Guillaume Joucla : « Le service rendu aux audioprothésistes est au cœur de nos préoccupations »

Guillaume Joucla a pris la direction générale de Sonova France fin 2021, dans une période de transition pour le secteur de l’audioprothèse. Chiffres de vente record, explosion de la classe I, équilibre économique de la filière, qualité de la prise en charge... autant d’enjeux forts sur lesquels le fabricant compte bien jouer sa partition. Entretien.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski
G. Joucla site

Audiologie Demain (AD) : Vous connaissez bien le secteur de l’audioprothèse ayant dirigé Widex France de 2014 à 2016. Quel regard portez-vous sur son évolution ces dernières années ?

Guillaume Joucla (GJ) : C’est un vrai plaisir pour moi de retrouver ce secteur en prenant la direction générale de Sonova France. L’audition est aujourd’hui de mieux en mieux acceptée du grand public. La prise de conscience progressive, au cours des dernières années, de l’importance de l’audition et de ses liens avec la cognition, mais aussi de son impact sur le plan économique, a conduit à la mise en place de la réforme du 100 % Santé. Et, à sa formidable réussite auprès des malentendants. Selon les chiffres communiqués par le SDA, nous avons enregistré 70 % de nouveaux entrants sur le marché. Ce sont des données qui ne peuvent que prêter à l’optimisme.

Par ailleurs, je trouve que c’est une filière au sein de laquelle les syndicats jouent vraiment leur rôle, avec des professionnels très actifs et engagés pour assurer la pérennité du métier et qui sont entendus aujourd’hui des pouvoirs publics.

AD : Vous avez pris la direction de Sonova France en novembre 2021. Où en est l’entreprise aujourd’hui et comment vous situez-vous par rapport à vos concurrents ?

GJ : La question pour moi n’est pas tant de savoir comment nous nous situons par rapport à des concurrents mais plutôt comment Sonova est perçu par ses clients. L’étude Audioscope de Gallileo d’octobre 2021 [1] montre qu’en termes de performance globale, Phonak est évaluée comme le premier fournisseur avec lequel les audioprothésistes travaillent régulièrement pour 76 % d’entre eux. Ceci s’explique notamment par le fait qu’elle est considérée par les audioprothésistes comme la marque la plus connue des ORL, la plus innovante aussi, celle dont les produits sont les plus performants et fiables et comme celle qui se soucie le plus de ses clients audioprothésistes et de la relation qu’elle entretient avec eux. Le service rendu aux audioprothésistes est au cœur de nos préoccupations et nous conduisons régulièrement des enquêtes de satisfaction pour toujours adapter nos priorités aux attentes de nos partenaires.

La filiale française connaît un développement très fort de son chiffre d’affaires, tiré évidemment par l’importante croissance des ventes de classe I mais également des appareils de classe II. Au niveau du groupe, nous enregistrons une progression de 49 % par rapport à l’exercice précédent à la fin du 1er semestre 2021. Mais, au-delà de ces chiffres très positifs, ce qui m’importe avant tout est le fait que nos marques sont appréciées et considérées comme des références pour les audioprothésistes. Cela tient à la mission de Sonova de favoriser un monde dans lequel il existe une solution pour chaque perte auditive. Celle-ci est portée par tous les collaborateurs de l’entreprise aujourd’hui et s’exprime dans le souci d’amélioration permanente et la notion de qualité de service, prépondérante au sein du groupe. C’est essentiel car, au bout, il y a des personnes dont nous contribuons à améliorer la vie au quotidien. Et, c’est ce qui guide à la fois l’innovation, forte chez Sonova, et notre proximité avec nos clients.
Ceci se traduit par l’existence de trois marques solides, Phonak, Unitron et Hansaton, qui nous permettent de répondre à tous les besoins, avec des positionnements clairs et complémentaires. Toutes bénéficient des synergies du groupe, bien que distinctes commercialement et sur le terrain.

AD : Votre entrée en fonction se fait dans une période très particulière pour le secteur. Quelle est votre feuille de route pour les prochains mois ?

GJ : J’ai rejoint Sonova avec la mission de continuer à générer de la croissance bien sûr, mais surtout d’accompagner le marché dans cette période de transition suite à l’entrée en vigueur du 100 % santé. La réforme fait naître en effet de nombreux enjeux et c’est notre rôle de contribuer à développer la profitabilité du marché tout en valorisant le métier d’audioprothésiste et son expertise de professionnel de santé. Le premier écueil à éviter serait de perdre la composante médicale de la profession. Nous vendons – et les audioprothésistes adaptent – des dispositifs médicaux et il n’est dans l’intérêt de personne de basculer dans un marché de masse en banalisant l’équipement et l’acte d’appareillage à coups d’offres promotionnelles et autres « big deals ». Le risque de ce genre de dérives est double et, tout d’abord, d’avoir des patients mal équipés, qui ne portent pas leurs appareils ou les abandonnent, avec toutes les conséquences que l’on sait en termes de santé publique. Cela coûtera en définitive plus cher à la société que d’équiper des gens avec des appareils de classe II, par exemple…

L’autre risque est d’ouvrir la porte à un service « mainstream », tiré vers le bas, et des produits de type assistants d’écoute, délivrés par les pharmaciens quand ils ne seront plus occupés à réaliser des tests antigéniques. Ce scénario se soldera inévitablement par une audition à deux vitesses avec, d’un côté, des patients qui auront les moyens d’aller voir un médecin, puis un audioprothésiste et de bien s’appareiller et, de l’autre, des personnes moins averties ou plus modestes qui seront moins bien prises en charge…

Il n’est dans l’intérêt de personne de basculer dans un marché de masse en banalisant l’équipement et l’acte d’appareillage à coups d’offres promotionnelles et autres « big deals ».

