Nous n’en saurions pas tant sur le fonctionnement de la cochlée sans les travaux d’Ulrich Müller. Et c’est pour cette raison que la Fondation pour l’audition lui a décerné cette année son Grand Prix scientifique. Il ajoute son nom à une liste de lauréats et lauréates qui ont marqué l’histoire de l’audiologie, comme Jean-Luc Puel, Charles M. Liberman, Barbara Canlon...
C’est peu dire que le chercheur allemand, qui dirige un laboratoire de recherche au sein de la Johns Hopkins School of Medicine de Baltimore, aux États-Unis, a contribué à faire avancer les connaissances en audiologie. Au cours de sa carrière, il s’est particulièrement intéressé au phénomène de mécanotransduction et a réussi, avec son équipe, à identifier plusieurs protéines qui tiennent un rôle majeur dans ce mécanisme convertissant les ondes sonores en un signal électrique.
Pour cela, il a notamment utilisé une technique – la mutagénèse ENU – qui permet de rendre silencieux certains gènes dans des modèles animaux. Grâce à elle, il est possible de déduire l'étape précise pour laquelle les protéines, qui ne sont donc pas synthésisées, sont indispensables, et de caractériser leur fonction. C’est d’autant plus intéressant qu’une mutation sur chacun des gènes qu’Ulrich Müller et ses collaborateurs ont mis en évidence entraine une surdité. Il a ainsi grandement fait avancer les connaissances des mécanismes physiopathologiques de la surdité.
La mécanotransduction pièce par pièce
Au début des années 2000, par exemple, son équipe découvre que la cadhérine 23 (CDH23) est une protéine qui constitue le tiplink, c’est-à-dire le lien entre deux stéréocils. Elle montre en effet que lorsque le gène codant cette protéine est silencieux, la mécanotransduction ne fonctionne pas. Grâce à la technique de l’immunofluorescence, qui permet de marquer des protéines avec des anticorps fluorescents, elle parvient à localiser cette protéine.
Quelques années plus tard, son équipe découvrira que la cadhérine 23 forme un complexe avec la protocadhérine 15 (PCDH15) : ces deux protéines constituent le tip-link, qui, au passage d’une onde sonore dans la cochlée, lorsque les stéréocils s’inclinent, déclenche l’ouverture du canal de mécanotransduction. CDH23 et PCDH15 sont respectivement impliquées dans les surdités DFNB12 et DFNB23, ainsi que dans deux formes du syndrome d’Usher.
Son équipe met également en évidence le rôle de l’harmonine (USH1C) indispensable pour maintenir la tension du tip-link, et également impliquée dans le syndrome d’Usher, ou encore de LHLFPL5 (en cause dans la surdité DFNB67), une protéine qui relie ce tip-link au canal de mécanotransduction.
Plus récemment, Ulrich Müller et son équipe ont compris le rôle de la protéine transmembranaire TMIE, impliquée dans la surdité génétique DFNB6. C'est une sous-unité essentielle du canal de mécanotransduction. En cas de mutation sur le gène TMIE empêchant la bonne liaison entre le complexe TMC1/2 et la protéine TMIE, la mécanotransduction ne peut fonctionner correctement. De la même manière, ces chercheurs ont établi le rôle crucial des protéines de liaison CIB2 et CIB3, qui régulent le fonctionnement de ce canal. Sa perte de fonction provoque la surdité DFNB48.
Alors que la thérapie génique commence à prendre sa place dans le secteur de l’audiologie, les travaux d’Ulrich Müller revêtent une importance encore plus flagrante.