100 % Santé : deux classes, deux vitesses ?

Au seuil du plein déploiement du 100 % Santé, l’absence d’obligation de prise en charge des classe II par les complémentaires santé cristallise toutes les inquiétudes. Et pour cause, un moindre remboursement de ces appareils signerait l’instauration d’un système à deux vitesses.

Par Ludivine Aubin-Karpinski & Bruno Scala
(c) Vectorarte AdobeStock

C’est un grain de sable dans l’engrenage. Destinée à permettre au plus grand nombre l’accès à l’appareillage auditif en supprimant le premier facteur de renoncement aux soins – le prix –, la réforme du 100 % Santé constitue une véritable avancée pour répondre à l’enjeu de santé publique qu’est la prise en charge des troubles de l’audition. Mais, au seuil de son plein déploiement, la stratégie de certaines complémentaires santé pourrait bien en hypothéquer la réussite.

Les complémentaires pointées du doigt

Le diable se cache dans les détails, et si les complémentaires, elles aussi, contribuent à ce reste à charge nul pour les produits de classe I, elles ne sont en revanche tenues à aucune obligation pour les produits de classe II, sur lesquels se cristallisent toutes les inquiétudes. Il semble en effet qu’un certain nombre d’organismes complémentaires envisagent de diminuer les charges que cette réforme fait peser sur eux en remboursant moins les produits de classe II par rapport à ceux de classe I et ce, pour une partie importante de leurs contrats. Cette équation à une inconnue ne laisse pas d’inquiéter car une inégalité de remboursement entre classe I et classe II contribuerait à créer un appel d’air vers le panier « 100 % Santé » au détriment du panier « libre ». Une situation qui, si elle prospère en 2021, videra la réforme de son sens. « Nous savons que ce ne sera pas exceptionnel, commente Luis Godinho, président du SDA, qui avait déjà tiré la sonnette d’alarme en février 2020*. Clairement, toutes les complémentaires ne jouent pas le jeu du 100 % Santé et vont nuire à cette réforme en augmentant le reste à charge de ceux qui choisissent la classe II. » Même constat du Synea dans son communiqué du 25 novembre 2020, qui conclut : « La prise en charge des malentendants ne doit pas être la variable d’ajustement de la réforme du 100 % Santé ».

Toutes les complémentaires ne jouent pas le jeu du 100 % Santé et vont nuire à cette réforme en augmentant le reste à charge de ceux qui choisissent la classe II.

Luis Godinho, président du SDA.

100 sante tarif prise en charge
Prise en charge financière des aides auditives prévue par la réforme du 100 % Santé, à partir du 1er janvier 2021

Laurence Hartmann, économiste de la Santé, incite à une certaine vigilance quant à la façon dont la réforme sera interprétée et appliquée en 2021 : « La réforme n’a pas stipulé de condition minimale pour la couverture complémentaire d’un appareil de classe II. Positionner le remboursement AMC des appareils de classe II en dessous de celui des appareils de classe I pour les contrats de base des complémentaires relèverait d’une démarche anti-concurrentielle. » Cette stratégie aurait pour conséquences d’une part « d’inciter les acheteurs à se reporter sur la classe I et donc à contraindre leurs choix en augmentant artificiellement le prix d’accès aux appareils de la classe II, explique l’économiste. Cela consisterait aussi à contourner la réforme en faisant subventionner (pour la part complémentaire) les appareils de classe I par les acheteurs qui continuent à choisir les appareils de classe II ».

Positionner le remboursement AMC des appareils de classe II en dessous de celui des appareils de classe I pour les contrats de base des complémentaires relèverait d’une démarche anti-concurrentielle.

Laurence Hartmann, économiste de la santé.

D’autre part, cela « découragerait les acheteurs à conserver cette complémentaire moins couvrante ou plus contraignante que la grande majorité des autres complémentaires santé, et donc à introduire une forme de sélection de clientèle (cette clientèle étant généralement plus âgée et donc ayant des dépenses de soins plus élevées). Celle-ci engendrerait une concurrence totalement déloyale entre les complémentaires sur le marché. » En d’autres termes : une « sélection du risque qui ne dit pas son nom, inadmissible et contraire aux engagements des contrats responsables et solidaires », selon Luis Godinho.

À l’approche de l’échéance, les protagonistes se positionnent. Toutes les grilles de remboursement ne sont pas encore disponibles mais certaines complémentaires ont d'ores et déjà annoncé respecter l'esprit de la réforme. C’est en tout cas la voie prise par l’Unéo, première mutuelle des forces armées, qui a décidé d’aligner le remboursement des produits de classe II sur celui de la classe I au 1er janvier 2021. « Nous avons ainsi décidé de garantir à nos adhérents le libre choix de leur équipement, explique Quentin Bériot, son directeur général. Et nous pensons que celui-ci ne doit pas être dicté par les garanties de leurs contrats. Nous nous inscrivons dans une logique de qualité en proposant des solutions adaptées aux militaires dont nous connaissons les particularités d'exercices et les risques spécifiques. C’est dans cet esprit que nous avons mis en place un accord avec le SDA. Nous sommes engagés ensemble dans un nécessaire meilleur suivi des troubles de l'audition des personnes que nous protégeons. »

