Santéclair propose de la téléconsultation, le SDA vent debout

La plate-forme Santéclair propose à ses adhérents un service de téléconsultation ORL chez un audioprothésiste, faisant du centre audio « le lieu unique du parcours d’appareillage ». Le SDA dénonce cette pratique qu’il juge illégale.

Par Bruno Scala
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Nouveau désaccord entre Santéclair et le SDA. Depuis octobre 2020, la plate-forme Santéclair propose un service de téléconsultation en audiologie à ses clients. Une solution proposée en partenariat avec Koalys (anciennement Audyx, société créée par Yves Lasry), avec qui la plate-forme collabore depuis plus d’un an.

En quoi consiste ce service ? Un patient pousse la porte d’un centre audio pour y faire un test de dépistage gratuit. Une perte d’audition est détectée. L’audioprothésiste propose alors à son patient une téléconsultation avec un ORL partenaire de Santéclair. En fonction des disponibilités, la téléconsultation peut avoir lieu sur le champ ou ultérieurement. C’est la solution Koalys Connect qui rend cette téléconsultation possible. Tous les examens obligatoires sont réalisés : otoscopie (vidéo), audiométries tonales (CA et CO) et vocales… Si le bilan audiologique confirme le dépistage de l’audioprothésiste, alors une prescription est envoyée à ce dernier et le rendez-vous d’appareillage peut avoir lieu dans la foulée.

Un tel service répond à un enjeu de santé publique, à savoir un meilleur accès aux soins, grâce aux nouvelles technologies de communication. Il permet de réduire les déplacements – intéressant pour une population âgée ou en perte d'autonomie – de répondre à la problématique d'une pénurie de médecins et aux déserts médicaux. Dans le meilleur des cas, le patient ne réalise qu’un seul déplacement, là où le parcours de soin en exige au moins trois. Il n’a pas à attendre pour obtenir une consultation avec un ORL (les ORL font partie des médecins pour lesquels le délai pour l’obtention d’une consultation est le plus long, en moyenne 44 jours1). En outre, la téléconsultation permet de lutter contre les déserts médicaux. Enfin, lors de sa téléconsultation, l’ORL est assisté par un professionnel très qualifié, en la personne de l’audioprothésiste.

Éthique en toc ?

Néanmoins, le service proposé par Santéclair a provoqué la levée de boucliers du SDA2 et des ORL car il soulève un certain nombre de problèmes. Tout d’abord, ce dispositif s’affranchit du parcours de soins dicté par l’Assurance maladie. En effet, avant toute consultation avec un ORL, un patient doit passer par l’étape du médecin traitant. Par ailleurs, la prise en charge de la téléconsultation est conditionnée au fait que le patient connaisse le professionnel de santé qui le prend en charge (il doit avoir vu le médecin en présentiel dans les 12 mois précédant la téléconsultation). Si la crise sanitaire a assoupli les règles de la téléconsultation, rendant ces deux obligations facultatives pendant l’état d’urgence, la situation n'est pas vouée à être pérennisée. Les patients qui bénéficient du service de Santéclair et Koalys sont donc hors des clous : leur téléconsultation ne sera pas prise en charge. Un fait dont Santéclair ne fait pas mystère. En effet, le réseau finance ce nouveau service (prise en charge des actes non cotés en téléconsultation).

Toutefois, cela pose des questions d’ordre éthique : le patient sort du parcours de soins pour obtenir une prescription d’aides auditives, puis y entre à nouveau afin que ses aides auditives soient prises en charge. 

Autre grief soulevé par le SDA : le fait que le patient bénéficie d’une téléconsultation dans les mêmes locaux où il peut par la suite se procurer les équipements qui lui ont été prescrits pose des problèmes de conflits d’intérêt. Selon le SDA, ce procédé est illégal. Il avance l’article R. 4127-25 du code de la santé publique qui stipule : « Il est interdit aux médecins de dispenser des consultations, prescriptions ou avis médicaux dans des locaux commerciaux ou dans tout autre lieu où sont mis en vente des médicaments, produits ou appareils qu'ils prescrivent ou qu'ils utilisent ». Encore faut-il se mettre d’accord sur le lieu de consultation… Est-ce l’endroit où se trouve le patient ou le cabinet de l’ORL ? Pour Santéclair, c’est bien le cabinet de l’ORL qui doit être considéré comme tel3. La réglementation sur le sujet est vague.

Enfin, le SDA accuse Santéclair de compérage entre l’ORL et l’audioprothésiste. La complémentaire s’en défend : aucun intéressement n’est versé à l’un ou l’autre, assure l’entreprise, qui ajoute dans son communiqué : « Aucun lien de compérage n’existe entre les médecins et les audioprothésistes puisqu’ils ne se connaissent pas et n’ont pas de lien économique. »

La lente mise en place de la télémédecine

La discorde entre le SDA et Santéclair révèle une situation qui n’est pas nouvelle : le retard du droit sur l’innovation et notamment la numérisation. L’absence de réglementation et les freins administratifs ralentissent la mise en place de la téléaudiologie, alors que les solutions techniques existent, comme l'expliquent les Prs Frédéric Venail et Hung Thai-Van dans notre dossier Franchir le pas de la télémédecine. Ce sont donc les opérateurs privés, en général des complémentaires ou assimilées, qui, eux, n’attendent pas et imposent leurs règles, sans concertation avec les autres acteurs et, parfois, au mépris de certaines règles éthiques.

Cette situation ne plaît pas à la Cnam, qui semble pourtant être en bonne position pour changer les choses. Dans une interview accordée aux Échos4, Nicolas Revel, son ancien directeur, déclarait ainsi : « Il faut absolument développer la télémédecine, mais pas en mettant en danger l'organisation de notre système de soins, ni en rompant avec nos exigences de qualité et de suivi des patients dans la durée. Ces offres commerciales pourront toujours être financées au premier euro par des complémentaires santé, mais elles ont vocation dès lors à occuper une place marginale. »

Pour développer cette télémédecine, et plus particulièrement la téléaudiologie, il est nécessaire d'associer toutes les parties prenantes et notamment les sociétés savantes et autres instances professionnelles, comme le rappelle le Dr Laurent Schmoll, ORL et fondateur de la société de télémédecine TokTokDoc, qui travaille également avec Koalys dans le cadre d’une expérimentation en Ehpad : « Je pousse mes confrères à la réflexion autour de l’utilisation du numérique pour ne pas fermer la porte aux nouvelles technologies. Si les ORL ne prennent pas la mesure de la réalité du terrain, on perdra la maîtrise du parcours de soins. » C'est précisément ce qui est en train de se passer et ce qui inquiète le SDA qui a d’ailleurs demandé au ministère de la Santé « de se saisir de ce sujet et d’agir en conséquence ».

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