Parmi les atteintes neurosensorielles d’une infection congénitale par le CMV, la surdité figure en bonne place... Quelles en sont les particularités ?
On estime que cette infection concernerait une surdité sur 2 000 naissances et 20 % des surdités congénitales. C’est la première cause de surdité sensorielle après les surdités génétiques. Elle peut se manifester d’emblée ou être secondaire. Il n’y a pas d’atteinte fréquentielle préférentielle. Elle peut être légère ou sévère à profonde, uni ou bilatérale. Toutefois, elle se caractérise par sa tendance à se dégrader une fois déclarée. Mais difficile de prévoir à quel rythme.
Le caractère symptomatique de l’infection à la naissance est quant à lui associé à une forte incidence de risque de surdité : 33 % des enfants symptomatiques développent une surdité contre 10 % des enfants asymptomatiques. Dans les formes néonatales symptomatiques, la surdité est généralement sévère à profonde et bilatérale. À l’inverse, en cas d’infection asymptomatique, la surdité est dite plus souvent unilatérale mais peut aussi être sévère à profonde. La survenue constatée est habituellement plus précoce en cas d’infection symptomatique. L’âge moyen de diagnostic est de 15 mois (± 12 mois) chez les enfants symptomatiques et de 20 mois (± 19 mois) – chez les asymptomatiques, mais il est très certainement plus précoce.
La surdité secondaire peut être d’apparition plus tardive, classiquement jusqu’à 72 mois mais, au-delà, elle est rarement observée. Cependant la majorité des surdités supérieures à 30 dB sont diagnostiquées dans les deux-trois premières années et beaucoup surviennent dans les six premiers mois. On estime que si aucune des deux oreilles n'a bougé jusqu'à l'âge de 4-5 ans, le risque de survenue de surdité au-delà tend vers 0. À l’inverse, une fois la surdité installée, elle peut évoluer tout au long de la vie, ce qui justifie une surveillance prolongée des enfants infectés.
Il peut également y avoir des atteintes vestibulaires. On ne peut donc pas se contenter de surveiller l'audition : si on ne regarde pas ce qui se passe dans l'autre secteur, on risque de passer à côté d'une information importante qui pourrait nous guider sur la présence virale dans l’oreille interne avec un risque de dégradation auditive secondaire.
Quels traitements existent aujourd’hui ?
Une étude récente [1] a démontré l’efficacité – et l’innocuité – d’un antiviral, le valaciclovir, pour diminuer la transmission materno-foetale : ce traitement impose que l’infection soit détectée le plus précocement possible. Le risque neurosensoriel prédomine lors d’une infection de la première moitié de grossesse, il semble donc pertinent de proposer ce traitement tout particulièrement si l’infection est identifiée en début de grossesse.
En cas de transmission, certaines équipes commencent à proposer le valganciclovir dans le cadre de protocoles : cette molécule peut entrainer une neutropénie – baisse des globules blancs – et de possibles effets tératogènes (malformations fœtales) – mais à fortes doses. Compte tenu de ces effets secondaires, la prescription ne doit être faite qu’en cas de signes authentifiés et sévères. Lorsque les lésions sont trop importantes, on peut proposer une interruption de grossesse.
Quant aux nouveau-nés symptomatiques, ils sont traités par valganciclovir pendant 6 semaines ou 6 mois. Plusieurs études ont suggéré que cela permettait une diminution de la sévérité des atteintes auditives et que plus le traitement était prolongé, plus il ralentissait la survenue de la dégradation. Cependant, d’une part il ne permet pas la récupération de l’audition, et son effet est limité si la perte auditive est sévère à profonde ; d’autre part, il n’est efficace que tant qu'il est administré. En effet, il est classique de voir la survenue de surdité à distance du traitement antiviral. Néanmoins, il est peut-être pertinent de retarder l’apparition de l’atteinte auditive pour passer à une surdité post-linguale, avec des bases et des circuits qui déjà sont mis en place.
Au vu du risque de séquelles neurosensorielles, dont certaines peuvent apparaitre secondairement, l’enfant infecté in utero par le CMV doit bénéficier d’une surveillance audiométrique régulière.
Quelle doit être la prise en charge de ces enfants ?
Au vu du risque de séquelles neurosensorielles, dont certaines peuvent apparaitre secondairement, l’enfant infecté in utero par le CMV doit bénéficier d’une surveillance audiométrique régulière. Le dépistage néonatal de la surdité est crucial et va permettre de poser les jalons. Compte tenu du risque de dégradation auditive, nous proposons, à Robert-Debré, un suivi tous les trois mois la première année, puis tous les six mois jusqu'à 4 ans. L'idée étant de couvrir au mieux cette période la plus exposée. Et surtout de pouvoir identifier l'atteinte auditive au tout début de son installation pour pouvoir réagir si on a le moindre doute. Les recommandations européennes récentes suggèrent le maintien d’une surveillance annuelle idéalement jusqu’à 5-6 ans. En parallèle, nous proposons également un examen vestibulaire à 6 mois, 12 mois, 2, 3 et 4 ans.
