En novembre 2019 paraissait une étude de Santé publique France sur le déploiement du dépistage universel de la surdité permanente bilatérale néonatale après quelques années de fonctionnement (voir article p. 34). L’occasion de jeter un coup d’oœil dans le rétroviseur et de rappeler les différentes étapes qui ont mené à la mise en place du programme et, ce faisant, de saluer le travail de celles et ceux qui y ont participé. L’occasion également de dresser un état des lieux et dessiner les axes de progression afin d’améliorer encore le repérage et le diagnostic des enfants atteints de surdité pour une prise en charge adaptée précoce.
Odyssée législative
À défaut d’une loi, dont le projet a été porté dès 2010 par les députés Edwige Antier, Jean-François Chossy et Jean-Pierre Dupont, c’est finalement un arrêté qui a instauré le dépistage systématique de la surdité en maternité, mettant fin à deux ans d’une épopée législative émaillée de nombreuses péripéties. Censure à deux reprises du Conseil constitutionnel, opposition de la Fédération nationale des sourds de France (FNSF), contre-projet de loi de la sénatrice de Seine-Saint-Denis, Dominique Voynet, proposant de différer le dépistage de la surdité à compter du 4e mois et au plus tard au cours du 9e mois, aux motifs qu’un diagnostic trop précoce risquait de briser le lien parent-enfant et d’entraîner une surmédicalisation de la surdité… Le dépistage de la surdité permanente néonatale, après bien des aléas, a été rendu obligatoire par l’arrêté du 23 avril 2012 et généralisé en France à la suite de la publication du cahier des charges national du programme par arrêté du 3 novembre 2014. Confiée aux Agences régionales de santé (ARS), sa mise en place sur le territoire s’est faite progressivement
Des initiatives régionales
Les prémices du dépistage systématique de la surdité permanente néonatale en France remontent à la fin des années 1990 et au début des années 2000. À l’étranger, des programmes en maternité se mettaient en place progressivement (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Suisse, Belgique, Allemagne…). Un mouvement permis en partie par l’émergence de techniques de dépistage objectives, les otoémissions acoustiques automatisées (OEAA) et les potentiels évoqués auditifs automatisés (PEAA). En France, plusieurs initiatives locales démarrèrent, indépendamment les unes des autres, notamment dans le Centre, portée par le Dr Alain Robier, en Champagne-Ardenne par le Pr André Chays et le Dr Pascal Schmidt, en Haute-Normandie par le Dr Yannick Lerosey, dans le Languedoc-Roussillon par le Pr Michel Mondain, en Alsace par la Dr Valérie Lévy-Rehspringer. « Les communications scientifiques de l’époque plaidaient pour un dépistage dès les premiers jours de la vie pour une prise en charge la plus précoce possible et ce, afin de permettre le développement du langage, explique le Dr Lerosey, chef du service ORL de l’hôpital d’Évreux. L’âge du diagnostic et surtout l’âge de l’appareillage auditif étaient encore en moyenne beaucoup trop tardifs pour les surdités sévères et profondes au début des années 2000 ; il avoisinait les 18-23 mois sachant qu’en termes de plasticité cérébrale les deux premières années de vie sont cruciales. De 1999 à 2002, nous avons procédé à l’échelle d’une maternité à Évreux. À l’issue de ces trois années, nous avions prouvé que le dépistage en maternité permettait un taux de couverture de près de 99 % alors que d’autres expérimentations hors maternité montraient des taux de couverture de 60 %. » Un constat confirmé par une étude de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), menée de 2005 à 2007. Suivirent quelques années de polémiques, notamment concernant le protocole, les OEAA vs PEAA ...
En avril 2007, la Haute autorité de santé (HAS) publia des recommandations en faveur de sa mise en place suivie par celles de l’Académie de médecine en 2008. Cette même année, le 2e colloque de la Fondation Chirac, porté par son conseiller scientifique, le Pr Bernard Fraysse, a permis de réfléchir au dépistage précoce et systématique de la surdité chez les jeunes enfants et à son déploiement en France. De cette réflexion est né un projet de loi pour que tous les nouveau-nés puissent en bénéficier. Débuta alors en 2010 le serpent de mer législatif, auquel mit fin l’arrêté d’avril 2012 qui entérina la mise en place systématique du dépistage de la surdité permanente néonatale au niveau national.
