18 Décembre 2024

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« L'Assurance maladie ne veut qu'une chose, c’est rembourser le bon produit au bon patient, au bon moment »

Deux ans après la publication au Journal officiel de la convention nationale des audioprothésistes, un premier avenant a été signé le 4 novembre, à l’aube des premiers renouvellements du 100 % Santé. Un timing loin d’être fortuit car le texte vient renforcer l’arsenal de l’Assurance maladie pour lutter contre la fraude en audioprothèse. La Dr Sophie Kelley, responsable du département des produits de santé à la Cnam, revient pour Audiologie Demain sur sa portée.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski
S. Kelley web
La Dr Sophie Kelley, responsable du département des produits de santé à la Cnam.

Le premier avenant à la convention nationale des audioprothésistes a été publié au Journal officiel le 4 décembre et entrera en vigueur le 1er janvier 2025. Quels enjeux ont motivé sa rédaction ?

Tout d’abord, dans une vie conventionnelle, les avenants, les précisions, les ajouts sont fréquents. Et, nous avions en ligne de mire la date anniversaire des premiers renouvellements du 100 % Santé. Il nous est également apparu que la convention telle qu’elle était rédigée comportait quelques lacunes. Nous voulions insister sur trois choses. Nous souhaitions renforcer la sécurité de la facturation face à des fraudes importantes qui ont été détectées, notamment en 2023 où nous avons enregistré un pic à 21,3 millions d'euros. Cela se traduit par l’exigence de la présentation de la carte Vitale au moment de la facturation, sauf pour quelques cas particuliers. Deuxièmement nous voulions simplifier les procédures de sanctions conventionnelles pour les rendre plus dissuasives. Et troisièmement, nous souhaitions accroitre les échanges d'informations entre les CPAM et les professionnels.

Pouvez-vous détailler ces différents aspects ?

Nous avons en effet procédé à plusieurs modifications. Dans la convention nationale, il y avait la possibilité de recourir à un certain nombre de flux dégradés qui permettaient de facturer à l’Assurance maladie sans nécessairement avoir le support carte Vitale ou l’appli carte Vitale. Il nous est apparu qu’il fallait lier la facturation en tiers payant à cette présentation de la carte Vitale pour la sécuriser en supprimant la possibilité d’utiliser ces flux dégradés. D’autant plus que nous sommes dans un système où il y a beaucoup de rendez-vous entre les patients et les audioprothésistes en amont de la facturation, qui sont autant d’occasion de les prévenir qu’ils doivent avoir leur carte Vitale (carte ou application mobile).

Concernant les procédures de sanctions conventionnelles, le système préexistant était assez complexe et s'appuyait finalement beaucoup sur les remontées des instances locales à l’échelon national. Avec l’avenant, nous avons souhaité déléguer aux commissions régionales l’arsenal de sanctions de façon à être beaucoup plus réactif. En effet, jusqu’à présent, lorsque la sanction demandée au niveau local dépassait un certain niveau – par exemple une suspension de la possibilité de tiers payant au-delà de 15 jours –, la décision finale était renvoyée devant l’Uncam. C’était un système assez lourd et lent. Désormais, l'instance régionale a les pleins pouvoirs.

Enfin, les antennes locales sont amenées à échanger des informations régulièrement avec les professionnels, au moment de l’installation et au cours de la vie conventionnelle, notamment à l’occasion de contrôles. Pour homogénéiser les pièces demandées et fluidifier ces échanges, nous avons souhaité les inscrire dans la convention.

Pourquoi ne pas avoir supprimé le mode dégradé également pour le suivi ?

