14 Mars 2024

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Nicolas Wallaert : « L’IA pourrait accroitre les connaissances en audiologie et faire monter en compétences les praticiens »

Nicolas Wallaert s’est peu à peu imposé comme la référence IA en audiologie. L'ingénieur et audioprothésiste nous éclaire sur le potentiel de l'intelligence artificielle pour le secteur et aborde les considérations éthiques et juridiques de cet outil.

Propos recueillis par Violaine Colmet Daâge
Nicolas WALLAERT

L’intelligence artificielle a connu un essor considérable ces dernières années. Que peut-elle apporter à la médecine et à l’audiologie en particulier ?

L’intelligence artificielle est un outil puissant. En médecine, elle pourrait changer considérablement les pratiques. Notamment, parce que l’IA peut effectuer des tâches précises rapidement et ainsi seconder le praticien pour libérer du temps médical.

L’IA est d’ailleurs déjà utilisée dans de nombreuses spécialités. En radiologie par exemple, il existe des algorithmes d’interprétation d’imagerie automatisée, que certains centres exploitent déjà.

En audiologie, l’audiométrie se prête parfaitement à l’utilisation de l’IA : il s’agit d’une tâche routinière et protocolaire, que l’on peut tout à fait apprendre à une machine. L’IA peut réaliser des tests de manière aussi, voire plus, efficace que ce que l’on peut faire manuellement et faire gagner du temps médical.

L’idée est donc que le médecin puisse s’appuyer sur l’IA ?

Pour des raisons éthiques et médico-légales, le responsable reste le praticien. L’IA ne réalisera pas le diagnostic toute seule, elle peut concourir à son établissement mais ce n’est pas elle qui en endossera la responsabilité.

Il est important que le médecin le sache et dispose des connaissances minimales sur ce qui est autorisé ou non. Il faut savoir qu’aujourd’hui, de nombreux dispositifs médicaux (DM) – et également en audiologie – sont sur le marché alors qu’ils ne bénéficient pas des autorisations nécessaires. En audiométrie par exemple, la Classe IIa est désormais obligatoire. Pour contrôler la conformité du DM, il suffit de vérifier qu’il dispose d’un numéro sous le logo CE, celui-ci correspond à l’organisme de contrôle ayant délivré le certificat.

Comment est-il possible que des DM non autorisés soient sur le marché ?

Dans le secteur médical, plusieurs problèmes se sont cumulés. En 2021, la réglementation européenne sur les dispositifs médicaux [MDR – sur ce sujet, lire notre article MDR, la loi qui ne fait pas rire les fabricants] a évolué, entraînant un engorgement des DM en attente de marquage, avec quelque 40 000 dossiers en souffrance, quand la capacité d’audit annuelle était de 6 000 ! L’UE a botté en touche, en laissant sur le marché les DM certifiés lors de l’ancienne réglementation (il s’agissait alors d’une auto-certification) mais les nouveaux dossiers ont été bloqués. Sur l’IA à proprement parler, la réglementation est longtemps restée en discussion. Elle vient tout juste d’être votée, c’est l’AI Act. Nous y voyons plus clair. Dans le médical, l’IA est très réglementée. Il est notamment quasi impossible – pour ne pas dire interdit – d’implémenter des IA auto-apprenantes : les industriels doivent pouvoir prouver que, pour tel jeu de données en entrée, il y aura tel jeu de données en sortie et qu’aucune variation n’est possible. Le but est de limiter les risques additionnels pour le patient. Les industriels devront donc obligatoirement entraîner leur modèle avant la commercialisation et devront faire valider les améliorations successives de façon itérative.

La réglementation est-elle aussi stricte à l’international, chez des leaders comme la Chine ou les États-Unis ? Et quelles sont les conséquences pour les medtechs européennes ?

Je ne connais pas bien la réglementation chinoise, mais certains éléments interdits par l'AI Act sont déjà appliqués chez eux ! Au niveau américain, la FDA est désormais plus souple sur les DM que le MDR.

L’aspect réglementaire et son homogénéisation à l’échelle internationale sont cruciaux pour la compétitivité des medtechs européennes. Certains prétendent que la DNS (délégation au numérique en santé) souhaiterait ajouter en France des exigences complémentaires à celles de l’Europe. Cela poserait un problème de compétitivité potentielle au sein même de l’UE.

Les praticiens qui utiliseront l'IA remplaceront vraisemblablement petit à petit ceux qui ne le feront pas.

Pour entraîner ces machines, une grande quantité de données sont nécessaires. Comment réguler leur accès ? Et quels sont les risques associés ?

L’utilisation des données est encadrée entre autres par la loi dite Jardé relative aux essais cliniques et la RGPD. Aujourd’hui, le consentement du patient est obligatoire. Même pour des études rétrospectives. Cela pose parfois des problèmes éthiques et pratiques. Sur le fond, qu’est-ce qui est plus éthique : contacter de très anciens patients à l’aide de coordonnées potentiellement obsolètes au risque de faire fuiter des informations médicales ? Procéder à des anonymisations ? Ne pas utiliser ces données qui pourraient pourtant être utiles pour améliorer la prise en charge future ?