Étant donné la fréquence de ces examens, on ne peut pas réaliser des PEA à chaque fois, cela serait trop lourd pour les parents et difficile à organiser dans les services. Sachant qu’il n’y a pas de neuropathie auditive dans le cadre d’une infection congénitale à CMV, nous proposons un test subjectif en champ libre couplé à des otoémissions. C'est une surveillance qui assure une meilleure acceptabilité par les parents et permet de renseigner sur les deux oreilles indépendamment.
Afin de formaliser ce suivi, la SFORL et l’AFOP travaillent d’ailleurs actuellement à la rédaction de recommandations pour les enfants infectés par le CMV avec un dépistage rassurant. Elles devraient être publiées début 2025. Par ailleurs, la FFADAN (Fédération française des acteurs du dépistage auditif néonatal) vient d’éditer des recommandations sur le dépistage du CMV à l’occasion du dépistage néonatal de la surdité. Elle préconise un prélèvement CMV urinaire ou salivaire dans les 15 premiers jours de vie, en cas d’échec sur une ou deux oreilles, pour permettre d’identifier au plus tôt les enfants infectés par le CMV.
Y a-t-il des spécificités dans la prise en charge prothétique de ces enfants ?
Si une surdité est objectivée, un appareillage auditif est proposé voire une implantation cochléaire en cas de surdité profonde bilatérale. Il faut conseiller aux parents de ne pas hésiter à consulter régulièrement car l’atteinte auditive peut survenir de manière imprévisible. Le réglage d'un jour peut ne pas être le même trois semaines plus tard. Et puis, comme toute surdité, il faut surtout bien être à l'affut de tout élément intercurrent qui pourrait majorer le seuil auditif comme une otite séreuse par exemple.
La période périconceptionnelle et le premier trimestre de la grossesse exposent tout particulièrement les futurs enfants aux complications les plus sévères
Vous prônez depuis longtemps la mise en place d’un dépistage systématique du CMV chez la femme enceinte.
Aujourd’hui, faute de dépistage systématique en cours de grossesse, on ne peut que s’appuyer sur la description clinique du nouveau-né à la naissance. Or 90 % des enfants infectés sont asymptomatiques et, en cas d’atteinte auditive retardée, ils passent entre les mailles du filet. Étant donné qu’il n’existe pas de vaccin contre l’infection à CMV, l’enjeu premier concerne la prévention de l’infection chez toutes les femmes, même celles qui sont immunisées contre ce virus ; en effet, contrairement à la rubéole ou la toxoplasmose, la séropositivité ne protège pas contre une éventuelle réinfection ou une réactivation du virus.
Par ailleurs, il est important d’identifier à quel moment a eu l’infection du fœtus : il s'agit d'un élément déterminant dans l’évaluation des risques d’atteinte neurosensorielle. En effet, la période périconceptionnelle et le premier trimestre de la grossesse exposent tout particulièrement les futurs enfants aux complications les plus sévères : la barrière hémato-périlymphatique est alors encore perméable et permet au virus de pénétrer dans la cochlée, contrairement à la seconde moitié de grossesse. De plus, au niveau cérébral, le virus cible tout particulièrement les cellules souches qui se multiplient et se différencient au premier trimestre pour la mise en place de l’encéphale. On pourra se montrer rassurant avec les parents en cas d'infection en fin de grossesse mais beaucoup plus prudent si elle a eu lieu au premier trimestre.
Un ou deux tests sérologiques en début de grossesse peuvent mettre en évidence une précédente infection, une absence d’immunité ou la présence d’anticorps marquant une infection récente. Ce dépistage permet d’identifier les patients à risque et de mettre en place une prise en charge anténatale et postnatale précoce afin de limiter le handicap des enfants atteints.
De plus en plus de maternités ont pris les devants et proposent un dépistage, mais faute d’une mise en place systématique partout en France, cette situation instaure des inégalités de prise en charge sur le territoire. Pourtant, en 2020, l’Académie de médecine s’était prononcée en faveur d'un dépistage de l’infection CMV chez toutes les femmes enceintes en début de grossesse [2]…
Et, alors que fin 2023 le parlement a ouvert la voie à sa mise en place, le Haut comité de santé publique (HCSP) s’y oppose dans un avis publié en février 2024. Quels sont les principaux arguments invoqués pour justifier cette décision ?
