« Établir une connexion entre la recherche fondamentale et la clinique, notamment dans le but d’améliorer la prise en charge du patient. » C’est ainsi que le Pr Hung Thai-Van, qui codirige le Ceriah avec le Pr Paul Avan, définit la mission de cette nouvelle structure. Plus concrètement, la mission du Centre de recherche et d’innovation en audiologie humaine va consister à mettre au point de nouvelles méthodes et de nouveaux examens d’exploration fonctionnelle. Ou plus exactement, consiste. Car si le Ceriah a été inauguré officiellement le 10 octobre dernier, les chercheurs et praticiens sont déjà en action depuis plus d’un an.
Dix ans de préparation
Mais l’origine de ce projet est bien antérieure. Le Ceriah est en fait une équipe de l’Institut de l’audition. C’est la plate-forme d’exploration fonctionnelle du système auditif de l’IDA, lui-même centre de l’Institut Pasteur. « Pour moi, l‘aventure a commencé exactement le 9 septembre 2013, je m’en souviens très bien, racontait Paul Avan, en introduction de l’inauguration, qui s’est déroulée en présence de nombreux partenaires cliniques, académiques et industriels. On m’a annoncé la nouvelle que la famille Bettencourt-Meyers avait décidé de soutenir massivement un projet de création d’un institut de l’audition avec un centre ambitieux, qui était destiné à développer l’audiologie humaine dans la direction de la clinique, de l’industrie et de la société. J’ai tout de suite accepté de monter dans le bateau. Et j’étais persuadé que l’inauguration aurait lieu le 10 octobre, mais je pensais 2013 ! C’était évidemment d’une extrême naïveté. Il a fallu dix ans pour monter ce projet, ce qui est en fait très court. »
Du matériel sur mesure
Entre autres difficultés, il a fallu concevoir un bâtiment qui réponde aux exigences de la recherche dans ce domaine, à savoir un environnement affranchi de toute perturbation sonore ou électromagnétique. Et à Paris, à plus forte raison dans un secteur perforé par de nombreuses lignes de métro, c’est un défi. D’autant que les salles d’audiométrie se trouvent au sous-sol (quand les bureaux se trouvent en surface) ! Pour cela, les équipes du Ceriah, et notamment Paul Avan, ont travaillé en étroite collaboration avec les architectes. « Les cabines de mesure du Ceriah ont été construites à l’intérieur d’une véritable “boîte” blindée en mumétal, un alliage de nickel et de fer dont l’extrême conductibilité lui permet d’attirer, canaliser et évacuer les champs magnétiques », a détaillé l’architecte Thomas Quenault, du cabinet jaq. Comme le Ceriah doit accueillir du public, il a été adossé au Centre médical de l’Institut Pasteur, dont c’est également la mission. Cette extension est en outre protégée des vibrations à l’aide de dalles désolidarisées les unes des autres.C’est donc au sous-sol que se trouvent les différentes salles pour accueillir les patients et les volontaires, afin de procéder aux explorations fonctionnelles. Dans ces salles, on trouve des chaines de mesures, des audiomètres, des haut-parleurs, des appareils pour tester la fonction vestibulaire... « Ce sont des appareils que l’on trouve chez les audioprothésistes ou ORL, mais que l’on a complètement désossés, afin de leur faire faire des choses complétement différentes de leur conception initiale », décrit Paul Avan. Car c’est là une des missions principales du Ceriah : « Développer de nouveaux tests et protocoles de recherche pour établir des diagnostics complets et mettre en évidence d’autres paramètres, comme l’activité moléculaire ou électrique de l’oreille interne », détaille le chercheur. En effet, les tests aujourd’hui utilisés en clinique n’en sont pas capables : « Les données recueillies auprès de chaque patient sont encore trop parcellaires, et se limitent bien souvent à de simples résultats de tests d’acuité auditive. Elles ne permettent pas d’appréhender l’ensemble des mécanismes à l’œuvre dans le phénomène de l’audition, ce qui conduit à des réponses inadaptées face à certaines pathologies, voire à l’absence de détection de pathologies existantes. »
Le Ceriah a un rôle fédérateur des différents acteurs : ORL, neurologues, psychoacousticiens, audioprothésistes, orthophonistes, chercheurs et industriels.