On ne peut pas annoncer une suspicion de surdité à des parents sans organiser leur accompagnement et celui de leur enfant par la suite
Le problème du pistage
Aujourd’hui, l’intérêt de ce dépistage ne fait plus débat. Le système est en place et l’heure est aux premiers bilans. « Un grand pas a été fait, commente le Pr André Chays, membre de l’Académie de médecine. À plus d’un titre, car le fait de dépister sensibilise toute une population sur un territoire. Même si une surdité apparaît secondairement, les parents et leurs familles auront été sensibilisés. C’est une véritable avancée en termes de santé publique. il est temps maintenant de s’assurer de son efficience sur tout le territoire, sans œillères. » À cet égard, un indicateur doit permettre de tirer la sonnette d’alarme. il s’agit du taux de surdités congénitales diagnostiquées. « Alors, que la prévalence est plutôt de 1/1 000, il n’est pas normal que certaines régions rapportent officiellement un taux de 0,5/1 000, ajoute le Dr Lerosey. Cela signifie qu’il y a des trous dans la raquette. » La problématique soulevée est celle du suivi et du traçage à la sortie de la maternité. Et donc de la structuration de la prise en charge en aval. L’enjeu aujourd’hui n’est plus le dépistage mais la mise en place d’un dispositif suffisamment efficace et rigoureux pour limiter les perdus de vue, les enfants suspects à la sortie de la maternité mais dont on perd la trace par la suite.
Un dispositif d’aval rigoureux
Pour s’assurer de l’efficacité du système, le Pr Chays insiste tout d’abord sur la formation des personnels en maternité pour éviter les erreurs dans la réalisation des tests et un nombre anormal (au-delà de 3 %) de suspects, qui engorgent les équipes en aval. Il recommande également la mise en place d’un registre centralisé à la maternité, recensant les résultats et qui puisse être transmis à un centre régulateur régional. « Cela n’est pas fait partout, déplore-t- il. Or, les systèmes qui n’informent pas directement ne servent à rien. » Une fois les tests réalisés en maternité, il faut organiser le suivi. « Pascal Schmidt [ORL et cheville ouvrière du dépistage en Champagne-Ardenne, NDLR] avait coutume de dire que le dépistage sans pistage est plus dangereux que pas de dépistage du tout, rappelle André Chays. On ne peut pas annoncer une suspicion de surdité à des parents sans organiser leur accompagnement et celui de leur enfant par la suite. Cela suppose un relais vers un réseau de spécialistes de qualité, ORL, généralistes, pédiatres… qui s’engagent à revoir l’enfant dans le mois ou les deux mois qui suivent pour lever ou non la suspicion. »
Ce réseau d’aval doit impliquer un nombre suffisant de professionnels. Pour Yannick Lerosey, la réussite du maillage en Haute-Normandie tient à son ancienneté mais aussi à la stabilité et au nombre relativement restreint des correspondants. « Il faut sensibiliser tous ceux qui s’occupent du dépistage en aval, ajoute-t-il. C’est plus facile d’impliquer et de garder le contact avec 5-6 personnes. » Selon le Pr Noël Garabédian, ex chef du service ORL de l’hôpital Necker-enfants Malades, « il reste beaucoup à faire sur la mise en place de réseaux en relais de la maternité car il y a encore des retards à l’adressage des enfants suspects de surdité. Une amélioration est souhaitable rapidement. »
Autre pilier de ce suivi : la mise en place de centres référents en charge de la phase de diagnostic. Lorsque les spécialistes en aval confirment la suspicion de perte d’audition bilatérale, l’enfant doit être adressé à un centre référent pour que le diagnostic soit posé à l’âge de 5-6 mois. À chaque étape, les informations doivent être recueillies dans le registre régional pour permettre un suivi efficient. « Enfin, on doit exiger que ces données soient collectées dans un registre national, qui ne soit pas la conséquence d’une loi mais un édifice porté par les spécialistes sur le terrain qui décident des moyens pour le faire et le réussir », insiste le Pr Chays.
Il y a encore des retards à l'adressage des enfants suspectés de surdité