Tiers payant intégral en audio : loin du compte ?

Une enquête du SDA révèle que les audioprothésistes ne pratiquent pas le tiers payant intégral de manière systématique. La raison principale : la complexité du dispositif pour la part complémentaire. Pour lever ce frein, le syndicat plaide pour l’instauration d’un système universel.

Par Ludivine Aubin-Karpinski
tiers payant en audioprothese

Malgré quelques atermoiements, la généralisation du tiers payant avance pas à pas. Pratiquée massivement par les pharmaciens, obligatoire pour certains patients (voir encadré), elle vient de franchir une nouvelle étape avec la signature le 18 mai 2021 de l’accord-cadre pour le pilotage du dispositif « Remboursement des organismes complémentaires » (ROC) qui devrait en faciliter la mise en œuvre à l’hôpital. Dans le même esprit, l’article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 impose, à compter du 1er janvier 2022, aux complémentaires santé de proposer le tiers payant intégral sur l’offre 100 % Santé à leurs adhérents. Autant de marches vers la généralisation progressive de ce dispositif, essentiel dans la lutte contre le renoncement aux soins.

Une pratique inégale

Mais elle se heurte à un obstacle de taille en audioprothèse. En effet, si le tiers payant est relativement bien ancré dans les pratiques des audioprothésistes pour la part obligatoire, il accuse en revanche un net retard pour ce qui concerne la part complémentaire. Un récent sondage mené par le SDA révèle une situation très contrastée sur le terrain. Parmi les 611 répondants (dont 75 % d’adhérents du syndicat), seuls 15 % déclarent pratiquer « systématiquement » le tiers payant intégral (AMO + AMC) ; ils sont près de 65 % à le faire « souvent » (figure 1).

tiers payant en audioprothese Figure 1

Près de la moitié déclarent recourir encore « souvent » voire « parfois » au paiement comptant et « les chèques “tiroir” semblent toujours être aussi fréquents que le tiers payant RO seul », comme le souligne le SDA. Clairement, l’exercice s’arrête majoritairement au tiers payant partiel : les répondants déclarent le pratiquer plus systématiquement pour le régime obligatoire que pour le régime complémentaire (figure 2).

tiers payant en audioprothese Figure 2

Quant à la télétransmission, c’est-à-dire les échanges dématérialisés avec l’Assurance maladie et les complémentaires santé, elle n'est pas encore totalement ancrée dans le quotidien des audioprothésistes (figure 3). Mais, le SDA note une corrélation entre la motivation à télétransmettre et l’usage du tiers payant : elle serait ainsi deux fois plus importante lorsqu’il y a un tiers payant (75 % vs 37 %). Concernant la télétransmission du suivi plus particulièrement, elle n’est réalisée systématiquement que par 39 % des répondants... Or, il s’agit là d’un point d’attention des pouvoirs publics, comme l’a récemment rappelé le directeur de la Sécurité sociale, Franck von Lennep, dans nos colonnes (« Il faut attendre le mois de juin pour dresser un premier vrai bilan des effets de la réforme ») : « [Le suivi audioprothétique] fait partie intégrante de l’évaluation de la réforme et nous devons nous assurer qu’il est bien réalisé. » Faute de quoi, le caractère indissociable du prix de l’appareil et du suivi pourrait bien être remis en question. Les syndicats ont bien reçu le message et prêche la bonne parole depuis…

tiers payant en audioprothese Figure 3

Trop de plates-formes, trop de procédures ?