Pr Christine Petit, ancienne directrice de l'Institut de l'audition
Translationnel et pluridisciplinaire
C’est à cette frontière entre la recherche et la clinique que se situe le Ceriah. « La démarche est translationnelle », confirme le Pr Hung Thai-Van. L’équipe travaillant dans cette structure est donc plutôt hétéroclite : cliniciens, audioprothésistes, chercheurs, ingénieurs... Une quinzaine de personnes au total. « Cette pluridisciplinarité nous rend plus efficaces, et nous avons déjà obtenu des résultats concrets issus du laboratoire pour améliorer la vie des patients, commente Hung Thai-Van. Par exemple, nous avons validé des outils audiométriques mesurant la difficulté de compréhension de la parole dans le bruit, dont nous avons publié les normes. » Pour la Pr Christine Petit, ancienne directrice de l’Institut de l’audition, cela va plus loin : « Le Ceriah a un rôle fédérateur des différents acteurs : ORL, neurologues, psychoacousticiens, audioprothésistes, orthophonistes, chercheurs et industriels. »
Les membres du Ceriah sont d’ores et déjà engagés dans une quinzaine de protocoles de recherches. Parmi eux, deux sont mis en avant par l’Institut de l’audition : Audiogenage et Refined. Le premier, coordonnée par Céline Quinsac, vise à caractériser génétiquement la presbyacousie précoce et mettre au point des outils diagnostiques pour la détecter au plus tôt. Des travaux de l’Institut de l’audition ont en effet déjà identifié des gènes qui contribuent à l’accélération de la presbyacousie normale. Audiogenage s’intéressera aussi au vieillissement de la fonction vestibulaire. Quant au projet Refined, lancé en mars 2022 et coordonné par Grégory Gérenton, il a pour objectif de « doter les prothèses auditives d’une intelligence artificielle capable de séparer la parole du bruit ambiant grâce à des algorithmes performants », explique le Ceriah. Et cela, afin notamment de proposer un traitement du son des aides auditives adapté aux patients atteints de neuropathie auditive.
Toujours concernant les aides auditives, le Ceriah s’est doté d’un atelier destiné à la conception de prototypes d’aides auditives ou autre matériel électroacoustique. Il sert également à détourner les appareils utilisés pour les protocoles de recherche.
Le Ceriah est aussi une somme de compétences qui sont mises au service de la recherche.
Pr Anne-Lise Giraud, directrice de l'Institut de l'audition
Un outil pour tous
Enfin, comme l’a rappelé la Pr Anne-Lise Giraud, le Ceriah est aussi au service de l’IDA, qu’elle dirige. « Il peut être mobilisé par toutes les équipes de l’IDA, et même peut-être d’autres équipes, pour réaliser des projets qui leur sont chers et qui sont indispensables à leurs recherches sur des volontaires humains. Donc c’est aussi une somme de compétences qui sont mises au service de la recherche. » Cette volonté de servir la recherche en audiologie est en effet le fondement du projet, comme l’expliquait Paul Avan au moment de l’ouverture de l’IDA, en décembre 2019 (lire cette interview) : « Le Ceriah est avant tout une plate-forme destinée à recevoir tous les investigateurs qui le désirent pour y mener des protocoles de recherche en audiologie. Il leur offre un cadre, de l’aide logistique pour pratiquer leurs recherches et des outils innovants et évolutifs. »Bref, il s’agit là d’un outil puissant qui ouvre ses portes à tous les acteurs de l’audiologie, avec l’un des plus brillants chercheurs de la discipline à sa tête. Cela ne fait aucun doute que les découvertes qui s’y feront changeront la prise en charge de l’audiologie dans les prochaines années. « J’ai la certitude que le marché [de l’audition] va totalement changer car des thérapies arrivent, prévoit Paul Avan. Et qui dit thérapies dit prévention et utilisation d’outils de diagnostics fins. » C’est sur cette vision que le Ceriah trace sa voie.