100 % Santé : la question de l’accès à la prescription

Il y a les intentions et la réalité du terrain... Alors que les malentendants peuvent bénéficier aujourd’hui en France d’un appareillage auditif sans reste à charge, se pose la question de l’accès à la prescription médicale. Entre une baisse des effectifs des ORL et des généralistes et une surspécialisation des disciplines, le succès du 100 % Santé ne risque-t-il pas quelque retard à l’allumage ?

Par Ludivine Aubin-Karpinski
Prescription aides auditives

On y est, le 100 % santé est pleinement effectif depuis le 1er janvier 2021. La modification du « logiciel » de prise en charge des troubles de l’audition permet aujourd’hui à tous les assurés disposant d’une complémentaire santé de s’équiper sans reste à charge. Elle s’accompagne d’une révision du parcours de soins notamment des presbyacousiques (lire notre dossier La vocale dans le bruit redessine le parcours de soins). En effet, alors qu’auparavant tout médecin pouvait primo-prescrire, cela ne sera désormais possible que pour les ORL et les médecins généralistes attestant d’un parcours de DPC en « otologie médicale ». Courant 2020, le Collège de médecine générale (CMG) et le Conseil national professionnel (CNP) d’ORL se sont entendus pour limiter la primo-prescription d’un appareillage auditif par les généralistes à « l’adulte de plus de 60 ans, porteur d’une presbyacousie ». Ce nouveau dispositif, bien que destiné à assurer une prise en charge de qualité par des professionnels formés, risque néanmoins de gripper la machine…

Un accès aux prescripteurs « limité »

Parce que la formation en otologie médicale n’est pas prête, le dispositif a été repoussé (deux fois) au 31 mars 2021. Mais combien de médecins choisiront de se former et le seront à cette date ? Une situation qui s’inscrit dans un contexte de pénurie de médecins et de désertification médicale, fruits d’une politique de numerus clausus menée pendant plusieurs décennies et de l’échec des incitations financières à l’installation. Ainsi, les espoirs portés par l’avancée que constitue la réforme du 100 % Santé risquent de se heurter à la réalité du terrain. Se pose donc clairement la question de l’adéquation entre l’accès aux prescripteurs et les besoins de la population malentendante (voir notre dossier Malentendant cherche prescripteur).

Pénurie médicale et surspécialisation

Cette problématique n’est pas spécifique au secteur de l’audiologie. Le phénomène a d’ailleurs fait l’objet d’un colloque sous l’égide du Conseil d’État en février 20201. En toile de fond de cette journée, l’extraordinaire transformation à laquelle sont confrontés les métiers de la santé depuis le début des années 2000. Démographie médicale, vieillissement de la population, spécialisation croissante des disciplines… à ces défis s’ajoutent l’avènement de l’intelligence artificielle et les progrès technologiques, comme la télémédecine ou l'e-santé. Autant de modifications qui vont demander aux professionnels d’exercer leur métier autrement et qui, selon Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d’État, « doivent conduire à ébrécher les cloisons entre les professions et imposent une répartition cohérente des tâches afin de répondre aux défis de santé ». Pour Didier Truchet, professeur émérite de l’université Panthéon-Assas, il faut répondre « à la désertification médicale par de nouveaux parcours de santé efficients ».

L’évolution naturelle sera à la coopération des médecins avec d’autres professionnels aux compétences élargies.

Pr Lionel Collet, Conseiller d'État

Une redistribution des compétences ?

Depuis longtemps, la France cherche les moyens de pallier la pénurie de médecins en créant de nouvelles professions ou en redistribuant certaines compétences médicales. C’est le sens des différents rapports rédigés par le Pr Yvon Berland entre 2003 et 2011, qui préconisaient la délégation de compétences, ou encore des recommandations d’avril 2008 de la HAS2. Plus récemment, le Ségur de la santé prévoyait la création d’une « profession médicale intermédiaire », sorte de « chaînon manquant » entre le médecin et l’infirmière. Une proposition de loi, présentée en octobre 2020 par Stéphanie Rist (LREM, Loiret), a provoqué une levée de boucliers du monde médical. La création d’une nouvelle profession a une fois de plus fait long feu… La solution serait donc plutôt une répartition des tâches. C’est en substance l’analyse livrée par le Pr Lionel Collet à l’occasion du colloque au Conseil d’État, qui observait d’un côté une baisse de la compétence générale des médecins et de l’autre une augmentation de celles des professionnels de santé non médecins. Et de conclure : « L’évolution naturelle sera à la coopération des médecins avec d’autres professionnels aux compétences élargies ». La filière auditive devra trouver ses propres réponses. La mission Igas, souhaitée dans nos colonnes par le Pr Collet et annoncée en septembre dernier par Olivier Véran, devrait fournir quelques pistes.

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