La loi ne fait pas de cadeau

Afin de prévenir les conflits d’intérêt, le législateur a imaginé la loi dite anti-cadeaux. Après des années de préparation et d’ajustements, elle est enfin prête. Une belle usine à gaz qui ne va faciliter la vie de personne...

Par Bruno Scala
cadeau menottes_Talaj AdobeStock

Loi, décrets, arrêtés, tout y est ! La loi dite « anti-cadeaux » est enfin dotée de la totalité de ses textes d’application. Un gigantesque parcours législatif qui remonte à la loi Bertrand de 20111, voire à la loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social2. L’an dernier, une partie du texte était entrée en application via une ordonnance3 validée par la loi santé d’Agnès Buzyn4 : il s'agissait des interdictions pures et simples (lire notre article Loi anti-cadeaux : nul n’est censé ignorer la loi). L’application des autres dispositions était soumise à la publication d’arrêtés et décrets précisant les montants seuils et dispositions réglementaires. C’est chose faite avec la publication, le 14 août, de deux arrêtés, l’un fixant les montants en deçà desquels les avantages en nature ou en espèces sont considérés comme d'une valeur négligeable5, l’autre les montants à partir desquels une convention stipulant l'octroi d'avantages est soumise à autorisation, et non plus à déclaration6. Ces textes sont applicables au 1er octobre 2020.

Valeurs négligeables

En résumé, pour un fabricant ou un distributeur de dispositif médical, offrir un cadeau (un « avantage ») à un professionnel de santé (ou assimilé) est interdit, à moins que ce don ait un lien avec le cadre professionnel et que sa valeur soit négligeable : 30 € par an pour un repas (dans la limite de deux par année civile), pour un livre ou une revue (ou bien 150 € par an pour un abonnement), 20 € pour un produit de santé (dans la limite de 3 par an), des fournitures de bureaux ou autre produit nécessaire à l’exercice de la profession.

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Montants en deçà desquels les avantages en nature ou en espèces sont considérés comme d'une valeur négligeable

Déclaration ou autorisation

Toutefois, il est possible pour une entreprise d’offrir des avantages à des professionnels de santé (mais pas aux étudiants), s’il s’agit d'hospitalité, dans le cadre professionnel (congrès, symposium, lancement de produit…). Il faudra dans ce cas conclure une convention qui sera envoyée à l’ARS (pour les audioprothésistes et orthophonistes) ou au Cnom (pour les médecins). Si l’avantage ne dépasse pas 150 € par nuitée, 50 € par repas, 15 € par collation et 2 000 € pour l'ensemble de la convention incluant le coût des transports pour se rendre sur le lieu de la manifestation, alors une déclaration – envoyée huit jours avant l’événement – suffit. Dans le cas contraire, une autorisation est nécessaire. Des formations pourront également être financées ; le seuil pour la demande d’autorisation est fixé à 1 000 €. 

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Montants à partir desquels une convention stipulant l'octroi d'avantages est soumise à autorisation, et non plus à déclaration (PdS = professionnels de santé).

Comme le stipule un décret du Conseil d’État publié en juin7, cette demande d’autorisation doit être envoyée deux mois avant l’événement, car c’est le délai maximum dont l’ARS ou le Cnom disposeront pour refuser une demande. Pour compliquer encore un peu la tâche des fabricants et distributeurs, la demande d’autorisation consiste en un dossier bien étayé, comportant certains documents très compliqués à obtenir, comme l’autorisation de l’employeur du professionnel de santé. On imagine le casse-tête pour obtenir le document auprès d’un CHU.

Enfin, mais ceci n’est pas nouveau, tous les avantages offerts supérieurs à 10 € doivent être rendus publics sur le site transparence.gouv.fr.

La fin des congrès-champagne

Si la transparence est une bonne chose et si les conflits d’intérêts doivent évidemment être évités, professionnels de santé comme industriels auraient apprécié plus de simplicité. En outre, ces nouvelles dispositions posent d’importants problèmes, pour les étudiants en particulier : les industriels participent à la formation des internes en ORL, sous forme de sessions de chirurgie notamment. En février 2020, le Conseil national des jeunes chirurgiens rappelait cette situation dans un communiqué alertant sur le danger de cette nouvelle interdiction : « Les universités et le système hospitalier, déjà au bord du gouffre, ne sont aujourd’hui plus en mesure d’assurer une formation, toujours plus onéreuse compte tenu des évolutions technologiques et scientifiques, permettant à terme de sécuriser le parcours de soins du patient. » De même, pour les congrès à venir, les étudiants devront payer leur inscription et leur hospitalité.

Aussi, à moins de trouver un système pour limiter à 30 € la consommation de chaque congressiste à chaque stand, les collations qui agrémentaient les congrès ne seront, en théorie, plus autorisées. Finalement, imposés par la Covid, les congrès virtuels pourraient offrir une alternative à moindre frais...

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