Influence sur le choix

Quels risques fait peser sur la réforme une différenciation des remboursements des produits de classe II par rapport à ceux de classe I ? Celle-ci est contraire à l’esprit qui a présidé au 100 % Santé et notamment à la liberté de choix des patients. Les assurés doivent pouvoir en principe accéder aux équipements du panier libre, de gamme plus élevée, et bénéficier du même socle de remboursement, en finançant tout ou partie du dépassement. Voilà pour la théorie ; d’aucuns diront la promesse… En pratique, la politique de différenciation des remboursements menée par certaines complémentaires pèsera nécessairement dans la décision finale des assurés qui détermineront leur choix sur un critère financier plutôt que sur leurs exigences audioprothétiques. « Ces personnes, du fait des garanties de leurs complémentaires, ne pourront qu’être mécontentes que le 100 % Santé entraîne une restriction de leur liberté de choix », prévoit Luis Godinho. Une crainte que partage Richard Darmon, vice-président du Synea : « C’est un des principes fondateurs de cette réforme qui a été réaffirmé par le ministère à plusieurs reprises. Un patient peut accepter de payer au-delà du RAC 0 pour obtenir un appareillage plus adapté à son besoin. En revanche, il lui sera extrêmement difficile de renoncer, en plus, à une partie de ses droits sur le remboursement. D’autant que certains Ocam semblent introduire un écart de remboursement de plusieurs centaines d’euros entre les deux classes. Il s’agit bien d’une entrave au choix du patient. » Et un problème d’équité entre les assurés. Richard Darmon ajoute : « Les assurés ne pouvant s’offrir que les contrats les moins chers, subiront plus fréquemment cette pénalisation. En agissant ainsi, les Ocam ne jouent plus leur rôle de mutualisation des risques et introduisent une nouvelle inégalité sociale. Les organismes payeurs doivent être au service d’une politique de santé et non d’une réalité financière. »

La prise en charge des malentendants ne doit pas être la variable d’ajustement dans la mise en place de la réforme du 100% Santé.

Richard Darmon, vice-président du Synea

À cela s’ajoute l’aspect psychologique. Un remboursement inférieur de la classe II induit, en creux, une dépréciation de la valeur du service médical rendu de ces produits. Autrement dit, si les complémentaires ne les remboursent pas à la même hauteur que les produits 100 % Santé, c’est qu’ils ont une vertu thérapeutique moindre ou qu’ils relèvent de produits de confort. Or, comme l’explique Richard Darmon, « ce ne sont pas des produits de luxe. Ils correspondent à des niveaux de sophistication technologique supérieurs qui permettent de traiter des pathologies complexes ou des besoins complexes (lire encadré ci-dessous). Pourquoi les patients concernés, qui subissent souvent un handicap auditif supérieur, seraient-ils punis par un remboursement réduit ? Pourtant le ministère de la Santé a montré la voie en remboursant les deux classes au même niveau. Il a ainsi considéré que l’utilisation des appareils auditifs de classe II répond aux mêmes enjeux de santé que les produits de classe I ».

Observance et satisfaction patient en jeu

Mais, au-delà de se voir dénier sa liberté de choix, le patient, en étant « orienté » vers un appareil sans reste à charge, risque d’opter pour un appareillage qui ne sera pas adapté à ses besoins. Le choix d’un équipement repose sur l’analyse conjointe des besoins auditifs et non auditifs du patient. Une compensation inefficace de son déficit auditif aura des conséquences sur son observance thérapeutique, gage du succès de son appareillage. L’observance pourrait aussi diminuer pour des raisons qui n’ont pas trait à la réhabilitation de l’audition stricto sensu, par exemple si le patient n’a pas pu accéder à certaines options qui lui aurait rendu le port des aides auditives moins contraignant (typiquement, le rechargeable). Cette situation pourrait aussi entraîner une diminution de la satisfaction des patients appareillés, alors qu’en France, elle est la plus élevée d’Europe, selon les statistiques EuroTrak (82 % de satisfaction globale EuroTrak France, 2018). « Il serait regrettable qu’une réforme qui vise à un meilleur accès à l’appareillage auditif conduise à une régression en matière de satisfaction des patients et d’observance », s’alarme Richard Darmon. Une bonne réforme, mal mise en oeuvre. Un paradoxe qui soulève l’inquiétude de nombre d’audioprothésistes. Comment gérer en effet l’insatisfaction de ces patients, pendant quatre années de suivi ?

Enfin, une augmentation importante du volume de classe I aura un impact sur le secteur avec le risque d’une réduction de l’offre de soins. Or, « les complémentaires qui n’augmenteront pas leur remboursement sur les produits de la classe II n’auront quasiment pas de coûts additionnels dans l’audition, affirme Richard Darmon. Elles seraient alors les seuls acteurs à ne pas faire d’effort financier dans cette réforme ! Même si certains disent avoir à supporter des dépenses supérieures à celles prévues, la prise en charge des malentendants ne doit pas être la variable d’ajustement dans la mise en place de la réforme du 100 % Santé. » Autant d’arguments qui poussent les représentants et syndicats en audioprothèse à demander au gouvernement « d’aligner le plancher des remboursements obligatoire et complémentaire des appareils de classe II sur celui de la classe I ».
Pour éviter que certains aides auditives finissent dans le tiroir à l’ère du 100 % Santé...

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