Cognition, effort d’écoute et appareillage : état des lieux

Associés, les aspects cognitifs et la notion d’effort d’écoute prennent une place grandissante dans le processus d’appareillage. C’est ainsi que la SFA en a fait le thème de son 3e e-colloque, en décembre 2023.

Par Stéphane Davoine
(c)olly AdobeStock

Parce qu’elles disposent d’une sensibilité réduite à certains indices sonores, les personnes malentendantes doivent mobiliser plus de ressources cognitives que les individus normo-entendants pour traiter des stimuli auditifs. Cette affectation volontaire de ressources mentales définit le concept d’effort d’écoute. Même si l’appareillage offre un meilleur accès aux sons, la compréhension de la parole dans le bruit demeure généralement une situation qui exige un effort d’écoute élevé. Au risque d’induire une fatigue cognitive pouvant réduire la capacité de compréhension de l’auditeur. Vérifier l’évolution de l’effort d’écoute après l’appareillage offre ainsi un indicateur complémentaire aux scores d’intelligibilité car ces derniers ne renseignent pas sur la charge cognitive supportée par l’utilisateur.

La littérature montre que l’effort d’écoute est lié à la motivation qu’un individu alloue à une tâche d’écoute [1]. Une motivation dont l’intensité dépend de l’évaluation du rapport entre la charge cognitive impliquée par la tâche et la probabilité de s’en acquitter avec succès. « Le lien entre cognition et effort d’écoute s’incarne aussi dans cette approche cognitive de la motivation et le fait que des efforts constants peuvent entraîner un stress chronique, des stratégies d’évitement et un désengagement progressif des interactions sociales avec, au final, un impact négatif sur les capacités cognitives de l’individu », a expliqué Emmanuèle Ambert-Dahan, docteure en psychologie cognitive, et orthophoniste à la Pitié-Salpêtrière. La charge cognitive évaluée par l’auditeur est, elle, déterminée par trois groupes de facteurs principaux : les capacités cognitives de l’individu, les spécificités de l’interlocuteur et celles de l’environnement.

Une évaluation complexe

Pour des motifs de praticité et de simplicité d’application, l’évaluation de l’effort d’écoute dans la pratique clinique se fait via des outils subjectifs (questionnaires et échelles visuo-analogiques). Plutôt réservées aux études, les méthodes objectives incluent la variabilité du rythme cardiaque, la conductance de la peau et la pupillométrie. Objectives ou non, toutes ces évaluations apprécient l’effort d’écoute à l’aune d’une tâche précise. Elles ne rendent pas compte de la charge cognitive que le patient subit au quotidien, qui est multidimensionnelle et qui résulte d’un ensemble de situations sonores. Ce que les études corroborent. « La littérature [2] montre que ces différentes méthodes présentent une faible corrélation entre elles, ce qui illustre le fait que l’effort d’écoute résulte de nombreux facteurs et que chaque mesure peut refléter plus particulièrement l’un d’eux », a ainsi rappelé Annie Moulin, chercheuse au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Le questionnaire EEAS10 (Extend Effort Assessment Scale) cherche à pallier cette faiblesse en permettant une appréciation plus pertinente de l’effort d’écoute journalier. Conçu par Thomas Ferschneider, audioprothésiste et docteur en neurosciences au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, et Annie Moulin, l’outil évalue des situations dans le calme, dans le bruit mais également en environnement réverbérant. Avec un objectif d’amélioration de l’expérience des personnes appareillées. « L’outil vise à faciliter l’appréciation de l’effort d’écoute et de son évolution – une appréciation rendue difficile par la modification de la mémoire auditive et sensorielle consécutive à l’appareillage – et ainsi permettre un rétro-contrôle sur le réglage des appareils », a précisé Mathieu Ferschneider. Récemment validé sur 480 patients, le questionnaire EEAS10 est disponible gratuitement.

L’effort d’écoute facteur du déclin cognitif ?

Les études montrent qu’un déficit de cognition affecte l’effort d’écoute en l’augmentant, pour faire face à la tâche, ou en le réduisant, si celle-ci est considérée comme trop ardue. À l’inverse, la possibilité que l’effort d’écoute impliqué par la perte périphérique soit un facteur du déclin cognitif est aujourd’hui également envisagée. « Selon cette hypothèse, la surdité, qui implique un effort pour communiquer, impacterait les autres fonctions cognitives, ce qui favoriserait le dépôt dans le liquide céphalo-rachidien de la protéine tau – un marqueur du processus dégénératif –, entraînant des troubles du traitement auditif central et, au final, un déclin cognitif », a exposé la Dr Isabelle Mosnier, responsable de l’unité fonctionnelle implants auditifs de la Pitié-Salpêtrière et présidente de la SFA.

Selon cette dernière, le patient malentendant avec déficit cognitif présente un double défi. L’évaluation de sa perte auditive doit prendre en compte les problèmes de cognition, et vice versa. Pour ce faire, pas de recette miracle mais l’interdisciplinarité et les recherches croisées doivent primer. La connaissance des tableaux cliniques des principaux troubles neurodégénératifs est un prérequis pour un repérage plus efficace. Programmer l’évaluation auditive à des moments où la personne est la plus alerte, permettre la présence des aidants et considérer que les instructions sont quelquefois mal comprises font également partie des bonnes pratiques. Pour la détection des troubles cognitifs, des versions adaptées dans leur mode de présentation des tests de dépistage cognitif – avec des consignes visuelles ou en omettant les items dépendant de l’audition – sont à privilégier. Dans le cas inverse, il sera nécessaire de nuancer les scores. La recherche de déficits cognitifs chez les patients malentendants est récente avec une tendance à la prudence avant de les orienter vers une analyse plus pointue. « Des résultats inférieurs aux normes sont fréquents chez les patients atteints de surdité mais le plus souvent avec des discordances en termes de types de troubles et de tableaux cliniques, suggérant que la cause est le trouble auditif, et que la rééducation auditivo-cognitive via l’appareillage permettra souvent de normaliser », a relaté Auriane Gros, orthophoniste à Nice, maîtresse de conférences en neurosciences à l’université Côte d’Azur et au laboratoire CoBTeK.

Sans recommandations précises pour adapter leurs pratiques, les audioprothésistes devraient s’appuyer sur les spécialistes de la cognition à toutes les étapes du processus d’appareillage afin de bénéficier d’une connaissance optimale du contexte cognitif du patient. Et de concevoir des attentes réalistes. « Parfois, les objectifs audiologiques sont limités, la qualité de vie du patient et de son entourage devenant la référence pour l’évaluation du bénéfice », a observé Christian Renard, audioprothésiste dans le Nord.

Les biomarqueurs à la rescousse

Un domaine pourrait bientôt être synonyme d’avancées, celui des biomarqueurs utilisés pour diagnostiquer avec précision les maladies neurodégénératives. Jusqu’à présent leur dosage nécessitait le liquide céphalo-rachidien, une procédure qui freine la généralisation de ce diagnostic. Pas pour longtemps toutefois. « D’ici deux ans, grâce à des méthodes de détection de nouvelle génération, ces marqueurs biologiques pourront être repérés dans le sang, où ils sont présents en très faible concentration », a expliqué le Dr Nicolas Villain, neurologue et chercheur à l’Institut du cerveau. Les biomarqueurs sanguins permettront de confirmer des atteintes cognitives de manière précoce plus aisément. Et contribueront à ce que l’appareillage intervienne dans des conditions cognitives favorables pour qu’il joue à plein le rôle que la science lui reconnaît progressivement dans le maintien de la cognition du patient.

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