultation téléphonique sauvage, prise en charge exceptionnellement par l’Assurance maladie, en raison de la crise du Covid-19.

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