À Toulouse, le programme Icope accompagne le bien vieillir

Depuis 2019, le Gérontopôle de Toulouse est impliqué dans le déploiement du programme Icope, destiné à repérer précocement les premiers signes du déclin fonctionnel chez les seniors. Une approche de la prévention innovante, dans laquelle la perte auditive a toute sa place.

Par Violaine Colmet Daâge
(c)fotogurmespb AdobeStock

Vieillir en bonne santé, en retardant la perte d’autonomie des seniors, telle est l’ambition du programme Icope (Integrated care for older people) de l’OMS. Une promesse bienvenue au regard du vieillissement de la population. Entre 2015 et 2050, le nombre des plus de 60 ans va presque doubler à l’échelle planétaire. En France, les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 15 ans, dès 2030 (voir graphe ci-contre). Une inversion de la pyramide des âges qui ne s’accompagne pas, malheureusement, d’une santé améliorée pour nos ainés. Si l’espérance de vie continue de grimper (entre 80 et 85 ans, selon le sexe), celle en bonne santé a longtemps stagné et se situe aujourd’hui autour de 64 ans en France, avec de lourdes conséquences en termes organisationnels et financiers pour nos systèmes sociaux et de santé.

Développé par l’OMS, le programme Icope est destiné à réduire le nombre de personnes âgées dépendantes en repérant au plus tôt les signes du déclin fonctionnel. Pour ce faire, les plus de 60 ans, autonomes et vivant à domicile, sont invités à tester tous les six mois leurs capacités sur six fonctions essentielles (locomotion, état nutritionnel, santé mentale, cognition, audition et vision). « Toutes ces fonctions sont intriquées. Si l’une d’elles se dégrade, elle peut entrainer les autres et conduire le patient vers la fragilité », explique l’audioprothésiste Pauline Roger, impliquée dans le programme.

Cinq paliers

Le Gérontopôle du CHU de Toulouse a été le premier à développer le programme, dès son lancement en 2019, sous le pilotage du Pr Bruno Vellas. Il a en outre été sélectionné, comme plusieurs autres porteurs, dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt lancé en 2020 par le ministère de la Santé, pour l'expérimentation d’Icope article 51 sur la période 2022-24.

schema etapes Icope
Concrètement, le programme s’articule autour de cinq étapes. La première consiste en un repérage d’une ou plusieurs pertes fonctionnelles par la réalisation de tests simples et rapides, tous les six mois. Ceux-ci sont effectués en auto-évaluation ou par un professionnel à l’aide d’outils numériques (l’application Icope monitor ou le robot conversationnel IcopeBot). « Dans quelques expérimentations, des facteurs formés ont été sollicités pour les seniors en rupture numérique. Aujourd’hui, les kinésithérapeutes, les infirmiers à domicile, les audioprothésistes s’emparent de ce repérage », relate Pauline Roger. Si une alerte est émise lors du test de repérage, le patient est contacté pour une évaluation plus précise (étape 2), puis, si nécessaire, un plan de soins personnalisé est mis en place (étape 3) qu’il pourra suivre dans le cadre de son plan d’intervention, grâce au fléchage des professionnels de santé adéquats (étape 4). Le dernier niveau revient aux collectivités (au sens large), pour investir dans l’adaptation de la société au vieillissement.

L'audioprothésiste a une place très intéressante pour effectuer le repérage des pertes fonctionnelles car il intervient au bon moment.

Pauline Roger, audioprothésiste 

Impliquer les professionnels dès les premières étapes

« L’audioprothésiste a une place très intéressante pour effectuer le repérage, explique Pauline Roger. Nous sommes un intervenant qui “tombe au bon moment”. La perte d’audition survient généralement après 60 ans, et lorsque les patients sont appareillés, nous sommes tenus de les revoir tous les 6 mois ». L’occasion idéale de réaliser de nouveau les tests du programme (qui bénéficie d’un forfait de 18 euros, dans le cadre de l’expérimentation en Occitanie). « L’étape 1 ne prend qu’une dizaine de minutes pour réaliser les six tests », note la Dr Catherine Takeda, gériatre référente Icope au Gérontopôle du CHU de Toulouse.