Le Health DataHub ou l'Institut de l'intelligence artificielle en santé ont suggéré d’opter dans certains cas pour un consentement par non opposition.

Il faut également que le jeu de données soit « de qualité » et représentatif de la population. Sinon, cela ne pourrait-il accentuer certaines inégalités de santé ?

La qualité de la donnée est cruciale et trop souvent minimisée. Dans le cas de l’apprentissage supervisé, les applications médicales qui intègrent de l’IA sont trop souvent entraînées à l’aide de données labellisées par des praticiens inexpérimentés. Or, si la labellisation est fausse, vous entraînez le modèle à reproduire quelque chose de potentiellement erroné ! Pour de meilleurs résultats, il faudrait faire intervenir les pontes de chaque spécialité. Sur la représentativité des données, elle peut avoir un effet sur le résultat, bien sûr. Nous avons rencontré cette problématique* : en audiométrie vocale, nous utilisons de la reconnaissance vocale. Le réseau de neurones profonds que nous avons développé doit noter phonétiquement ce que le patient répète. Quelqu’un qui aurait un accent très prononcé pourrait être moins bien reconnu par l’IA qui pourrait alors le « sanctionner ». Cela pourrait être considéré comme inégalitaire.

Cette problématique peut toutefois être facilement repérée et gérée par le médecin. S’il demande une audiométrie vocale sur un patient qui présente un défaut articulatoire ou un accent assez prononcé et que le test est globalement effondré, il saura d’où vient l’erreur et pourra demander un nouveau test, des examens complémentaires ou une confirmation. Par ailleurs, l'entraînement itératif du modèle avec des données toujours plus nombreuses vient progressivement annihiler cet écueil.

Demain, que pourra-t-on attendre de l’intelligence artificielle ?

En France, il y a un ORL pour 25 000 habitants et ils sont très occupés. L’IA pourrait permettre d’optimiser les soins et aider à caractériser les pathologies. Aujourd’hui, au cours d’une audiométrie, on ne teste l’audition que sur quelques fréquences. Avec l’IA, vu que la contrainte temporelle est moins forte en raison de l’automatisation, vous pourrez réaliser un test plus précis. Cela signifie aussi que la qualité des explorations fonctionnelles pourrait être améliorée.

Dans d’autres pays, l'accès à une médecine de spécialité est encore plus compliqué, voire impossible. On parle d’un ORL pour 250 000 habitants parfois ! Dans ces pays, des systèmes d'aide au diagnostic pour les médecins non spécialistes seraient intéressants. Cela permettrait de ne diriger vers les spécialistes que les patients dont la pathologie a été repérée. Par exemple, pour les patients présentant une otospongiose opérable, il y a un faisceau d'arguments qui peuvent permettre à l’IA de converger vers ce diagnostic. Dans un pays émergent où il n’y a pas d’ORL, ces données peuvent être recueillies par un généraliste et partagées à une IA. L’ORL pourra confirmer le diagnostic et l'indication a posteriori.

En recourant davantage à l'intelligence artificielle, n’y a-t-il pas un risque d’appauvrissement des compétences ?

C'est une vraie question. Le tout est justement que le praticien continue de se former, parce que l’IA peut se tromper. Il reviendra au praticien le soin de corriger le tir. Le médecin doit être capable de confirmer le diagnostic et d’apprécier la cohérence des résultats de façon contradictoire avec son examen clinique et choisir de refaire l’examen ou de poursuivre les investigations si nécessaire. En termes de compétences, l’IA pourrait aussi au contraire être utilisée dans l’enseignement ou faire monter en compétences les professionnels de santé. Et ce, à différents niveaux. Elle peut contribuer à l’acquisition de connaissances nouvelles en audiologie, en améliorant par exemple la compréhension des mécanismes physiopathologiques, ou encore en facilitant le profilage auditif des patients pour améliorer leur prise en charge. On peut aussi imaginer des systèmes d'entraînement et de formation des praticiens grâce à l’IA, qui pourraient avoir une place dans l’enseignement (simulation de cas cliniques par exemple). Enfin, l’IA peut permettre une délégation de tâches sur des actes « simples », via une montée en compétences de certains professionnels « augmentés » grâce à l’IA.

Dans ce cas, les praticiens se recentreront sur les tâches pour lesquelles leur plus-value humaine et médicale ou chirurgicale est indispensable. Comme d’autres, je pense que l'intelligence artificielle ne remplacera jamais les praticiens, mais viendra les soulager et les aider dans leur quotidien. Dans ce sens, les praticiens qui utiliseront l'IA remplaceront vraisemblablement petit à petit ceux qui ne le feront pas.

*Nicolas Wallaert dirige la start-up iAudiogram qui propose de l'audiométrie par intelligence artificielle.

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