Avant de prendre la direction de Prodition il y a près d’un an, vous dirigiez Haleon (ex GSK Santé). Vous bénéficiez par conséquent d’une riche expérience des secteurs des dispositifs médicaux grand public. Quels enseignements la filière auditive pourrait tirer de ces autres univers de la santé ?
Il existe des similitudes fortes. Comme les pharmaciens, les audioprothésistes ont un rôle dans l'accès aux soins de proximité. A fortiori, dans un contexte de pénurie de médecins, d’augmentation des déserts médicaux, de problématique de pyramide des âges des ORL, ils constituent de véritables relais de santé avec leurs milliers de points de vente partout en France. Avec leurs équipes, ils offrent une porte d’entrée, une sorte de « guichet » vers la santé auditive et sont capables de répondre aux premières interrogations concernant l’audition et d'orienter ensuite, si besoin, vers le corps médical. Le secteur hésite un peu aujourd’hui sur les rôles de l’audioprothésiste et de l’ORL dans le schéma de prescription et sur le sens dans lequel l'un et l'autre doivent être consultés. Je pense que le plus important est de faire entrer le patient dans le parcours de soins et d’exploiter au mieux l'écosystème, dès lors que les règles sont respectées, qu’il y a bien un audioprothésiste diplômé dans sa cabine et que l'ORL est bien le prescripteur.
La filière auditive peut également s’inspirer du travail qui a été entrepris en pharmacie pour améliorer l’information du grand public. Notre secteur doit accroitre ses efforts pour faire progresser la sensibilisation de la population aux problématiques auditives et rendre plus lisible le parcours de soins en audiologie.
Il y a un enjeu de lutte contre le risque de banalisation du marché.
Chez Haleon, vous avez participé à la formation des professionnels de santé et la valorisation de leur rôle en matière de conseil. Ce concept est-il transposable en audio ? Est-ce le rôle des fabricants ?
À l’époque, j’ai proposé à l’ensemble de notre équipe commerciale de passer le diplôme de visiteur médical. Je considérais qu'il était important que nos collaborateurs puissent parler aux pharmaciens de nos médicaments, du mode d’action des molécules, de la posologie, etc. Aujourd’hui, l’idée n’est pas de faire passer ce diplôme à nos commerciaux mais de leur permettre de continuer ce qui a fait notre force, à savoir dépasser le discours strictement commercial. L'audiologie est un secteur particulièrement technique et pointu, marqué par une forte innovation. La compétition entre les fabricants d’aides auditives ne se réduit pas aux aspects commerciaux, elle met en jeu notre capacité à démontrer la valeur ajoutée de nos produits, à permettre aux audioprothésistes d’exploiter au mieux nos appareils pour assurer un bon appareillage, un bon suivi et garantir une bonne observance de leurs patients.
C’est aussi un enjeu de lutte contre le risque de banalisation du marché. L’intensité de la compétition entre fabricants d’appareils auditifs est importante avec des offres promotionnelles agressives au bénéfice, c’est vrai, des audioprothésistes. Cependant je ne pense pas que la gratuité d'éléments de la chaine de valeur, comme les accessoires indispensables aux appareils (écouteurs, chargeurs...), ou bien les nombreux services, tirent vraiment le marché vers le haut. Par ailleurs, ils laissent penser que leur cout est anecdotique, ce qui n’est pas le cas.
Chez Demant, nous souhaitons rester focalisés sur la proximité avec nos partenaires et les patients en développant des produits comme Oticon Intent et en assurant un service sans concession via nos équipes en France. On ne met pas sur le marché de telles innovations, qui selon nous ont pris une longueur d’avance, sans en expliquer tout le potentiel. Pour cela, nous avons mis sur pied toute une panoplie de formations à destination de nos clients, en présentiel, à distance ou en autonomie.
