L’enjeu du dépistage, du diagnostic et de la prise en charge de la surdité de l’adulte – notamment après 60 ans – est plus que jamais d’actualité. Plusieurs modifications importantes de nos pratiques et de leur cadre réglementaire se profilent de manière imminente et vont modifier certains aspects du parcours de soin des malentendants. La mise en place du 100 % Santé ou l’autorisation de primo-prescription de l’appareillage auditif par les médecins généralistes témoignent d’une volonté d’améliorer l’accès à la prise en charge de la surdité pour le plus grand nombre, mais soulèvent également de nombreuses questions au sein des professionnels de santé impliqués dans la prise en charge des troubles auditifs. Le constat est maintenant bien établi que la surdité de l’adulte, et notamment des plus âgés, est sous-diagnostiquée. Beaucoup de patients qui pourraient bénéficier d’un appareillage auditif ne rentrent en fait jamais dans le parcours de soin adapté. La presbyacousie ne bénéficie pas d’une stratégie de dépistage systématique en France, malgré l’importance de l’enjeu que représente sa prise en charge. Or, il a été démontré que la déficience auditive est un facteur de risque indépendant d’isolement social, de dépression et de démence chez les sujets âgés. Il s’agit d’ailleurs du premier facteur de risque de démence sur lequel il est possible d’agir... à condition en premier lieu de dépister les sujets qui nécessitent une prise en charge. La stratégie de dépistage est pourtant bien établie en ce qui concerne le dépistage néonatal de la surdité, le dépistage dans la jeune enfance et en période scolaire, puis dans le cadre de la médecine du travail notamment pour les professions les plus exposées. Mais paradoxalement, à la fin de la vie active, aucune stratégie globale n’est encore proposée, alors même que cette tranche de la population est par définition la plus exposée à la presbyacousie...
Un questionnaire simple et facile d’accès
Cette volonté de travailler à la mise en place d’un programme de dépistage de la presbyacousie, à l’image d’autres dépistages organisés à l’échelle nationale, a été mise en avant depuis plusieurs années par les professionnels de l’audition, et notamment par la Société française d’audiologie. C’est d’ailleurs à l'occasion d’un congrès annuel de cette société que l’idée d'un auto-questionnaire de dépistage validé en français a été proposée lors d’une table ronde. D’autres outils utilisables pour le dépistage ont été développés ces dernières années, notamment l’application Höra disponible sur smartphone. Néanmoins, je trouvais l’idée du questionnaire traditionnel « sur papier » très intéressante également, du fait de sa simplicité d’utilisation et de sa diffusion potentielle très facile auprès de la population âgée, parfois moins réceptive aux nouvelles technologies. La médecine (et les médecins) apprécient souvent les critères d’évaluation faciles d’accès et d’utilisation ; les exemples de scores ou de questionnaires souvent simples mais très pertinents en pratique clinique et largement diffusés ne manquent pas en ORL comme dans toutes les disciplines (THI pour les acouphènes, score d’Epworth, score de Glasgow, score d’Apgar...).
Une référence anglo-saxonne…
Notre travail a commencé par une revue complète de la littérature disponible sur le sujet. Très vite, nous nous sommes rendus compte qu’un questionnaire de dépistage de la surdité chez les sujets âgés faisait référence dans les publications anglo-saxonnes depuis plus de 30 ans : le HHIE-S (Hearing handicap inventory for the elderly – screening), développé aux États-Unis dans les années 1980 par Ventry et Weinstein1. Ce questionnaire simple et rapide repose sur 10 questions et permet d’obtenir un score entre 0 et 40, la probabilité d’être porteur d’une déficience auditive augmentant avec le score (voir encadré ci-dessous). De nombreuses données étaient donc disponibles sur les caractéristiques intrinsèques de ce score (sensibilité, spécificités, etc.) en anglais comme dans des versions traduites dans plusieurs langues (espagnol, chinois, arabe, finlandais, suédois). Inutile donc de réinventer la roue, l’outil existait, mais nous avions besoin d’une traduction française et, surtout, d’une validation de ses caractéristiques en conditions proches d’une situation de dépistage, en France en 2020, dans un échantillon suffisamment large.
