16 Avril 2024

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François Gernigon : « Ma proposition de loi sur la santé auditive est quasi prête »

La filière auditive s’est trouvé un nouveau héraut. Le député du Maine-et-Loire François Gernigon (groupe Horizons) a pris fait et cause pour l’audition et prépare une proposition de loi tournée vers davantage de prévention, mais pas uniquement. Le monde de l’audiologie et les politiques ont de nouveau rendez-vous.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski
Photo FG

Vous êtes l’auteur de plusieurs amendements concernant la santé auditive dans le PLFSS 2024. Pourquoi cet intérêt particulier pour l’audition ?

Je m'intéresse depuis longtemps au bien vieillir. D’abord, en tant que maire, puis aujourd'hui, en tant que député, membre de la Commission des Affaires sociales. Par ailleurs, je suis moi-même concerné par la perte d’audition. Je suis tombé sourd un matin, à l'âge de 38 ans. En me levant, j'ai ressenti un claquement dans l’oreille gauche puis un important bourdonnement. J'ai bien sûr très vite été orienté vers un ORL sur Angers et l’on m’a diagnostiqué un neurinome de l’acoustique. J’ai dû patienter trois ans pour que la tumeur grossisse et puisse ainsi être opérée au laser à l’hôpital de la Timone, à Marseille. J’ai perdu 70 % de mon audition et je me suis alors fait appareiller. Mais j’ai abandonné mes aides auditives au fond d'un tiroir au bout de quinze jours... et appris à faire avec. Quant aux 30 % d’audition restants, le brouhaha de l’hémicycle a achevé de les faire disparaitre en l’espace de six mois. Cela a des incidences dans ma vie au quotidien, notamment dans mes capacités de concentration et de mémorisation. Voilà pourquoi je m’intéresse à ce sujet de la perte d’audition et la raison pour laquelle j’ai déposé plusieurs amendements dans le PLFSS 2024, notamment en faveur d’une meilleure prévention et d’un meilleur accompagnement des personnes malentendantes (lire notre article « Ordre des audios, interdiction de la publicité et prévention au menu du PLFSS 2024 »).

Comment jugez-vous la sensibilisation des députés au bruit et, plus largement, à l’importance de la santé auditive ?

Lors des discussions sur la réforme des retraites, les débats ont fait rage pendant plusieurs semaines. Les députés se sont invectivés et ont causé une véritable cacophonie. À tel point que le sonomètre de mon téléphone est parfois monté à presque 100 dB. J’ai d’ailleurs alerté la présidente et, aux réactions de certains, je peux vous dire que je ne suis pas le seul dans l’hémicycle à souffrir de troubles de l’audition. D’ailleurs, l'Assemblée nationale n’est pas équipée de la boucle magnétique et les débats ne sont pas traduits en langue des signes... Cela pose la question de l’accessibilité des citoyens sourds ou malentendants à la politique et plus largement aux services publics.

De plus en plus de députés et sénateurs s’intéressent au sujet de la santé auditive, sans doute parce qu’ils sont, comme moi, concernés à titre personnel, ou tout simplement du fait de l’ampleur du phénomène. Près de 10 millions de personnes sont touchées par la malentendance en France et le phénomène risque de s’amplifier avec le vieillissement de la population et l’exposition au bruit.

Nous sommes aussi sensibles aux problématiques que nous soumettent les associations de patients et les professionnels de santé. Tout ce monde-là a besoin d’être écouté. Je dois dire que j’ai été grandement surpris de l’implication des forces en présence dans le secteur de l’audition. Sans elles, sans leur soutien, notamment celui de la Fondation pour l’audition ou de la Journée nationale de l’audition, je pense que le sujet n’aurait sans doute pas pris autant d’importance à l’Assemblée nationale. Et, cela a participé de ma prise de conscience.

Les pouvoirs publics ont grandement investi dans la santé auditive avec la réforme du 100 % Santé, avec le succès que l’on connait. Est-il réaliste d’imaginer aller plus loin, à l’heure où le mot d’ordre est plutôt à l’économie ? Est-ce que le temps politique est compatible avec une stratégie sanitaire tournée vers la prévention ?

C’est toujours compliqué de s’inscrire dans le temps long quand on discute de budgets ou de déficits annuels. Il s’agit souvent de raisonnements à court terme quand on évoque le financement de politiques publiques. Il y a sans doute des choix compliqués à faire mais l’inaction est couteuse. Il est nécessaire d’aller plus loin pour prévenir une future société de malentendants et de mettre en place une stratégie ambitieuse de prévention et de prise en charge des troubles auditifs. J’ai interpelé en ce sens le ministre de la Santé et de la Prévention, Frédéric Valletoux. Prévenir, c’est économiser pour l'avenir. On sait qu’un repérage et une prise en charge précoces de la perte d’audition permettent de diminuer les risques de démence et de dépendance. C’est un enjeu crucial. Alors, il faut profiter de l’alignement de planètes actuel pour porter ce sujet.

Je n'écarte pas la possibilité d’inclure la création d’un ordre [des audioprothésistes] dans le projet de loi.

C’est ce que vous vous employez à faire en préparant une proposition de loi sur la santé auditive. Quel en est le contenu ?

C'est une proposition de loi (PPL) qui demande encore à être développée. Plus je découvre le secteur, plus je rencontre de professionnels, plus m’apparaissent de nouveaux sujets. Malheureusement, ce texte ne pourra pas contenir une vingtaine d’articles. Je souhaite me concentrer dans un premier temps sur la prévention, quitte à rédiger des propositions de loi successives. Trop de personnes malentendantes restent, comme moi, de longues années dans le déni, faute d’une meilleure sensibilisation et d’un repérage précoce.

