Atteinte audiométrique de l’infection congénitale à CMV

La surdité neurosensorielle consécutive à une infection congénitale à CMV revêt de multiples visages : elle peut se manifester dès la naissance ou être secondaire, parfois tardive, uni ou bilatérale, légère ou sévère à profonde mais avec une propension à se dégrader une fois déclarée. Ces deux cas cliniques illustrent cette diversité des présentations.

Par François-Xavier Bétolaud, Émilie Bois, Natacha Teissier
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Cas clinique n°1

La jeune Dja, âgée aujourd’hui de 16 ans, est suivie au CHU dans le cadre d’une surdité mixte bilatérale asymétrique dans un contexte d’infection congénitale à CMV (diagnostiquée sur des signes indirects à l’IRM). Cette jeune patiente a été diagnostiquée à l’âge de 9 ans pour une surdité mixte sévère à droite et mixte moyenne à gauche, avec une intelligibilité en rapport pour les deux oreilles. À cette époque, Dja est en inclusion scolaire, dans son école de quartier, en classe de CM1. Sa mère décrit une grande fatigabilité, une gêne sociale ainsi que des difficultés scolaires.

Appareillage bilatéral

Suite à sa prescription d’appareillage, elle est équipée courant mai 2018. Au vu de son âge et de son niveau auditif, un équipement contour d’oreille puissant est choisi, avec une configuration en tube adulte et deux embouts sur-mesure silicone type fond de conque, sans évent pour l’embout droit et évent de diamètre 1,5 mm à gauche.

Elle investit rapidement son équipement et le porte une dizaine d’heures par jour. Le réglage est réalisé à l’aide de la mesure in-vivo et en méthodologie DSLv5. Les cibles sont atteintes en niveau de sortie (SPL) et le réglage individualisé est effectué dans un deuxième temps avec Dja pour affiner son confort d’écoute. Étant donné son âge, une audiométrie adulte est réalisée selon le protocole de Cahart [1], et la compréhension évaluée à l’aide des listes dissyllabiques de Lafon. Le masking est bien investi.

Une nette évolution est constatée par sa maitresse et son orthophoniste qu’elle consulte alors deux fois par semaine. Dja est alors suivie trimestriellement pour son équipement auditif.

Audiogrammes figure 1
En juin 2021, Dja présente un épisode de fluctuation de son audition droite. Elle décrit une baisse de performance, qu’elle attribue à son appareillage. L’audiométrie réalisée retrouve une baisse de l’audition. Celle-ci semble se stabiliser à l’automne 2021. Une imagerie par TDM est aussi effectuée. Les surdités liées au CMV sont exclusivement de nature neurosensorielle, la composante transmissionnelle chez Dja est liée une anomalie platinaire. L’IRM avec une séquence labyrinthique met en évidence un hydrops cochléaire droit.

Réadressée par l’hôpital, Dja participe à plusieurs rendez-vous de suivi audioprothétique rapprochés durant cette période. Elle témoigne d’une certaine fatigue et d’une gêne majorée en environnement sonore.

Son équipement est ainsi renouvelé en décembre, et le choix se porte sur une solution de nouvelle génération, de type mini-contour d’oreille. Ce choix est effectué afin de motiver Dja dans le port de son équipement, devenu plus compliqué depuis son entrée en cinquième (4 h/jour), Dja souhaitant masquer son handicap.

Le cas de Dja illustre l’importance d’un dialogue continu et étroit entre l'audioprothésiste et le médecin ORL.

Proposition d'implantation cochléaire

Une réflexion est engagée en octobre 2022 sur la pose d’un implant cochléaire droit, dans le but d’améliorer ses compétences linguistiques, son intelligibilité et limiter sa fatigue. En effet, « la surdité neurosensorielle qui complique l'infection congénitale peut se manifester d'emblée ou être secondaire parfois tardive ; elle se caractérise par sa forte propension à évoluer vers une surdité profonde une fois déclarée. Elle concerne tout le spectre auditif sans atteinte fréquentielle préférentielle. » [2]. Elle rencontre alors l’équipe médicale et la psychologue. Dja ne semble pas motivée et ne désire pas envisager cette solution pour le moment.

Depuis, on constate une récupération auditive partielle mais la persistance d’épisodes de fluctuations des seuils de moindre mesure. Le port de son aide auditive reste modéré (4 h/jour), Dja ayant toujours cette volonté de dissimuler son handicap.

