22 Mai 2025

« Je retrouve en audiologie des enjeux présents en optique depuis plusieurs années »

Nommé à la tête de Sonova France à l'automne 2024, Pierre Longerna entend capitaliser sur les atouts du groupe – innovation technologique et partenariat fort avec les professionnels – pour asseoir la place de la filiale dans un marché en mouvement. Fort de son expérience dans l’optique, il alerte sur les risques de banalisation du secteur face à la pression des financeurs et plaide pour le maintien d'une filière de qualité.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski
Pierre_Longerna
Pierre Longerna, directeur général de Sonova France

Vous avez été nommé à la tête de Sonova France en novembre dernier. Pour quelles qualités pensez-vous avoir été choisi ?

Trois éléments de mon parcours ont sans doute joué en ma faveur. D’abord, mon expérience à la direction de plusieurs filiales d'Essilor, le leader mondial de la santé visuelle, m'a permis d'acquérir une solide expertise sur les sujets d'innovation, de croissance et de management dans un contexte international.

Ensuite, ma connaissance du modèle économique de l'optique – un secteur proche de l’audiologie, avec ses contraintes réglementaires, ses prescripteurs et ses payeurs – est un atout majeur. Mon expérience internationale m'incite à toujours comprendre l’écosystème de santé propre à chaque marché pour y construire, avec les différentes parties prenantes, des solutions adaptées. Le fait d’avoir évolué au sein de groupes leaders mondiaux m’a également sensibilisé à la responsabilité qui incombe à un acteur de premier plan, tant au niveau global qu'au niveau local.

Vous évoquez votre expérience de 18 ans chez EssilorLuxottica. Est-ce un atout d’avoir travaillé sur le secteur de l’optique ?

Ce sont des mondes relativement similaires avec l’audiologie : marchés en croissance, produits techniques de santé, modèles économiques complexes. Et, même si les solutions à apporter ne seront sans doute pas identiques, je retrouve en audiologie des enjeux présents en optique depuis un certain nombre d'années, comme la prise en charge par les complémentaires santé, les fraudes ou encore le rôle des industriels dans la professionnalisation.

Comme l’optique, l'industrie de l’audition est entrée dans une phase de maturité où, pour faire simple, même s'il y a des produits meilleurs que d'autres, il n'y en a pas de mauvais. Cela entraine une segmentation de la distribution, en poussant les différents acteurs de la chaine de valeur à travailler leur positionnement pour se différencier. Ce dont nous devons tenir compte en tant qu’industriels, dans la relation que nous entretenons avec nos clients, qui doit être un véritable partenariat et non une simple transaction.

Cela dit, ces similitudes ne doivent pas conduire à un copier-coller de l'optique. L'audiologie se distingue par une innovation technologique plus soutenue, des dispositifs médicaux de classe IIa soumis à des contraintes réglementaires spécifiques, et une patientèle plus âgée. Les audioprothésistes exercent un métier du soin, plus proche de celui des optométristes que des opticiens. Cela exige une formation technique de très haut niveau pour valoriser des produits aussi sophistiqués.

Le dialogue avec les organismes payeurs est devenu un enjeu stratégique.

Quelles sont vos priorités stratégiques pour Sonova France ?

Sonova dispose d’indéniables atouts : son leadership technologique, illustré par la récente plateforme de Phonak Infinio, et ses équipes expertes et engagées.

Mon premier objectif est d’aider nos partenaires à se développer. Cela passe par une expérience client premium avec des services destinés à les accompagner au quotidien, à participer au développement de leurs compétences et de celles de leurs assistantes au travers de formations dédiées. Cet accompagnement est personnalisé, et ce, qu’elle que soit la taille de leur entreprise, afin de les aider à être plus efficaces, soit à générer plus de trafic, soit à augmenter la satisfaction de leurs patients.

Ensuite, en tant que leader, nous avons la responsabilité de sécuriser l’avenir du secteur, notamment face à l'influence grandissante des complémentaires santé sur la structuration de la filière. C’est une réalité en optique depuis une quinzaine d’années et elle devient prégnante en audiologie depuis le 100 % Santé. Le dialogue avec les organismes payeurs est devenu un enjeu stratégique. Ces acteurs, par méconnaissance de notre métier, risquent d'imposer des logiques tarifaires qui pourraient nuire à la qualité des soins. Nous devons leur faire comprendre que nos appareils n’apportent de réels bénéfices que lorsqu'ils sont accompagnés de la prestation d’un audioprothésiste. Et, que le rôle de celui-ci ne se résume pas à la délivrance d’un dispositif mais qu’il apporte une véritable valeur ajoutée dans l’adaptation et le suivi. La qualité des soins ne doit pas devenir une variable d’ajustement.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Nous devons d’abord mener un travail pédagogique auprès des organismes payeurs pour valoriser l'innovation et la prestation de soins, afin d’éviter une banalisation du secteur. Sans vigilance, nous risquons un modèle à deux vitesses, à l’image du NHS britannique, où malheureusement l’offre de soins accuse un retard technologique de plusieurs années et un manque de diversité. Ce serait un contresens face aux besoins des patients.

L’innovation est importante et nous devons donc pouvoir continuer à proposer des solutions de qualité en classe I et garantir l’accès du marché français aux dernières innovations. L’enjeu est clair : préserver un secteur dynamique, où qualité et valeur ajoutée restent au cœur de l’offre pour garantir la satisfaction des patients.

Différentes propositions de valeur peuvent coexister – certains misant sur la qualité, d’autres sur les prix –, mais il est essentiel de soutenir la croissance de ceux qui ont fait le choix de la qualité.

