Fraudes : vers un contrôle généralisé

Après que des contrôles en Seine-Saint-Denis ont révélé l’existence de fraudes massives concernant les remboursements d’aides auditives, la Cnam a annoncé la mise en place de contrôles généralisés sur tout le territoire.

Par Ludivine Aubin-Karpinski
fraude

L’étape 2 du 100 % Santé en audiologie pourrait bien être placée sous le signe du contrôle. Lors d’un point d’étape à la presse sur le bilan des six premiers mois 2023 du plan de lutte contre les fraudes à l’Assurance maladie, Thomas Fatôme a annoncé la mise en place d’un programme d’actions de contrôle déployé au niveau national sur le secteur de l'audioprothèse, face à l’identification de fraudes massives par certaines CPAM. « Le 100 % Santé en audiologie est un succès majeur dans l’accès aux soins mais cette réussite coûte de l’argent, a commenté le directeur général de la Cnam. Quand il y a davantage de dépenses, mécaniquement on voit apparaitre des phénomènes de fraudes. En audioprothèse, elle pourrait représenter plusieurs dizaines de millions d’euros. »

Un montant estimé sur la base du préjudice calculé par la CPAM 93 suite à la détection de plusieurs escroqueries. Celles-ci sont de natures assez diversifiées : « Exercice illégal de la profession d’audioprothésiste, absence de suivi, facturation fictive, équipement délivré qui n’est pas celui facturé, falsification d’ordonnances... Malheureusement, le cocktail d’une situation frauduleuse, mais dans un domaine qui est en expansion très importante », a résumé Thomas Fatôme. « Tout démarre fin 2022, avec nos clignotants qui passent au rouge en audioprothèse avec d’une part des signalements des assurés et, d’autre part, au travers de nos contrôles classiques », a expliqué Aurélie Combas-Richard, directrice générale de la CPAM de Seine-Saint-Denis. Ces signaux d’alerte conduisent la CPAM à mener des contrôles approfondis sur l’ensemble des factures présentées en 2023 pour des appareils auditifs. Les vérifications auprès des assurés, menées par téléphone, permettent de confirmer l’existence de facturations fictives et, rapidement, deux entreprises sont identifiées. Deux plaintes sont déposées au pénal, pour un préjudice estimé à près de 2,3 M€. Une enquête policière est en cours. Les deux sociétés ont arrêté leurs activités et sont actuellement en redressement judiciaire. La CPAM les a assignées en liquidation judiciaire pour obtenir une interdiction de gestion auprès du gérant et a également stoppé la procédure de transfert de fonds à l’étranger tentée par l’une des deux entreprises.

Les contrôles approfondis ont permis en outre d’arrêter 3,7 M€ de demandes de remboursement frauduleux ou injustifiés en Seine-Saint-Denis. « Cela représente environ 360 sociétés », a précisé Aurélie Combas-Richard. Douze nouvelles plaintes ont été déposées en prime à l’issue de cette vague de vérifications, dont six qui ne concernent pas uniquement le département. « Ce sont des réseaux qui sont organisés et structurés et qui ont plusieurs boutiques dans différents départements d’Ile-de-France », poursuit la directrice générale de la CPAM de Seine-Saint-Denis, qui fait ses comptes : « Depuis le mois de janvier, on a 17 % des factures d'audioprothèses qui sont frauduleuses. » Et ce sont surtout les structures nouvellement créées qui sont responsables de ces fraudes, comme l'illustre la directrice générale : « Sur 109 sociétés d'audioprothèse en Seine-Saint-Denis, 55 ont été créées depuis la mise en place du 100 % Santé. On trouve, en proportion, davantage de fraudeurs parmi ces dernières. » 

Enfin, ne s’arrêtant pas en si bon chemin, la caisse primaire a contrôlé les remboursements effectués en 2022 pour un résultat de 2,3 M€ d’indus... L’addition est salée : ce sont au total 8,3 M€ de préjudice pour le département. Des montants « substantiels pour une seule caisse primaire, fût-elle de bonne taille, a reconnu Thomas Fatôme. Ils nous ont invités à nous mobiliser très fortement sur un plan d’action et illustre cet équilibre que nous recherchons sans cesse entre accès aux soins et lutte contre la fraude, entre un remboursement rapide et la nécessité de trouver des moyens plus efficaces a priori et a posteriori de prévention et de contrôle ».

L'audioprothèse dans le collimateur

Deux actions seront donc menées au niveau national en audioprothèse : le déploiement sur l’ensemble du territoire – avec un focus sur l’Île-de-France – d’un contrôle approfondi des dossiers sur la base d’indicateurs tels que des délivrances abondantes à des jeunes adultes et le contrôle ciblé, dans les semaines à venir, de 130 sociétés d’audioprothèses identifiées via de fortes « atypies » de facturations. 

Ces mesures, que l'Assurance maladie veut exemplaire de sa stratégie de lutte contre les fraudes annoncée en septembre 2022 et des résultats déjà obtenus, satisfont le SDA. « Nous appelons à davantage de contrôle depuis longtemps, commente Brice Jantzem, le président du syndicat. Nous espérons que cela conduira à la mise en place d’un ordre ou l’identification du professionnel de santé. Mais il ne faut pas confondre sociétés mafieuses et audioprothésistes diplômés d’État. Il semblerait que les médias aient bien compris la différence et la Cnam aussi. C’est un motif de satisfaction. Nous sommes néanmoins inquiets de l’ampleur du phénomène. Il nous paraît peu probable que ces chiffres puissent être le reflet de la situation à l’échelle de la France entière, même s’ils restent trop importants à nos yeux. Nous nous interrogeons sur la façon dont ces sociétés mafieuses se sont procurées des numéros de sécurité sociale et de mutuelles... » L'Assurance maladie a indiqué que « la majorité » des sociétés incriminées étaient des entreprises récentes créées opportunément pour tirer profit du 100 % Santé en audiologie.

Les sanctions prévues seront fonctions du type de fraude : des pénalités financières en cas de surfacturation, la voie conventionnelle en cas de non respect des engagements, avec possibilité de déconventionnement en urgence pour les cas graves, la voie pénale en cas de facturation d'actes fictifs ou de participation à un trafic de médicalements en bande organisée et la voie ordinale, en cas de pratiques dangereuses ou non déontologiques.

La qualité des soins

Le point d'étape a également été l'occasion pour le directeur général de la Cnam de rappeler l'autre enjeu du 100 % Santé en audiologie, au-delà du risque de fraudes : celui de la qualité des soins. « Cet appareillage nécessite en effet un suivi et des réglages réguliers pour être efficace », a rappelé Thomas Fatôme. Il a rappelé à cet égard les actions d'accompagnement menées, entre décembre 2022 et avril 2023, auprès des assurés et des audioprothésistes. Avec des résultats qu'il juge « probants » : « On a remis le système à l'endroit en termes de qualité ». Cette action a permis de doubler le nombre de télétransmissions de rendez-vous de suivis entre le 1er semestre 2022 et le 1er semestre 2023 (462 000 contre 1 102 000).

Si les audioprothésistes se trouvent dans le viseur de l'Assurance maladie, toutes les professions de santé font l'objet d'une surveillance accrue. Sur les si premiers mois de 2023, environ 147 millions d'euros de fraudes ont été détectés ou stoppés. Des chiffres en lien avec l'objectif de l'Assurance maladie d'atteindre 380 millions de fraudes en 2023, et 500 millions en 2024.

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