Cela doit commencer dès le plus jeune âge. Des cas de déficience auditive chez les enfants pourraient être évités avec des mesures de prévention aux expositions sonores dangereuses et de réduction de l’exposition à des niveaux élevés de bruit. Je souhaite ainsi proposer d’instaurer une journée de sensibilisation annuelle à l'école, au collège et au lycée, afin de préserver la santé auditive des Français à long terme.

La prévention des risques auditifs liés aux pratiques professionnelles me parait tout aussi importante. De même, il me semble souhaitable d'intégrer des actions de sensibilisation et de repérage de la surdité aux rendez-vous de prévention aux âges clés instaurés par le PLFSS 2023. Il existe des outils assez simples d’utilisation, comme l’application Höra, et qui ne nécessitent pas un investissement conséquent. Le premier appareillage intervient trop tard. Je pense qu’il faut dépister la perte auditive beaucoup plus tôt, à l’occasion des visites médicales du travail.

Plus globalement, je pense que le repérage des troubles de l’audition pourrait être confié à différents professionnels de santé, notamment dans les déserts médicaux, aux pharmaciens, aux infirmiers...

Devant cette problématique qui touche des millions de Français, il parait impératif de nommer un délégué interministériel à la santé auditive, capable de porter ce sujet et de coordonner des actions entre les différents ministères, celui du Travail et de la Santé bien sûr, mais également celui de l’Éducation nationale... Son rôle sera de répondre aux besoins des patients et des professionnels qui œuvrent autour de ce handicap. Il devra travailler à améliorer le parcours de soins et le confort des enfants et adultes malentendants et des personnes acouphéniques.

La santé auditive est une cause transpartisane.

Vous avez rencontré un certain nombre de professionnels de la santé auditive qui vous ont sensibilisé aux problématiques d’accès aux soins auxquelles la filière est confrontée. Envisagez- vous de proposer des avancées sur ce sujet ?

La réforme du 100 % santé a permis des pas de géant en rendant les appareils auditifs plus accessibles. Si quelqu'un a besoin d'une aide auditive pour améliorer sa qualité de vie, il faut qu'on puisse lui offrir cette chance. Mais avec les bonnes initiatives sont venus aussi des challenges. La fraude en audioprothèse est un souci majeur. Récemment, le gouvernement a pointé du doigt une fraude estimée à plus de 20 millions d'euros. C'est un coup dur pour l'image de la profession. L'idée de la création d'un ordre des audioprothésistes n'est pas juste une proposition parmi d'autres ; c'est une nécessité. Il servirait de cadre pour définir clairement les responsabilités et établira des règles déontologiques strictes, garantissant ainsi la qualité et l'intégrité de la profession. De plus, en structurant le secteur, nous serions tous mieux armés pour lutter contre les pratiques frauduleuses qui ternissent sa réputation. Je suis en discussion avec les audioprothésistes. Je n'écarte pas la possibilité d’inclure la création d’un ordre dans le projet de loi.

Il permettrait d’avancer sur la question de la délégation de tâches car c’est une profession en pleine mutation, au pied du mur face à la nécessité de monter en compétences pour répondre efficacement aux défis actuels et futurs de la prise en charge des malentendants. Le secteur de santé fait face actuellement à une crise de disponibilité des soins aggravée par les déserts médicaux. Les médecins ORL sont débordés réduisant le temps disponible pour de nombreux patients. Dans ce contexte, le rôle des audioprothésistes peut et doit s'étendre. Ils possèdent des compétences spécifiques qui, correctement valorisées et utilisées, doivent significativement contribuer à libérer du temps médical précieux, en partageant certaines tâches comme des bilans auditifs. Cela permettrait aux ORL de se concentrer sur les cas les plus complexes et de réduire les temps d'attentes pour les patients. Ce n'est pas seulement une question d'efficacité ; c'est aussi une question de qualité de soins, en intervenant plus tôt et plus fréquemment.

Quid de la problématique des personnes malentendantes en perte d’autonomie ?

C’est un autre enjeu important sur lequel il faut avancer compte tenu du vieillissement de la population. Il faut pouvoir accompagner les personnes âgées malentendantes et autoriser les audioprothésistes à se rendre au domicile de leurs patients ou en Ehpad, pour faire les tests, pour adapter ou renouveler leurs appareils. Je pense qu’il faut les autoriser à exercer au-delà de leurs cabinets et leur permettre de libérer du temps aux ORL mais, avant de leur donner des responsabilités supplémentaires, il faut d’abord qu’ils s’engagent à se structurer. Les propositions, on les a ; il reste à décider dans quel ordre on les amène.

Quand comptez-vous déposer cette proposition de loi ? Et êtes-vous optimiste quant à son adoption ?

Elle est quasiment prête. Nous allons prendre rendez-vous avec le ministère pour présenter le sujet. J’ai déjà échangé avec Frédéric Valletoux et Fadila Khattabi [ministre déléguée chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées] ; ils sont conscients du problème et ont ouvert la porte. Je pense déposer cette PPL fin avril. Je suis très optimiste. Ce ne serait pas la première loi votée à l’unanimité... Plusieurs députés, y compris de l’opposition, m’ont tapé sur l’épaule, me félicitant de porter le sujet. La santé auditive est une cause transpartisane.

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