Prodition a récemment porté plainte contre plusieurs centres d’audition. Est-ce aussi de la responsabilité des fabricants d’œuvrer pour le maintien d’un secteur sain et par quels moyens ?
Ce n’est pas uniquement le rôle des fabricants ; je pense que c’est l’affaire de l’ensemble des acteurs de la filière auditive. Les industriels, les audioprothésistes, les ORL, l’Assurance maladie et les organismes complémentaires se doivent de mettre tout en œuvre pour préserver la qualité et la pertinence du parcours de soins en audiologie afin de garantir la réussite du 100 % Santé.
Pour aller plus loin, il me semble nécessaire de s’outiller correctement pour permettre l'échange sécurisé d’informations et de données entre toutes les parties prenantes. Aujourd'hui, tout cela est encore un peu artisanal, c'est-à-dire qu'on partage quelques documents, au coup par coup, alors qu’il faudrait automatiser ces transferts d’information. On est à la pointe de la technologie sur beaucoup d'aspects ; il nous faut l'être sur la fraude et se doter d’outils efficaces. Il va falloir se mettre autour de la table pour trouver une solution commune et ainsi prendre une longueur d’avance technologique sur les fraudeurs, en utilisant EDI (Electronic Data Interchange) et blockchain, afin d'assurer la traçabilité des appareils, de leur sortie d'usine jusqu’à l’oreille des patients et au suivi.
(...) Notre volonté, au sein du groupe, [est] de valoriser l'expertise et le modèle de l'audioprothésiste diplômé, dans une cabine aux normes, bien installé dans un parcours de soins de qualité.
On constate un certain nombre de fermetures récentes (We Audition, AVEC mon audio, Les Audioprothésistes Mobiles...). Quelles en sont les raisons, selon vous ?
C'est une régulation naturelle du marché. Ce dernier a connu récemment un rythme d'ouvertures qui était probablement disproportionné, suivi d’un épisode de contraction, de décroissance. Le gâteau n’a pas grossi, il a réduit en 2022 et 2023, et les acteurs sont plus nombreux à se le partager. Dans ce contexte, tout le monde ne parvient pas à tirer son épingle du jeu. Je constate que les fermetures récentes concernent surtout des modèles certes innovants mais non conventionnels. Ce qui confirme notre volonté, au sein du groupe, de valoriser l'expertise et le modèle de l'audioprothésiste diplômé, dans une cabine aux normes, bien installé dans un parcours de soins de qualité. C’est celui qui, au bout du compte, fait la différence. Nous ne sommes pas dans une logique de promotion à tout prix des modèles rupturistes. Je préfère que nous le soyons, nous, dans les produits et les services que nous proposons aux audioprothésistes et ORL.
Quelles sont les perspectives pour 2025 ?
Nous traversons une phase de régulation mais, le secteur devrait, dès 2025, voir arriver les premiers renouvellements du 100 % Santé. C’est une formidable chance collective et, en même temps, un challenge car il va falloir s’organiser pour s’occuper très bien de ces patients, même s’ils ont été suivis depuis leur premier appareillage, leur présenter les nouvelles technologies disponibles... Oticon a déployé tout un programme de communication nationale et ciblée à destination des professionnels et du grand public et nous allons intensifier nos actions dans les prochains mois pour soutenir nos partenaires sur le terrain.
Plus globalement, le marché des aides auditives est porteur, alimenté par une croissance naturelle, dans les pays développés, de 3 % par an, du fait du vieillissement de la population et de l’augmentation du taux d’équipement. Ainsi nous prévoyons retrouver des taux de croissance du marché plus soutenus sur les trois années à venir.
Où en est Prodition aujourd’hui ?
