Progressivement mise en œuvre à partir de 2019, la réforme du 100 % Santé a boosté les ventes d’aides auditives et... les ouvertures de centres. Ces derniers ont vu leur nombre fortement augmenter de 5 467 en 2019 à 7 977 en 2025 (+ 46 %). Mais après l’euphorie initiale et une année 2021 record pour le marché des aides auditives – dont les ventes sell-in (des fabricants aux distributeurs) avaient quasiment atteint 1,7 million d’unités –, le secteur a enregistré deux années de reflux. Et en dépit d’un rebond de 1,4 % en 2024, le nombre d’aides auditives écoulées l’année dernière demeure inférieur de 7 % par rapport à celui de 2021.
Pas de baisse pour le moment
Ce tassement de l’activité conjugué à un nombre de points de vente qui a explosé pourrait-il entrainer une moindre valorisation marchande des centres d’audioprothèse ? Une valorisation qui pourrait, en conséquence, ne plus se situer au-delà de 6 ou 7 fois l’Ebitda (qui mesure le bénéfice avant intérêt, impôts et amortissement, soit la rentabilité brute), comme on le considère habituellement au sein du secteur ? Pour Vincent Lefèvre, directeur général d’Audio- Libre, une centrale qui dispose d’un pôle de compétences en matière financière, patrimoniale et fiscale oeuvrant notamment pour ses membres souhaitant céder leur centre, cette possible dévalorisation n’est pas observée dans les transactions accompagnées par la société. « Nous n’avons pas à notre disposition de chiffres recensant précisément l’ensemble des transactions effectuées en France qui nous permettent aujourd’hui d’affirmer que la valeur des centres a baissé ou non, estime le cadre. Nous constatons un très grand nombre d’ouvertures depuis l’instauration du 100 % Santé et une offre croissante, tandis que le nombre d’acquéreurs majeurs n’a pas augmenté. Malgré cela, les cessions dont nous avons la responsabilité et que nous acceptons de suivre continuent pour l’instant à être valorisées au moins autant que par le passé. »
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Même constat du côté de Virginie Ginsbourger, directrice générale de Sonova Audiological Care France (AuditionSanté) : « Nous n'observons pas de diminution de la valorisation des points de vente malgré le tassement récent du marché et l’augmentation du nombre des centres, toutefois, on note des disparités avec des établissements qui ont mieux “performé” que d’autres en fonction de divers facteurs. »
Les centres ouverts depuis le 100 % Santé sont en général moins recherchés par les potentiels acquéreurs qui préfèrent avoir un historique d’activité plus important.
Vincent Lefèvre, DG d’AudioLibre
Des investisseurs sur la réserve
Toutefois, le contexte national actuel semble peu porteur pour les centres d’audioprothèse à la recherche de nouveaux propriétaires. Selon un autre responsable du secteur, « les acteurs traditionnels et les groupes internationaux sont aujourd’hui sur la réserve. En cause : des incertitudes sur la situation économique de la France et également l’article 58 de la LFSS 2023 permettant au gouvernement de fixer les marges des distributeurs de dispositifs médicaux et de plafonner les remises commerciales des fournisseurs. Cela impliquerait probablement un effet négatif sur le chiffre d’affaires et les marges ».
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Ainsi, les choix d’investissement de ces groupes seraient aujourd’hui plutôt tournés vers l’Allemagne et la Grande-Bretagne où la visibilité est meilleure.
Les valeurs sûres
Dans ce contexte compliqué, qu’est-ce qui valorise un magasin lorsque son propriétaire souhaite le céder ? Chaque cas est particulier car les facteurs impliqués sont divers et variés. Ce qui explique que certains centres conservent une valeur marchande élevée alors que d’autres subiront une décote ou tout simplement ne trouveront pas acquéreurs.