…validée et adaptée aux critères d’indications français
Le protocole a donc été construit avec cet objectif de valider la version française mais également d’aller plus loin dans l’interprétation du score en proposant d’estimer non seulement la probabilité d’avoir une déficience auditive, mais également celle d’entrer dans les critères d’indications d’un appareillage auditif tels qu’actuellement recommandés en France. Cette grille d’interprétation plus précise nous semble pertinente pour le patient comme pour les professionnels et permet rapidement et efficacement une orientation en fonction de son score. Après accord du Comité de protection des personnes (CPP), l’étude a été menée sur 294 sujets âgés de plus de 60 ans, sans antécédent otologique. Le recrutement des volontaires était effectué par affichage dans différents services du CHU de Bordeaux, campagne de communication via les réseaux sociaux et la presse locale. Cette stratégie visait à toucher des sujets qui n’étaient pas entrés dans un parcours de soin « auditif » et donc plus représentatifs d’une situation de dépistage à grande échelle. Le questionnaire a été traduit en français selon la procédure recommandée avec une rétro-traduction et une adaptation culturelle notamment pour l’une des questions (question n°6) pour laquelle la forte connotation religieuse dans la version originale aurait pu paraître inadaptée dans notre société actuelle. Nous avons analysé le lien entre les scores au questionnaire HHIE-S et les résultats des audiométries tonale et vocale dans le silence, ce qui était le critère principal retenu dans la majorité des études déjà publiées. La présence d’une surdité était définie selon les critères du Bureau international d’audiophonologie (Biap) comme une perte tonale moyenne supérieure à 20 dB HL sur les fréquences 0,5, 1, 2 et 4 kHz. Mais nous avons également réalisé une audiométrie vocale dans le bruit, pour tenir compte des indications actuelles de l’appareillage auditif qui retiennent comme critère suffisant un écart de plus de 3 dB RSB par rapport à la valeur normative du test (voir le dossier La vocale dans le bruit redessine le parcours de soin). Plusieurs questions du HHIE-S concernent d’ailleurs directement des situations d’écoute en milieux bruyants et l’analyse d’une audiométrie dans le bruit paraissait incontournable. Nous avons opté pour le test VRB (Vocal rapide dans le bruit) à 5 hauts-parleurs, développé par l’équipe du service d’otologie et d’otoneurologie du CHU de Lille. Ce test polyvalent et facile à appréhender est très adapté à ce type d’utilisation et présente l’avantage de donner une lecture directe des résultats en perte de dB RSB.
Un bon outil prédictif d’indication à l’appareillage
Les résultats de l’étude sont probants : les caractéristiques de la version française du HHIE-S en situation de dépistage sont très bonnes, avec une sensibilité de 80,4 % et une spécificité de 85,4 % pour dépister une surdité (score seuil de 8/40). L’analyse conjointe des résultats audiométriques dans le silence et dans le bruit nous a permis d’ajouter un score seuil pertinent de 16/40, au-delà duquel la probabilité d’indication d’appareillage est très élevée (88 %). Nos résultats pointent également les limites de la classification de référence des surdités reposant sur l’audiométrie tonale dans le silence. Certains sujets classés comme « normo-entendants » par les critères d’audiométrie tonale présentaient pourtant un score au HHIE-S élevé (> 8) et une dégradation des performances du VRB (perte > 1,5 dB RSB). Ces sujets ne doivent probablement plus être considérés comme des « faux-positifs » du questionnaire, mais bien comme des sujets présentant une surdité cachée, une dysfonction authentique de leur système auditif non révélée par l’audiométrie tonale dans le silence. Cela indique que cet outil très simple peut se révéler très efficace pour dépister des anomalies même légères ou débutantes de la voie auditive, et peut compléter efficacement un bilan audiométrique complet incluant nécessairement une audiométrie dans le bruit.
Un questionnaire accessible au plus grand nombre
Ce questionnaire est donc désormais un outil validé en français et facilement accessible pour être diffusé au plus grand nombre. Son utilisation principale reste le champ du dépistage à grande échelle, visant tout particulièrement les médecins généralistes, mais pourquoi pas également les différents soignants et aidants au contact des sujets âgés à domicile ou en institution, voire dans certains cas les patients eux-mêmes de manière autonome. Nous proposons conjointement au test une grille rapide d’interprétation du score indiquant la probabilité de présenter une surdité ou de répondre aux critères d’appareillage. Cette grille permet une lecture rapide et aide le praticien à orienter le patient dans sa prise en charge. De plus, la puissance et la fiabilité de cet outil peut rendre son utilisation tout à fait pertinente également pour les professionnels de l’audition, par exemple pour compléter ou inciter à la réalisation d’une audiométrie dans le bruit, ou quantifier la gêne auditive pour des patients invalidés dans leur quotidien mais ne présentant pas d’anomalie significative lors du bilan audiométrique dans le silence.