L’entreprise a connu un développement très important ces dernières années et a su exploiter au mieux le savoir-faire et l’innovation portés par le groupe Demant. Nous bénéficions d’une position assez unique sur le marché français en tant que partenaire industriel aussi bien des audioprothésistes que des ORL, au travers de nos différentes marques – Oticon, Bernafon, Philips, Oticon Medical et Diatec – et des synergies que nous avons su mettre en place entre elles. Ce ne sont pas des activités juxtaposées, mais des activités véritablement intégrées. Notre nouveau test de mesure du seuil de détection du contraste auditif (audible contrast threshold) ACT en est la parfaite illustration. Il constitue un trait d’union technologique très abouti entre Oticon et Interacoustics, marque leader de Diatec.
Nos trois marques d’aides auditives ont toutes leurs spécificités, leur rôle stratégique au sein de notre portefeuille et aucune ne transige avec la qualité. Le territoire d’Oticon, c’est le leadership audiologique et le saut technologique à chaque nouvelle génération d’appareils. Ces dernières années, nous avons un rythme d’innovation assez inouï sur le secteur. Nous ne lançons pas de simples améliorations incrémentales mais des innovations substantielles pour les patients. Bernafon est une marque « value », au meilleur rapport qualité prix, fiable, bénéficiant d’un héritage audiologique fort et dont le discours est simple à appréhender par les patients. Philips est plutôt dédiée aux clients qui savent exploiter la notoriété grand public spontanée de la marque. L’ensemble de ces marques et de nos services est géré depuis nos locaux français basés à Gennevilliers, en région parisienne.
Prodition compte 150 salariés dont une centaine au siège francilien. Cela signifie que lorsqu’un client appelle, il tombe systématiquement sur une personne de l’équipe. Nous attachons une grande importance à la qualité de notre service. Celle-ci a d’ailleurs de nouveau été reconnue dans la dernière étude Audioscope 2023 avec Oticon classée marque n°1 sur le critère de la perception globale qu’ont les audioprothésistes interrogés de leurs fournisseurs, avec un score de 8,7 sur 10, et Bernafon classée marque n°2.
Oticon fête ses 120 ans cette année. Comment se positionne la marque ?
Depuis plus d’un siècle, Oticon a développé de nombreuses innovations de rupture mais le rythme s’est accéléré ces dernières années avec les lancements du traitement sonore ouvert sur 360° avec Oticon Opn en 2016 – marquant la fin de la directivité –, du premier réseau neuronal profond embarqué avec Oticon More en 2020 et, plus récemment, d’Intent, le premier appareil au monde doté de capteurs d’intention d’écoute s’adaptant au comportement de l’utilisateur et utilisant un réseau neuronal profond qui en est déjà à sa seconde génération.
Grâce à l’approche plus holistique de l’audiologie de notre centre de recherche multidisciplinaire basé à Eriksholm au Danemark, Oticon a notamment pu mettre en avant le rôle primordial du cerveau dans le système auditif et développer des technologies qui soutiennent et aident à son fonctionnement optimal. C’est la philosophie BrainHearing. Ce qui caractérise Oticon, et plus globalement Demant, c’est une proximité forte en interne entre nos chercheurs et ingénieurs avec les autres services. Cette culture d’entreprise participe à l’enrichissement mutuel de nos collaborateurs et à un système décloisonné où circulent les idées, propice aux innovations. C'est un fonctionnement assez inédit et qui enthousiasme l’ingénieur que je suis.
Que peut-on attendre comme innovations dans les mois et années à venir ?
Les prochaines innovations capitaliseront sur l'exploitation de l’intelligence artificielle (IA) et des neurosciences. En ayant créé en 2020 le premier réseau neuronal profond embarqué dans une aide auditive, nous nous appuyons sur le niveau le plus avancé d'IA, le Deep Learning. C’est sur cette base, avec les innovations lancées en 2024, Oticon Intent et Bernafon Encanta, et sur notre compréhension toujours plus fine du rôle du cerveau dans le système auditif que se déploieront nos futures technologies. Ce qui fera la différence, et nous différencie déjà, c’est l’utilisation de toute la puissance de l’IA au service de l’audiologie.