À l'occasion de sa venue en novembre 2023, son audiogramme montre un bon gain prothétique bilatéral avec altération de l’intelligibilité droite à la vocale à forte intensité. Actuellement en 3e, Dja va poursuivre son cursus en lycée professionnel.

audiogramme figure 2

Prise en charge adaptative

Le cas de Dja illustre l’importance d’un dialogue continu et étroit entre l'audioprothésiste et le médecin ORL afin d’optimiser la prise en charge du patient malentendant. Grâce à cette synergie, l’aspect du diagnostic et du suivi de Dja a pu être ajusté, pour assurer une prise en charge adaptée à ses besoins, en constante évolution depuis son diagnostic. Cet échange a permis d'adapter régulièrement son équipement auditif, notamment durant les périodes de fluctuations de son audition, et de sa volonté de ne pas afficher son handicap. Les échanges entre les différents spécialistes ont abouti à envisager la solution d’une adaptation bimodale pour améliorer sa prise en charge et sa qualité de vie.

À ce jour, Dja n'est pas prête à adopter cette option, mais un dialogue continu avec les professionnels de santé et la transition vers l'âge adulte pourront éventuellement lui offrir une nouvelle perspective à l'avenir.

Cas Clinique n°2

Ab, âgé de 13 mois, présente une surdité bilatérale profonde, dans un contexte d’infection congénitale à CMV. Sa déficience auditive a été identifiée lors du dépistage néonatal en maternité. Les tests PEA, réalisés à 2 reprises, n'affichent aucune onde V à 90 dB pour les deux oreilles ; les ASSR ne mettent en évidence aucune réponse à 80 dB à l’oreille gauche et sont en faveur de seuils à 80 dB pour le côté droit. À l’occasion de cet examen, un prélèvement salivaire est effectué ; ce dernier étant positif, une recherche de la présence virale par analyse PCR du sang néonatal du carton de Güthrie est demandée et confirme la nature congénitale de l’infection à CMV.

Des surpuissants insuffisants

Audiogrammes figure 3

Ab a été appareillé à l’âge de 9 mois, début décembre 2023, avec deux aides auditives BTE surpuissantes, associées à deux embouts silicone sur-mesure sans évent. Le réglage est réalisé en méthodologie DSLv5 pédiatrique et au coupleur, l’amplification placée sous le seuil du Larsen. Les embouts ont été refaits au début du 3e mois d’adaptation.

L’audiométrie comportementale, effectuée aux inserts puis en conduction osseuse, a révélé des réponses vibratoires, avec et sans équipement. Les réponses obtenues sont nettes et reproductibles, Ab se figeant et écarquillant les yeux à très forte intensité. Malgré l’appareillage, aucune réaction n’est observée à la maison où l’équipement est porté en moyenne 3 h/jour.

Un bilan de pré-implantation cochléaire est initié parallèlement à l’adaptation prothétique. Le test vestibulaire révèle une aréflexie vestibulaire bilatérale ; une prise en charge posturo-motrice est proposée par ailleurs. L’imagerie par IRM confirme la présence des nerfs auditifs normaux et met en évidence des lésions cérébrales évocatrices de CMV mais qui ne sont pas forcément symptomatiques.

Implantation cochléaire à venir

L’implantation cochléaire bilatérale, avec activation précoce, est initialement prévue pour mars 2024, elle est repoussée de deux mois à cause d’une virose respiratoire.

La prise en charge précoce d’Ab pour sa surdité prélinguale, a débuté par l’adaptation de deux aides auditives insuffisantes pour une stimulation périphérique efficace. L’implant cochléaire a donc été choisi pour délivrer une stimulation plus adaptée et exploiter la plasticité cérébrale du cortex auditif. Notamment pour le développement du traitement central de l’information stéréophonique essentiel à la communication orale. En effet, « les enfants qui s'inscrivent dans un contexte de surdité profonde consécutive à une IC-CMV ont dans l'ensemble de bons résultats auditifs, comparables aux résultats obtenus pour les surdités génétiques, avec cependant un décalage de l'acquisition du langage, qui se compense habituellement à un an [2]. »

L’accompagnement pluridisciplinaire et la guidance parentale seront essentiels dans le suivi d’Ab.

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