Se lever-s’asseoir cinq fois sur une chaise pour la locomotion, retenir trois mots pour la cognition... Selon le contexte, la bonne audition sera vérifiée à l’aide d’un test de voix chuchotée (de dos, 4 mots, à droite et à gauche), d’un bilan audiométrique à 35 dB ou par l’application Höra en auto-évaluation. Une fois les tests réalisés, le praticien saisit les résultats sur le site sécurisé d’Icope, alors que l’appli les transmet automatiquement. Un protocole dont s’est fortement inspiré le dispositif Mon bilan prévention (lire article La Fondation pour l’audition veut accélérer la prévention). Si le patient présente une anomalie non connue, l’étape 2 est enclenchée avec l’accord du patient, son médecin traitant en est informé. Cette évaluation approfondie dispose d’un forfait de 60 euros, ou modulé selon le nombre de fonctions testées. « Le but est que l’étape 2 soit réalisée par des professionnels de santé formés, en lien avec des médecins généralistes et des gériatres », détaille Pauline Roger. Pour l’évaluation auditive, il s’agit de réaliser une vidéo-otoscopie – analysée plus tard par un expert –, une audiométrie tonale, vocale et vocale dans le bruit. Un compte rendu est ensuite adressé au médecin, qui peut ainsi réaliser, le cas échéant, la prescription. « Un dossier a été déposé pour valider un DPC d’otologie médicale permettant aux médecins généralistes ou gériatres ayant suivi la formation de pouvoir prescrire une audioprothèse, dans le cas d’une presbyacousie bilatérale simple sans symptôme associé (sans vertiges, acouphène invalidant, trouble du comportement, etc.), précise le Pr Bernard Fraysse, ancien président de l’Ifos, engagé dans le développement du programme Icope, sur le versant auditif (du dépistage jusqu’à la prise en charge). Les cas complexes restent adressés aux médecins ORL ». L’outil iAudiogram, qui permet d’effectuer des audiométries grâce à de l’intelligence artificielle, est actuellement à l’essai à Toulouse, pour réaliser cette étape.

Parcours de soins centré sur la fonction

« Le plan de soins personnalisé est discuté avec la personne, afin qu’il soit adapté à ses souhaits. Il faut trouver une entente, et lui fournir les recommandations les plus importantes », souligne Néda Tavassoli, coordinatrice de l’équipe régionale Vieillissement et prévention de la dépendance au Gérontopôle de Toulouse. « En cas de pathologies, il y a un adressage spécialisé et on rentre dans les pratiques habituelles. En revanche, s’il n’y a pas de pathologie mais une inquiétude sur le fonctionnel, on peut orienter les patients vers des ateliers mémoires, de la gym, des activités qui ne relèvent pas forcément du médical », ajoute la Dr Takeda.

Une dernière étape vient compléter le projet : l’implication des collectivités, au sens large. Communiquer sur le projet, favoriser l’implication des agents territoriaux dans le repérage, développer les structures pour les aidants, mettre en place des ateliers (mémoire, mobilité, etc.) bénéfiques à la population âgée, etc. sont autant de mesures qui permettent d’adapter la société au vieillissement. Des mesures vivement attendues par le secteur, alors que la loi pour le bien vieillir adoptée fin mars prévoit qu’une première mouture d’une loi de programmation pluriannuelle sur le Grand âge soit présentée avant la fin 2024. Cette loi entérine par ailleurs la généralisation du programme Icope à l’échelle nationale, laissant cependant les modalités de mise en œuvre à définir. « Les rendez-vous de prévention proposés aux personnes âgées d’au moins soixante ans contribuent à la mise en oeuvre du programme de dépistage précoce et de prévention de la perte d’autonomie », précise la Dr Takeda. Le dossier est donc sur la table des politiques.

En janvier 2024, l’expérimentation avait inclus 48 000 patients sur l’ensemble de la France, 11 000 professionnels utilisaient l'outil numérique d’Icope monitor. « Plus de 5 000 professionnels de santé ont été formés, dont un quart pour l’étape 2 », souligne Néda Tavassoli. 88 % des 80 000 repérages (étape 1) effectués ont généré une alerte. « Celle-ci peut survenir sur des pathologies déjà connues et déjà prises en charge par ailleurs, sans besoin de déclencher une étape 2 », précise le Dr Takeda. Les fonctions les plus touchées sont la cognition et l’audition. « Ces pertes auditives sont très souvent ignorées », déplore Néda Tavassoli. Un constat partagé par Pauline Roger : « Même si le 100 % Santé a été une réussite en termes de nombre de patients qui ont accès aux prothèses auditives, le dépistage ne survient pas plus tôt ». Pourtant, l’appareillage précoce est un facteur de réussite. « Notamment pour prévenir le déclin cognitif », complète le Pr Fraysse. Sensibiliser et repérer au plus tôt apparait donc primordial. En septembre 2024, les équipes toulousaines débuteront une étude pour évaluer l’efficacité à 3 ans de la démarche Icope sur le déclin fonctionnel mais également sur le plan médico-économique.

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