Notre objectif principal était de sécuriser le système contre ce que nous appelons les « coquilles vides », des structures fictives qui se créent rapidement, génèrent des flux de facturation anormalement élevés et disparaissent peu de temps après. Les prestations de suivi sont moins sujettes au risque de fraude. La facturation des consultations a une visée de traçabilité à faible enjeu financier. Il ne nous est pas apparu prioritaire de le faire figurer dans l’avenant, mais nous allons suivre cela de près et s'il y a besoin d'aller encore plus loin dans la sécurisation des flux, nous nous reverrons avec nos partenaires conventionnels et nous ajusterons la convention. Et je dois dire que l'ensemble des partenaires étaient tout à fait motivés et engagés à faire en sorte que les fraudes diminuent dans le secteur. C’est un sujet qui fait l’unanimité.

L’Assurance maladie n’en attache pas moins d’importance au suivi. Sachant toutes les conséquences que peut avoir une surdité non traitée notamment en termes de dépendance, nous sommes mobilisés pour rappeler régulièrement aux assurés à quel point il s'agit d’une étape cruciale pour la réussite de leur appareillage. Sans quoi, celui-ci n’est pas utile.

Grâce à ce dispositif, les patients sont mieux appareillés en France qu'ailleurs et c'est vraiment ce qu'il faut garder à l'esprit quand on parle du 100 % Santé en audiologie.

Justement, l’arrêté du 14 novembre 2018 a introduit la notion de satisfaction patient, mais il n’existe toujours pas de questionnaire pour l’évaluer. Qu’est-ce qui bloque ?

La plateforme EvalSanté, développée par l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH), devrait lancer la diffusion de ce questionnaire auprès des patients courant 2025. Nous serons attentifs aux remontées et s’il s’avère que les patients ne sont pas satisfaits, nous devrons améliorer le dispositif.

Certains acteurs – le SDA en l’occurrence – auraient souhaité aller plus loin et rendre obligatoire la présentation de la carte CPS – qui permet à son titulaire d’attester de son identité et de ses qualifications professionnelles – au moment de la facturation. Pourquoi cela n’a pas été retenu ?

À ce stade, nous n'envisageons pas d'imposer une facturation en lien avec la carte CPS, même si cela a été évoqué. Mais c'est quelque chose que nous allons suivre et qu’il sera toujours possible de faire évoluer. Il semblait compliqué, aux yeux de certains syndicats, de le mettre en place d’un point de vue organisationnel au niveau du secteur. En effet, dans leurs structures, les salariés non professionnels de santé sont équipés de cartes CPE (associées à l’établissement, NDLR) pour certaines facturations.

Autrement dit, le SDA plaide pour que la facturation soit liée au professionnel et non pas à l’établissement. Est-ce une solution considérée par la Cnam ? Si non, pourquoi ?

Nous l’avons évoqué pendant nos réunions. Il n’y a pas de tabou pendant les négociations conventionnelles et tout le monde vient avec ses propositions. C'est vrai que dans la convention nationale, il est prévu un conventionnement par établissement et non par professionnel. C'est un peu la logique qui prévaut pour l'ensemble des distributeurs de la LPP, et le système d'information de la Cnam est structuré dans cette logique-là. Toute modification de ce système prend énormément de temps et on ne l’envisage donc que pour des évolutions prioritaires. Or, à court terme, ce n’est pas une priorité pour nous.

La Cnam est attentive à tout ce qui peut, à qualités de soins égales, faciliter le parcours de soins des patients.

C’est aussi un peu l’heure des comptes... Quel bilan tirez-vous de ces quatre années ?

Le 100 % Santé a permis d’améliorer considérablement l'accès aux audioprothèses en France. Nous avons dépassé tous les objectifs, même les plus optimistes. Près de 767 000 personnes ont été appareillées en 2023. Cette réforme a engendré une nette augmentation du nombre de patients bénéficiant du remboursement d'une aide auditive, de plus de 72 % entre 2019 et 2023. Grâce à ce dispositif, les patients sont mieux appareillés en France qu'ailleurs et c'est vraiment ce qu'il faut garder à l'esprit quand on parle du 100 % Santé en audiologie.

Aurait-on pu mieux anticiper l’explosion des fraudes en audioprothèse suite à l’application du dispositif 100 % Santé, comme le laisse entendre le HCFiPS ?