Cette pratique très hétérogène de la télétransmission et du tiers payant chez les audioprothésistes recouvre différentes réalités, du « tout papier » au 100 % « dématérialisé », en passant par la feuille de soins électronique en mode dégradé (télétransmission non sécurisée). Les commentaires libres des professionnels recueillis par le SDA à l’occasion du sondage témoignent de cette profonde diversité. Mais, surtout, ils mettent en évidence le principal frein à une adhésion plus massive au dispositif, en particulier pour la part complémentaire : le trop grand nombre de plates-formes et la complexité des procédures (figure 4).

tiers payant en audioprothese Figure 4

Car, si le dispositif pour la part AMO est aujourd’hui globalement considéré comme satisfaisant, avec une norme unique SESAM-Vitale et une gouvernance unifiée sous l’égide de l’Uncam, l’exercice est plus complexe pour la part complémentaire avec des nomenclatures et pratiques très variées selon les organismes. « Usine à gaz », « indigeste », « stress », « perte de temps », « fastidieux »…, les qualificatifs sont forts pour décrire la contrainte administrative que représente le tiers payant complémentaire aux yeux des audioprothésistes interrogés. Ils sont 80 % à juger qu’il s’agit pour eux d’une « surcharge de travail ».

Au-delà de l’aspect chronophage de la procédure, les professionnels étrillent également « l’opacité de certaines mutuelles », des « conventions non équitables » voire « abusives » ou encore les conditions « inacceptables » imposées par les réseaux de soins. Autant de descriptions qui, au mieux traduisent l’inconfort des audioprothésistes, au pire laissent entrevoir une certaine forme de résistance. « Le tiers payant pour la part complémentaire, c’est l’hydre à dix têtes, confirme Philippe Metzger, audioprothésiste dans le 20e arrondissement de Paris. Il existe différents types de complémentaires, des plus transparentes aux plus opaques et autant de procédures et de plates-formes à connaître. Certaines ne pratiquent pas le tiers payant, d’autres fonctionnent encore par fax… Il est toujours compliqué de connaître les garanties des patients, le suivi est très contraignant. Bref, c’est l’horreur. Notre métier devient de plus en plus administratif. C’est autant de temps que nous ne pouvons pas consacrer à nos patients ! »

Pour un tiers payant universel et une contractualisation nationale

Ce constat de lourdeur administrative, corroboré par les témoignages d’audioprothésistes, conduit le SDA à réclamer la mise en œuvre d’un système de tiers payant « universel », afin de lever les freins à son déploiement dans le cadre de la réforme du 100 % Santé et, plus généralement, pour améliorer l’accès aux soins des Français. Le souhait, exprimé par plusieurs audioprothésistes, serait celui d’une formule simplifiée via une plate-forme unique, conjuguant éventuellement tiers payant AMO+AMC, permettant « d’interroger le système en temps réel, de faire des cotations et une facturation simple », selon Philippe Metzger. L’absence de système unique constitue en effet pour 75 % des répondants du sondage un « frein fort » et même « absolu ». « Le tiers payant fonctionne depuis longtemps dans les pharmacies avec plus de 20 000 références de produits, grâce à des accords entre syndicats de pharmaciens et complémentaires, commente le SDA, dans son communiqué. Cela paraît donc tout à fait surmontable pour la dizaine de références du secteur de l’audioprothèse, et aussi bien pour les dispositifs de classe I que de classe II . » Ce système, les complémentaires santé le proposent déjà via le portail de l’association Inter-AMC, mais il repose sur une contractualisation individuelle avec chaque professionnel et n’exclut en revanche pas d’avoir à traiter avec chacun des organismes complémentaires membres. Le SDA, avec d’autres professions de santé, milite au contraire pour une solution indépendante unique et universelle, conçue pour les usagers et, surtout, reposant sur une négociation tripartite nationale entre les syndicats professionnels, l’Unocam et l’Assurance maladie.

Le déploiement du tiers payant pour la part obligatoire est en marche et la nouvelle convention signée avec l’Assurance maladie devrait achever de moderniser les échanges avec les audioprothésistes par un accompagnement du développement de la facturation sécurisée. Reste donc à se mettre d’accord sur la part complémentaire… car, comme le résume Philippe Metzger, « refuser le tiers payant intégral aujourd’hui, ce n’est pas aller dans le sens de l’histoire, c’est faire l’économie d’un avantage concurrentiel et c’est surtout compliquer la vie des patients ».

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