AD : Comment concrètement comptez-vous répondre à ces enjeux ?

GJ : En contribuant à la création de valeur ajoutée sur ce marché. Il est de la responsabilité des fabricants d’améliorer continuellement la qualité de leurs appareils et, donc, du service rendu aux patients. Cela passe bien sûr par un fort investissement en recherche et développement pour continuer de proposer de véritables innovations technologiques. Dire qu’on a le meilleur son de la terre ne suffit plus à justifier un reste à charge ; il est important d’apporter des bénéfices tangibles et compréhensibles, véritablement différenciants, aux consommateurs. C’est ce que Sonova s’apprête à faire avec le lancement de deux innovations au printemps prochain… Mais je vous donne rendez-vous à partir du congrès des audioprothésistes et en septembre pour vous en dire plus !

Le deuxième axe de notre stratégie aujourd’hui est d’accompagner les audioprothésistes dans la création et la gestion du trafic dans leurs centres. Ils ont été débordés en 2021, mais il est probable que le marché revienne progressivement à un rythme de croissance normal. On peut estimer que cette année sera légèrement positive en volume et légèrement négative en valeur. Notre objectif est donc à la fois de les aider à optimiser leur temps pour s’occuper de ce flux additionnel mais aussi de préparer l’après en générant du trafic dans les centres. Nous allons ainsi investir massivement en mars en télévision pour faire découvrir les solutions de haute technologie de la gamme Paradise de Phonak au plus grand nombre et permettre aux audioprothésistes de bénéficier des contacts générés.

Enfin, nous souhaitons participer à améliorer encore la démocratisation de l’appareillage auditif. Le recours massif aux aides auditives avec l’instauration du 100 % Santé va largement contribuer à cette évolution positive. Que ce soit au sein du cercle familial, dans la rue ou au travail, nous sommes de plus en plus amenés à côtoyer des utilisateurs satisfaits, ce qui contribue à déstigmatiser le port de l’aide auditive. Demain, il sera aussi banal de s’équiper lorsque l’on a une perte d’audition que de porter des lunettes, à condition toutefois de maintenir la qualité du service rendu et que celle-ci soit perceptible. Pour cela, Sonova étoffe son offre de services aux audioprothésistes pour les aider à la fois sur les aspects techniques de leur métier, en améliorant leur expertise, mais également au niveau commercial, notamment en leur donnant des clés pour justifier une montée en gamme et valoriser pleinement le potentiel de l’appareil une fois équipé. Nous nous positionnons non seulement comme un fournisseur de produits de haute technologie mais les soutenons également dans leur pratique au quotidien pour améliorer leurs performances et les inciter à mieux composer également avec leur écosystème.

AD : Avec le 100 % Santé, des produits atypiques comme le Lyric de Phonak, qui n’est pas remboursé, ont-ils encore leur place ?

GJ : J’ai pu le constater dans d’autres secteurs, il est toujours présomptueux de se mettre à la place du patient pour mesurer un service rendu par rapport à son prix. Bien que Lyric ne soit pas remboursé, nous continuons à en vendre. Des patients choisissent cet appareil car ils sont séduits par le port permanent et l’aspect invisible d'une solution dont ils n’ont pas à se soucier pendant plusieurs semaines. Les insights consommateurs tels que celui-ci ne sont généralement pas touchés par les évolutions de marché. Les produits comme Lyric existeront toujours parce qu’ils répondent à un besoin très précis, qui n’est pas lié à une politique de remboursement mais à une attente : celle de mieux entendre et d’oublier sa perte d’audition. Ils s’adressent à une typologie de consommateurs et d’audioprothésistes qui ont une approche différente.

AD : La mission Igas, qui vient de rendre son rapport (voir notre dossier p. 32), envisage la révision des caractéristiques techniques de la classe I, et notamment l’intégration du rechargeable, autour du deuxième semestre 2022.

Qu’en pensez-vous ? GJ : J’estime qu’il n’y a pas lieu pour le moment de modifier la nomenclature. Les produits de classe I aujourd’hui sont de très bonne qualité. Et, alors que la « clause de volume » fixée par le gouvernement de 40 % de classe I est largement atteinte, ce n’est définitivement pas le cas en optique. S’il doit y avoir révision des termes de l’accord, je pense que la priorité n’est clairement pas l’audioprothèse, a fortiori si l’on considère le montant des dépenses de santé concernées. Les chiffres de 2021 prouvent que le secteur a joué le jeu.

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