Comment se porte l’activité de Sonova en France ?

Depuis le lancement de notre nouvelle plateforme Infinio en septembre 2024, nous enregistrons une dynamique très positive. Nos parts de marché progressent fortement, tant en volume qu’en valeur, nous confirmant en position de leader.

Nos trois marques d’aides auditives – Phonak, Unitron et Hansaton – s'appuient toutes sur des investissements massifs en R&D et sur des équipes expérimentées. Mais chacune cultive une identité propre, et je tiens à renforcer cette différenciation. Venant d'un secteur où l'offre multi-marques est la norme, je crois beaucoup à l'approche multiréseaux. La clé réside dans une bonne compréhension de la segmentation du marché pour proposer à chaque profil de client une réponse adaptée.

Vous disposez d’un réseau de distribution, AuditionSanté. Qu’est-ce que cela implique d’être à la fois fabricant et distributeur ?

Au sein du groupe Sonova, les activités de distribution (Retail) et de fabrication (Wholesale) sont organisées de manière totalement indépendante. Il n’y a pas de coordination opérationnelle entre les deux divisions. Cela dit, en France, nous entretenons d’excellentes relations avec AuditionSanté, fondées sur des valeurs partagées et une vision alignée sur des enjeux clés du secteur, comme l’accès aux soins ou la valorisation de l’innovation. Le fait que notre message industriel puisse trouver un relais concret sur le terrain est évidemment un atout.

Disposer, en tant que fabricant, d’un réseau de distribution peut aussi permettre d’expérimenter certaines approches et de montrer la voie, sans pour autant que cela influence notre stratégie globale. Nos priorités, nos actions, notre accompagnement client restent strictement indépendants. Nous apportons le même soutien à tous nos partenaires, quelle que soit leur enseigne. Oui, il y a de la concurrence, y compris avec AuditionSanté. Et c’est très bien ainsi. Notre rôle, c’est d’aider chacun de nos clients à être plus performant, à se différencier, et à réussir dans un marché concurrentiel.

Quel a été l’accueil du marché pour Infinio et quelles innovations peut-on attendre prochainement de Sonova ?

Ma prise de fonction chez Sonova France a coïncidé avec le lancement d’Infinio et d’Infinio Sphere. Et je dois dire que j’ai été bluffé. Je ne m’attendais pas à un tel niveau de sophistication technologique : intelligence artificielle embarquée, connectivité simultanée à plusieurs appareils... Le marché ne s’y est pas trompé : l’accueil a été extrêmement positif.

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est le positionnement d’Infinio Sphere, qui dépasse le cadre habituel de la segmentation de la classe II en trois niveaux de performances. Avec Sphère, nous avons introduit une innovation dans l’innovation, en créant une catégorie supérieure, pensée pour repousser certaines limites techniques et améliorer encore la satisfaction des patients.

Les premiers résultats sont très prometteurs. Une étude menée auprès de 122 patients a montré un taux de satisfaction de 93 % avec Infinio Sphere, contre une moyenne de 82 % selon Eurotrak 2022. C’est une avancée significative. Pour moi, Infinio Sphere joue un peu le rôle de Formule 1 dans notre offre : elle intègre des technologies de pointe qui préfigurent ce que nous proposerons demain, dans nos plateformes à venir. Et comme dans l’automobile, les innovations testées sur nos modèles les plus avancés se diffuseront progressivement vers les gammes standards.

Le marché de l’aide auditive attire des acteurs d’autres industries. Comment percevez-vous l’arrivée d’EssilorLuxottica ou les intentions d’Apple ?

Il est encore trop tôt pour se lancer dans une analyse concurrentielle. Néanmoins, l'intérêt que portent de tels acteurs au secteur est une excellente nouvelle : il confirme la vitalité du marché et son potentiel de croissance.

Leur arrivée représente aussi une opportunité de démocratiser les solutions auditives. EssilorLuxottica et Apple ont déjà, chacun à leur manière, contribué à banaliser des produits techniques ou médicaux auprès du grand public. Il y a quelques décennies encore, les lunettes étaient perçues comme des prothèses ; aujourd’hui, elles sont pleinement intégrées au quotidien. Apple a su rendre désirables des objets purement utilitaires. C’est inédit pour le secteur de l’audition et la nouveauté n’est pas forcément mauvaise de ce point de vue.

Par ailleurs, toute l'effervescence suscitée autour de ces produits offre une formidable caisse de résonance aux enjeux de santé auditive. Cela permet de sensibiliser plus tôt des populations plus jeunes, qui pourraient ainsi être incitées à entrer précocement dans le parcours de soins.

Enfin, ces deux acteurs vont découvrir le secteur de l’audiologie et ses spécificités, sa réglementation, l'indispensable association entre le produit et le service. Je serais curieux de voir comment ils vont aborder cet aspect. S’il suffisait de maitriser le hardware et le software pour s’imposer sur le secteur de l’aide auditive, on compterait des acteurs asiatiques parmi les leaders industriels. Les fabricants historiques d’aides auditives disposent de plusieurs décennies de recherche et développement ; c'est une expertise acquise, qui ne se décrète pas. Acquérir une start-up de cinq ingénieurs ne suffit pas pour rattraper ce savoir-faire. Il faudra du temps avant de voir émerger des produits vraiment aboutis.

Pour toutes ces raisons, les propositions d'EssilorLuxottica et d’Apple ne me semblent pas représenter une menace pour les acteurs établis, en particulier en France où la population a aujourd’hui accès à des aides auditives performantes avec un reste à charge zéro – voire modéré pour les produits d'un niveau technologique supérieur.

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