Faut-il dépister génétiquement les surdités congénitales ?

La prévalence des surdités de perception bilatérales sévères ou profondes congénitales est de un pour 1 500 nouveau-nés. On estime que 80 % des surdités congénitales ont une origine génétique. Les bénéfices d’une prise en charge précoce des surdités congénitales sévères et profondes ne sont plus à démontrer.

Par la Dr Laurence Jonard et la Dr Sandrine Marlin
Florence Jonard Sandrine Marlin

On serait donc tenté de se servir des nouvelles technologies de séquençage à haut débit de l’ADN comme moyen de dépistage néonatal de la surdité congénitale, comme le souhaite la Pr Cynthia Morton de l’université de Manchester (Royaume-Uni).

Actuellement plusieurs dépistages néonataux de maladies d’origine génétique existent en france : dépistage universel pour la mucoviscidose et l’hypothyroïdie ; dépistage des populations ciblées pour la drépanocytose. Ces dépistages sont basés sur des dosages biologiques et non sur un séquençage de l’ADN. Depuis 2013, un dépistage systématique en maternité des troubles de l’audition est pratiqué par oto-émissions acoustiques (OEA) ou potentiels évoqués auditifs automatisés (PEAA). Il permet de dépister la grande majorité des surdités congénitales bilatérales quelle que soit leur cause.

Peut-on utiliser le séquençage à haut débit pour dépister les surdités congénitales ? Les techniques de génétiques moléculaires sont robustes et fiables mais malgré cela, aujourd’hui, elles ne permettent de mettre en évidence une cause génétique que dans à peu près 60 % des cas de surdités congénitales. En effet, environ 10 % des surdités précoces sont dues à une foetopathie au cytomégalovirus (CMV) et certains gènes ou mécanismes génétiques ne sont soit pas encore identifiés soit pas détectables par les techniques utilisées en diagnostic. Seul le gène GJB2 (qui code la connexine 26) est responsable d’une part importante (20-30 %) des surdités congénitales. Les autres, plus de 70, sont responsables chacun d’un très faible pourcentage de cas. De plus pour la plupart d’entre eux, il existe une variabilité d’expression clinique ne permettant pas de prédire un pronostic fonctionnel et évolutif a priori. L’efficacité d’un dépistage génétique serait pour ces raisons moins bonne que les méthodes audiologiques actuelles.

Doit-on utiliser le séquençage à haut débit pour dépister les surdités congénitales ? Actuellement les lois de bioéthique françaises réservent les prescriptions d’examens génétiques au domaine du soin et tout dépistage génétique est illégal. De nombreuses questions concernant la précocité du dépistage néonatal par OEA/PEAA ont été posées par les associations et les professionnels. Ces problèmes liés aux difficultés à investir un bébé perçu comme différent dès les premiers jours de vie seraient accentuées par un dépistage génétique, car il permettrait des diagnostics présymptomatiques d’un trouble auditif qui n’apparaîtra que des années voire des dizaines d’années plus tard. Tout séquençage de l’ADN expose à la mise en évidence dans un grand nombre de cas (3 % pour GJB2) d’hétérozygotie chez des personnes saines. Que ferait-on de cette information n’ayant pas de conséquence sur le bébé dépisté mais éventuellement sur ses descendants ? Enfin, un tel dépistage néonatal génétique ne verrait pas le jour sans poser des problèmes financiers et organisationnels importants qui ont déjà été soulevés lors de la mise en place de différents dépistages néonataux actuels alors que ceux-ci sont moins onéreux et techniquement plus simples.

Même si nous considérons que la consultation de génétique fait partie de la prise en charge des surdités congénitales et doit être proposée précocement à la famille, d’autant plus qu’elle sera indispensable dès que des essais cliniques seront disponibles, il ne nous semble pas souhaitable aujourd’hui de proposer un dépistage génétique universel néonatal des surdités congénitales.

Les propos tenus dans les tribunes sont sous la responsabilité de leurs auteurs et ne reflètent pas forcément l’opinion d’audiologie Demain.

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