La cochlée et le vestibule sont deux organes sensoriels associés au sein de l'oreille interne. La première code les sons alors que le second est responsable de l’équilibre. Tous deux contiennent de l’endolymphe et de la périlymphe et dépendent de mécanismes de codage communs, grâce à des cellules ciliées. Les problématiques d’équilibre – qui amènent 20 à 30 % des adultes à consulter –, trouvent leur origine dans deux grandes catégories de causes. Elles peuvent d’abord provenir de dysfonctionnements centraux tels les migraines vestibulaires, les accidents vasculaires cérébraux, la maladie de Parkinson ou autres. Elles sont également causées par une pathologie de l’oreille interne ou du nerf vestibulaire, comme les vertiges paroxystiques positionnels bénins, la maladie de Menière ou la névrite vestibulaire. Mais la relation entre les troubles de l’équilibre et une éventuelle perte auditive demeure peu explorée. Cette lacune reflète un certain cloisonnement dans l’approche clinique de ces problématiques. « Il faut d’abord rappeler que les problèmes d’équilibre et la perte auditive ne sont pas systématiquement associés, souligne le professeur Jean-Luc Puel, directeur de recherche à l’Institut des neurosciences de Montpellier. De plus, les spécialistes des vertiges n’ont pas toujours le réflexe de réaliser une audiométrie. »
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Des liens entre audition et équilibre
Il serait pourtant pertinent de le faire. C’est ce que suggèrent les résultats d’une étude menée par son équipe [1] : les évaluations audiométriques peuvent fournir des indications prédictives sur les dysfonctionnements vestibulaires et ainsi constituer une aide précieuse au diagnostic. Cela plaide en faveur d’une généralisation plus large des évaluations audiométriques chez les patients souffrant d’instabilité ou de vertiges. Pour parvenir à cette conclusion, les scientifiques ont analysé les corrélations entre la perte auditive et la fonction vestibulaire dans une large cohorte de 1 115 patients (dont 64,5 % de femmes) consultant pour des instabilités ou des vertiges. Dans cette cohorte, près de la moitié (49,3 %) des sujets présentaient des pathologies vestibulaires périphériques, 41,1 % des pathologies centrales et 10 % des problèmes métaboliques ou musculaires. Lors d’une phase initiale, une classification des données (« clustering ») a permis de définir six profils audiométriques. Le premier regroupait des sujets normo-entendants, les deux suivants rassemblaient des personnes présentant des pertes symétriques plus ou moins marquées sur les hautes fréquences (habituellement liées à l'âge) et les trois derniers réunissaient des patients ou avec des pertes asymétriques affectant les basses fréquences ou des pertes unilatérales. L’analyse statistique des audiogrammes a permis d’identifier deux variables (ou composantes) qui, à elles seules, expliquent 95 % de la variabilité observée. « La première composante est la moyenne de la perte auditive et elle explique à elle seule 92 % de cette variabilité alors que la seconde, l’asymétrie des pertes, n’en est responsable que pour 3 %, détaille Jean-Luc Puel. Ce résultat est intéressant car il souligne la pertinence d’utiliser la moyenne de la perte auditive pour caractériser un profil audiométrique, comme le font habituellement les audioprothésistes ou les ORL. »
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L'audiométrie pour affiner les diagnostics
À l’analyse statistique sur les audiométries a succédé la collecte des données vestibulaires. Les tests ont reposé sur l’observation du nystagmus, un mouvement réflexe des yeux servant à la stabilisation du regard lors des mouvements de la tête. Le test calorique qui consiste à stimuler alternativement les canaux semi-circulaires latéraux droit et gauche avec de l'eau chaude ou froide pour identifier des pertes vestibulaires unilatérales. Les tests rotatoires, qui sollicitent les deux oreilles lors de mouvements du fauteuil, permettent de détecter les pertes vestibulaires bilatérales. Le video Head Impulse Test (vHIT) analyse la fonction de chaque canal semi-circulaire individuellement en soumettant la tête à des mouvements brusques dans différentes directions. Puis les auteurs de l’étude se sont attelés à rechercher des corrélations entre les données vestibulaires et audiométriques. « Si l’audiométrie est une mesure robuste, les résultats des tests vestibulaires présentent davantage de variations inter- et intra-individuelles. C’est pour cette raison que nous avons décidé de filtrer ces données vestibulaires en fonction des profils audiométriques, afin de classifier les pathologies vestibulaires en fonction des profils auditifs », explique Jean-Luc Puel.
L’analyse des étiologies des troubles de l’équilibre en fonction du profil audiométrique apporte des informations intéressantes. Tout d’abord, la moitié des personnes qui consultent pour des vertiges présentent une audition normale. Dans ce groupe, 30 % des sujets souffrent de migraines vestibulaires (dysfonctionnement central) tandis que les vestibulopathies bilatérales et le vertige positionnel paroxystique bénin (d’origine périphérique) ne concernent respectivement que 10 % et 8 % de cette population. « Ces résultats suggèrent que, chez les patients normo-entendants, les vertiges trouvent plus fréquemment leur origine dans des mécanismes centraux que dans des problématiques liées à l’oreille interne, interprète Jean-Luc Puel. C’est d’autant plus important que les pathologies d’origine centrale peuvent être très graves. »
Autre information intéressante : les vestibulopathies bilatérales sont corrélées à des pertes auditives liées à l’âge, « ce qui signifie que la presbyacousie est un facteur prédictif de la presbyvestibulie », commente Jean-Luc Puel. En outre, on observe une plus forte prévalence des pathologies vestibulaires unilatérales chez les patients présentant des pertes auditives unilatérales ou asymétriques, ce qui suggère des mécanismes périphériques sousjacents communs, par exemple la maladie de Menière. « Elle touche 24 % des sujets du groupe dans lequel les pertes auditives sont les plus asymétriques alors que cette condition n’affecte que 4 % de la population des patients qui consultent pour des vertiges », souligne encore Jean-Luc Puel.
Big data et pluridisciplinarité
Enfin, cette étude, « qui n’aurait jamais pu voir le jour sans l’expertise complémentaire d’un médecin ORL, Cécile Nicolas-Puel, et d’ingénieurs spécialistes en traitement des données, Jean- Charles Ceccato et Jérôme Bourien », comme le souligne Jean- Luc Puel, plaide pour le big data et l’approche pluridisciplinaire : l’analyse des données massives intégrant non seulement des mesures audiométriques et vestibulaires, mais aussi des constantes métaboliques et biologiques, des résultats d’imagerie médicale et des antécédents de santé, permettra, dans un avenir relativement proche, de mieux comprendre les mécanismes de la maladie et son évolution. « Nul doute que cette approche associée à l’intelligence artificielle ouvrira des perspectives thérapeutiques et/ou de réhabilitation fonctionnelle adaptées et efficaces », anticipe déjà le chercheur.