Pour Virginie Ginsbourger, les ressources humaines demeurent un aspect central dans la décision d’acquisition d’un magasin. « Dans notre métier, nous savons que ce qui prime c’est la qualité de l’équipe et en premier lieu celle de l’audioprothésiste et son expertise professionnelle, puisqu’il est le seul à même d’appareiller le patient », rappelle la responsable d’AuditionSanté. Reste aussi à connaitre la destinée des anciens propriétaires après la cession. « Dans un marché fortement incarné où le patient fait d’abord confiance à une personne et non à une enseigne, une durée d’accompagnement longue – notamment si l'audioprothésiste qui cède son affaire reste dans le centre en tant que salarié de l'acquéreur – influe positivement sur la valeur de vente », explique Vincent Lefèvre.
L’acquisition de centres par un groupe est d’abord dictée par la géographie et la volonté d’être présent dans de nouvelles zones pour se rendre accessible à de nouveaux clients. La cote des centres à acquérir sera d’autant plus élevée que l’acheteur n’est pas ou peu implanté dans la zone. « À l’inverse, l’achat d’un réseau peut se solder par la nécessité de fermer un magasin du fait de la localisation trop proche d’un centre de l’acquéreur », remarque Vincent Lefèvre. Et donc réduire la valeur de cession.
La localisation du ou des centre(s) et les facilités pour y accéder sont d’autres caractéristiques importantes, sachant qu’une part élevée de la patientèle est constituée de personnes âgées. « L’emplacement revêt donc une importance particulière, explique Virginie Ginsbourger. Le centre se trouve-t-il à proximité des prescripteurs médicaux, d’un pôle santé, d’une pharmacie ou d’une clinique ? Dispose-t-il d’un parking pour que les patients qui le désirent puissent stationner ? Est-il proche de transports en commun ? » La fin de la primoprescription pour les médecins généralistes non formés à l’otologie médicale fait de la proximité d’un cabinet ORL un critère fort de valorisation pour le magasin.
Le respect scrupuleux par l’équipe du cadre réglementaire est le facteur qui, à mon sens, a gagné en importance lorsqu’on considère actuellement la valeur marchande d’un centre d’audioprothèse.
Virginie Ginsbourger, directrice générale d'AuditionSanté
Rentabilité à long terme
Une rentabilité sur une période suffisamment longue est un autre indicateur sur lequel l’acheteur posera sa loupe. Avec pour corollaire que les structures les plus récentes peineront à convaincre les investisseurs. « Les centres ouverts depuis l’instauration du 100 % Santé sont en général moins recherchés par les potentiels acquéreurs qui préfèrent avoir un historique d’activité plus important », confirme Vincent Lefèvre. À rentabilité égale, l’appartenance ou non du centre à un réseau importe aussi. « C’est l’effet "build-up" selon lequel, à profitabilité identique, le prix par centre augmente avec le nombre de magasins acquis », explique le directeur général d’AudioLibre. Et il faut s’interroger sur le potentiel d’activité immédiat du ou des magasins acquis. Celui-ci sera d’autant moins élevé que les campagnes marketing passées et le renouvellement des aides auditives ont été faits assidûment, alors qu’on pourra anticiper l’inverse dans le cas d’un centre n’ayant pas relancé sa base de données depuis quelques années.
Enfin, la dimension réglementaire importe également dans la discussion, évalue Virginie Ginsbourger. « En général, les audioprothésistes produisent un travail de grande qualité. Mais il y a peut-être eu une période durant laquelle l’attention aux règles était moindre qu’aujourd’hui. De ce fait, le respect scrupuleux par l’équipe du cadre réglementaire dans un contexte où la profession est l’objet d’une attention particulière – avec le renforcement des contrôles de la CPAM, des complémentaires, voire de la DGCCRF – est le facteur qui, à mon sens, a gagné en importance lorsqu’on considère actuellement la valeur marchande d’un centre d’audioprothèse », conclut la directrice générale d’AuditionSanté.