Envoyé Spécial révèle l’explosion des fraudes en audio dans une enquête nuancée

L’émission de France 2 présentée par Élise Lucet s'est intéressée aux arnaques en audio dans un reportage diffusé le 7 septembre. Escroqueries et pratiques illégales y sont dénoncées sans excès et avec le rappel de l’exercice tel qu’il doit être pratiqué.

Par Ludivine Aubin-Karpinski
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Alors que la nouvelle convention signée avec l’Assurance maladie prévoit qu’un même audioprothésiste n’exerce pas dans plus de 3 centres, les journalistes d'Envoyé Spécial ont identifié 6 % de professionnels en situation illégale.

« Vous allez voir que le business des aides auditives est florissant, les fraudes aussi. » L’introduction de la journaliste Elise Lucet, en ouverture du reportage « Prothèses auditives, arnaques au creux de l’oreille », diffusé dans le magazine Envoyé spécial du 7 septembre 2023, donne le ton. Le fait que l’émission de France 2 s’attaque au secteur de l’audio n’est pas un bon signal… Elle met au jour la montée en charge des arnaques à l’Assurance maladie et le nombre croissant de patients abusés. « Depuis que les prothèses auditives sont remboursées par la Sécurité sociale et les mutuelles, le marché est en plein essor. Partout les boutiques poussent comme des champignons (30 % de boutiques en plus en 3 ans), mais cette nouvelle mine d’or attire aussi des entreprises peu scrupuleuses. Résultat, de plus en plus de personnes malentendantes se retrouvent avec des prothèses défectueuses, sans aucune forme de suivi, alors que certains sont équipés sans même le savoir... le tout aux frais de la Sécurité sociale ! », est-il ainsi résumé sur le site de Francetvinfo.fr. Néanmoins, l’enquête est menée tout en nuances. Si les journalistes épinglent un nombre de pratiques illégales et d’escroqueries croissant (absence d’affichage de diplôme, appareillages inutiles, réalisés à domicile, sans ordonnance, sans rendez-vous de suivi, rendez-vous menés par des étudiants ou des techniciens…), le reportage ne verse pour autant pas dans la caricature et tous les audios n'y sont pas mis dans le même panier. Ce n’est pas l’arbre qui cache la forêt qui y est dévoilé mais plutôt les faits d’une minorité d’escrocs, attirés par la manne que représente le 100 % santé.

Une première partie « exemplaire »

Le reportage commence même par la démonstration de ce que doit être l’exercice pratiqué dans les règles de l’art. Les journalistes ont pour cela suivi l’appareillage de Jean-Marc, âgé de 76 ans. Ce dernier est appareillé par Brice Jantzem, président du SDA, syndicat qui, à maintes reprises ces dernières années, a alerté sur ces dérives. La question du prix des aides auditives est posée d’emblée… pour être rapidement justifiée. Envoyé spécial montre en effet que si les aides auditives « valent de l’or », c’est parce qu’elles sont des « concentrés de technologie », comme l’explique Xavier Temmos, directeur de GN Hearing France, au cours d’une visite de la maison-mère au Danemark. « Outre leur coût de fabrication, les marques incorporent dans leurs prix de vente la recherche et développement, leurs marges et les taxes, résument les journalistes. À la sortie des usines, une prothèse est vendue en moyenne 400 euros aux audioprothésistes. » Et achetée « presque quatre fois plus » cher par Jean-Marc. Parce que, expliquent encore les journalistes, « même s’ils portent désormais ces prothèses, Jean-Marc n’entend toujours rien. C’est le réglage de Brice Jantzem, son audioprothésiste, qui va permettre à notre retraité de sortir du silence. 45 minutes de réglages minutieux avant la renaissance. Et il faudra de nombreux rendez-vous pour qu’il entende enfin. » « Le reportage est juste et transparent, se félicite le président du SDA, au lendemain de sa diffusion. Il ne s’attaque ni au prix des aides auditives ou à nos marges, justifiées par le travail des audioprothésistes, ni à la profession. Il dénonce les personnes qui s’en réclament pour abuser des patients et jettent le discrédit sur le secteur en entier. Surtout, il rappelle l’importance de nos prestations et leur caractère obligatoire. »

Itinérance, absence de diplômés, ventes inutiles et sans prescription...