En 2018, le HCSP s’était déjà opposé au dépistage systématique du CMV. Dans son nouvel avis, il a réitéré les mêmes arguments, en faisant abstraction des avancées de ces dix dernières années, et s’est contenté de recommander de renforcer la promotion des mesures d’hygiène. Il met notamment en avant l’absence de traitement efficace, alors que des récents travaux [1] démontrent que le valaciclovir permet de limiter la transmission du virus au fœtus et que l’étude médico-économique de Claire Dubois [3] met en lumière l’économie sur la prise en charge globale de l’enfant atteint qu’engendrerait le dépistage systématique quand il est suivi d’un traitement antiviral comparé à la prise en charge actuelle.
La réticence du HSCP est entre autres motivée par le fait que ce dépistage ne permettrait de repérer que la moitié des infections congénitales. En effet, la sérologie détecte la séroconversion chez une maman préalablement séronégative (primo-infection), mais passe à côté des infections secondaires, par réactivation du virus ou réinfection (lire l’encadré ci-dessous). Or le risque de transmission de la mère à l’enfant et la survenue de surdité est identique entre les primo-infections et les infections secondaires. Pour pallier ce problème, on peut imaginer un dépistage à la naissance pour les enfants de femmes CMV+ en début de grossesse. S’il est positif, une recherche rétrospective du virus dans le sérum de la maman prélevé en cours de grossesse permettrait éventuellement de dater l’infection.
Primo-infections et infections secondaires
Les femmes les plus à risque sont celles qui n’ont encore jamais été infectées par le CMV (50 % de la population des femmes en âge de procréer), et qui ont déjà un enfant, le plus souvent âgé de moins de 3 ans fréquentant une collectivité.
À son contact, elles sont susceptibles de s’infecter car elles ne sont pas immunisées. Entre 0,4 % et 1 % d’entre elles vont contracter l'infection avant la conception ou pendant la grossesse – dans ce cas, il s’agit d’une infection primaire – et il y a risque de transmission au fœtus jusqu'à son terme.
Les infections non primaires ou secondaires concernent des mamans immunisées et qui vont de nouveau être infectées en cours de grossesse, soit par réinfection, soit par réactivation – le CMV appartenant à la famille des herpès virus.
De plus, une crainte a été avancée par le HCSP : la génération d’un stress injustifié pour les femmes dépistées. Oui, le dépistage va induire une certaine dose d’angoisse mais lorsque l’on discute avec les parents qui sont passés par le CMV, ils auraient préféré être prévenus. Aujourd’hui, trop de mères tombent des nues parce qu'on n’en parle pas. Le HCSP recommande bien sûr la mise en place d’une prévention primaire : elle est indispensable, mais cela ne doit pas exclure la nécessité d'un dépistage précoce. On informe bien sur la toxoplasmose et cela n’empêche pas de dépister aussi alors que la France est l'un des seuls pays au monde à continuer à le faire.
Quelles sont aujourd’hui vos attentes ?
La HAS a été saisie pour évaluer la pertinence, la faisabilité et les modalités éventuelles de ce dépistage. Avec plusieurs professionnels de santé, dont le Pr Yves Ville, chef du service d’obstétrique et de médecine fœtale de l’hôpital Necker-Enfants malades, nous venons de signer une tribune parue dans le journal Le Monde, dans laquelle nous appelons à mettre en place ce dépistage pour garantir une équité dans l’accès à celui-ci et à la prévention de l’infection congénitale à CMV, et pour offrir aux femmes enceintes l’information nécessaire à des choix éclairés concernant leur santé et celle de leur enfant à naitre.
En tant qu’ORL ou audioprothésistes, nous sommes un peu les réceptacles des enfants touchés par le CMV... Faute de dépistage, beaucoup ne sont pas identifiés et lorsque la surdité survient, au-delà du retard pris dans la prise en charge, il est malheureusement souvent impossible de préciser l’étiologie de leur surdité.
Un avis de la HAS attendu d'ici fin 2024
Bien que le HSCP s'y soit de nouveau opposé, le PLFSS 2024 laisse la porte ouverte à la mise en place d'un dépistage systématique du CMV, « après avis de la Haute Autorité de santé ». Dont acte. Celle-ci a bien été saisie par la Direction générale de la Santé et devrait avoir élaboré sa note de cadrage d’ici juillet. « Nous ferons notre possible pour rendre notre réponse d’ici la fin d’année, a commenté le Pr Lionel Collet, président de la HAS. Le HCSP a déjà fourni un important travail, qui a conclu défavorablement. L’objectif est d’examiner s’il existe de nouvelles données et également les éléments sur lesquels l'avis du HSCP a été critiqué. »