Personne n'aurait pu imaginer des fraudes d'une telle ampleur, avec des entreprises qui se sont créées dans le seul objectif de détourner le 100 % Santé et les remboursements de l’Assurance maladie, ces « coquilles vides » que j’évoquais plus tôt. Néanmoins, en quelques mois, nous avons renforcé nos contrôles à tous niveaux, de la demande de conventionnement des centres audio aux factures de remboursements reçues, pour endiguer ce fléau qui porte aussi atteinte à tous les audioprothésistes qui font très bien leur travail et qui pâtissent de cette mauvaise publicité. Tout cela est en place depuis quelques mois maintenant et au-delà des audioprothèses, nous sommes fortement mobilisés sur la lutte contre toute forme de fraude. L'une des priorités de la Cnam aujourd'hui, c'est que l'argent versé soit bien orienté vers ceux qui en ont besoin.

Dans les discussions autour du PLFSS 2025, le gouvernement a montré son souhait d’interdire la publicité en audio, estimant que les « pratiques publicitaires excessives et trompeuses » seraient responsables d’un « sur-appareillage ». Un article de la convention s'attarde d’ailleurs sur les pratiques en matière de communication...

En effet, mais qui n’allait pas aussi loin que l’amendement qui a été porté. Le sujet n’a pas été repris dans l’avenant car il fait débat entre les différents syndicats de la profession et ce que nous cherchons, c’est le consensus. L'Assurance maladie ne veut qu'une chose, c’est rembourser le bon produit au bon patient, au bon moment. Et donc nous sommes plutôt contre tout ce qui peut conduire à générer des dépenses de soins inutiles, à une consommation excessive des produits de santé. Mais il ne nous revient pas de nous prononcer sur ce sujet.

Dans le préambule de l’avenant, il est indiqué que les partenaires conventionnels s’engagent à travailler régulièrement avec les pouvoirs publics « afin d’établir l’usage qui pourrait être fait, par les prescripteurs médicaux d’aides auditives, des actes réalisés par les audios – audiométries et otoscopie notamment – pour appui de ces prescriptions ». Dans quelle mesure êtes-vous disposés à pousser les réflexions dans le sens d’une délégation de l’acte d’audiométrie diagnostique ?

Décider de délégations de compétences ne relève pas du rôle de la Cnam, mais nous avions à coeur, avec nos partenaires conventionnels, d'indiquer que cela faisait partie des sujets sur lesquels nous souhaiterions avancer. La DGOS a commencé à travailler sur ce sujet. La Cnam est attentive à tout ce qui peut, à qualités de soins égales, faciliter le parcours de soins des patients. La simplification de la prise en charge des angines et cystites par les pharmaciens (ils sont autorisés à proposer le dépistage aux personnes qui se présentent directement à l’officine et, le cas échéant, à leur délivrer sans ordonnance des antibiotiques, NDLR) mise en place courant 2024 émane à l’origine d’une proposition de l’Assurance maladie.

Est-ce que cet avenant en laisse présager d’autres à venir ? Quelles mesures supplémentaires sont envisagées et pour quand ?

Nous n'avons pas de calendrier. Nous avons des réunions régulières avec nos partenaires ainsi que des commissions nationales paritaires une fois par an. Pour l’heure, nous sommes fortement mobilisés sur l'entrée en vigueur dans les meilleures conditions de cet avenant 1. Mais nous restons ouverts à travailler sur des sujets liés à l’amélioration des pratiques et à la simplification de l'accès aux soins.

Une étape 2 du 100 % Santé est-elle envisagée et notamment la revalorisation du panier de soins pour suivre les évolutions techniques, l’extension du 100 % santé aux appareils de classe 2 pour les patients sourds profonds, complexes, et les enfants... ?

Il n’y a rien sur la table aujourd’hui ; c’est un sujet qui sera abordé en temps voulu.

Audiologie Demain
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