Des règles que n’a pourtant pas manqué de rappeler l’Assurance maladie ces derniers mois. Et dont les journalistes d’Envoyé Spécial ont voulu juger du bon respect en jouant les clients mystères. Sans difficulté, ils ont trouvé quatre établissements hors des clous. Chacun s'est rendu dans un centre, sans perte auditive (vérifiée en amont via le test Höra) et sans ordonnance. Résultat des courses, aucun diplôme affiché dans les quatre centres visités : « Nous ne saurons jamais vraiment à qui nous avons affaire ni s’il s’agit bien d’audioprothésistes Impossible de savoir si l'on a bien affaire à un audioprothésiste. Dans l'un de ces cabinets, c'est carrément une étudiante qui s'occupe de nous. » Les tests ne sont pas réalisés en cabine et trois des journalistes se verront conseiller un appareillage… Envoyé spécial s’appuie sur d’autres témoignages : celui d’une femme appareillée, sans nécessité (pour une perte de 11 dB), après avoir été démarchée par téléphone par une personne se réclamant du ministère de la Santé, ou encore celui de deux seniors rémois appareillés à domicile par un technicien en audioprothèse et qu'ils n'ont jamais revu.

Un besoin d'information et d'une meilleure régulation

Face à l'augmentation de ces dérives, « comment reconnaître les audioprothésistes fiables ? », s'interrogent les journalistes d’Envoyé Spécial. Une question à laquelle le SDA a souhaité apporter réponse avec la publication, dès le 8 septembre, de huit conseils pratiques à du grand public, destinés à servir de guide pour « bien choisir son professionnel », indique son président.
Brice Jantzem appelle en outre, au-delà d’une bonne information, à une « meilleure régulation » : « Nous assistons ici aux conséquences d’une prise en charge intégrale non contrôlée ». Avec le spectre de la dissociation en bout de course... Car le reportage d’Envoyé Spécial révèle en creux les difficultés de l’administration à exercer ce contrôle et à identifier les fraudeurs. Les journalistes se sont procurés la liste complète des diplômés en 2023 et, alors que la nouvelle convention signée avec l’Assurance maladie prévoit qu’un même audioprothésiste partage son temps sur 3 centres maximum, ils ont identifié 6 % de professionnels en situation illégale. 320 audioprothésistes sur 5 230* exerceraient ainsi dans 4 centres et plus… Face à ce constat, l’enquêteur en chef de la cellule investigation de la CPAM de Haute-Garonne avoue « peut-être un petit décalage » et « ne pas connaître l’étendue de ce problème » mais que l’objectif est bien de renforcer les contrôles. En 2022, son équipe a pu « débusquer » cinq entreprises fraudeuses dans ce département, pour un total de 100 000 € de préjudice. Une goutte d’eau… face aux millions supposés.

Contrainte à l'installation

Pour le président du SDA, une des solutions réside dans la mise en place de la facturation au nom de l’audioprothésiste et non plus de l’établissement. Selon lui, la lutte contre la fraude doit également passer par une territorialisation de l’exercice, comme les pharmacies, « qui nécessairement conduira à un contrôle des diplômes, du nombre de centres… ».

L’émission en direct aurait été suivie par 1,8 millions de spectateurs… « Nous craignions avant la diffusion que le reportage ne tombe dans le "tous pourris", avoue Brice Jantzem. Nous pensons au contraire qu’il contribuera à rendre la tâche plus difficile voire impossible aux quelques fraudeurs non issus de la profession qui parasitent notre métier. L’immense majorité des audioprothésistes font du bon travail. Le reportage montre que nous savons balayer devant notre porte et serions davantage en capacité de le faire avec un ordre. »

*La Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) recense 4 478 audioprothésistes de moins de 62 ans au 1er janvier 2023. Si l'on considère l'ensemble des audioprothésistes, y compris les 62 ans et plus, les effectifs s'élève à 5 110.
Depuis 2022, la Drees introduit un champ supplémentaire « audioprothésistes (moins de 62 ans) » pour éviter le biais d’une surestimation du nombre de professionnels en exercice par défaut de désinscription du répertoire Adéli des audioprothésistes au moment du passage à la retraite. 

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