Bluetooth LE Audio, une nouvelle ère pour la connectivité

Dans quelques mois, le nouveau Bluetooth Low Energy Audio (5.2) sera disponible. Une petite révolution dans le monde de l’aide auditive puisqu’il permettra une connectivité directe universelle ainsi qu’une connexion multi-points. Ken Kolderup, du Bluetooth SIG, et Nikolai Bisgaard, de l’Ehima, qui ont participé à l’élaboration de ce projet, nous présentent ce nouveau dispositif.

Propos recueillis par Bruno Scala
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AD : Le Bluetooth Low Energy (LE) Audio est un projet à l’initiative des fabricants d’aides auditives. Pouvez-vous nous en rappeler la genèse ?

KK : Le travail autour de ce projet a débuté il y a environ 6 ans à l’initiative, en effet, de l'industrie des aides auditives. Le Bluetooth gagnait en popularité et les industriels avaient le souhait d’en faire bénéficier les malentendants. Or, le Bluetooth Classic est difficile à mettre en place dans les aides auditives pour différentes raisons comme la consommation énergétique. L’Ehima s’est donc rapprochée du Bluetooth SIG (l'organisme qui supervise le développement des normes Bluetooth, NDLR) avec l’idée de développer un Bluetooth qui soit plus compatible avec les aides auditives. Au début, la portée était uniquement pour les aides auditives, mais nous nous sommes rendu compte que cela valait la peine de repenser toute l'architecture de transfert de données audio, pour élargir le bénéfice au grand public.

Les principaux fabricants d’aides auditives ont largement contribué à la mise au point des spécifications* du nouveau Bluetooth LE Audio.

NB : En effet, en 2014, au lancement de la technologie Made for iPhone (MFi) pour aides auditives, il est apparu clairement à l’ensemble de l’industrie de l’audition que ce signal radio à la fréquence de 2,4 GHz avait un potentiel important, supérieur à celui de la NFMI (near-field magnetic induction) qui était alors utilisée. Il y a donc eu des discussions au sein de l’industrie pour savoir comment faire avancer les choses. Apple était volontaire pour participer à ce projet et partager ses connaissances sur le sujet mais l’industrie des aides auditives voulait voir émerger des standards internationaux, indépendants de toute organisation commerciale. Le Bluetooth SIG était le partenaire idéal pour que la technologie soit mise à jour régulièrement. C’est ainsi que l’Ehima l’a approché. C’est intéressant de voir dans quelle mesure les principaux fabricants d’aides auditives, qui sont concurrents, sont néanmoins capables de collaborer dans ce genre de situation.

AD : Plus de 6 ans après, le Bluetooth LE Audio va être mis sur le marché. Qu’est-ce qui a pris autant de temps, alors que dans l’intervalle, Apple puis Google ont proposé des solutions similaires (MFi et ASHA) ?

NB : Il faut savoir que le Bluetooth SIG n’a pas beaucoup de salariés. Les membres du groupe réalisent une grande partie du travail de développement. Et je crois que ça a pris du temps aux industriels de réaliser que, s’ils ne se retroussaient pas eux-mêmes les manches, cela n'avancerait pas comme ils le souhaitaient. Le Bluetooth SIG est aussi une structure très démocratique au sein de laquelle tout le monde donne son avis, ce qui n’est pas compatible avec des processus rapides.

Par ailleurs, en plus de la connectivité qu’il fallait mettre en place, en répondant aux spécificités de l’aide auditive, l’Ehima voulait aussi que ce nouveau Bluetooth permette la fonction « Broadcast ». Jusqu’à présent, le Bluetooth autorise une connexion point à point, mais l’Ehima voulait changer cela pour que, à l’image d’un signal FM, le signal Bluetooth puisse être « capté » par n’importe qui se trouvant dans la zone de diffusion.

Enfin, la standardisation et le fait de s’assurer que le système bénéficiera d’une interopérabilité** totale prend du temps.

MFi et ASHA sont très restreints en termes de fonctionnalités et d’interopérabilité par rapport au Bluetooth LE Audio.

Ken Kolderup, Bluetooth SIG

KK : Il est assez commun que des entreprises lancent leurs propres technologies avant les standards Bluetooth. Et finalement, ça nous aide beaucoup parce qu’on peut s’appuyer sur leurs travaux, sur ce qui fonctionne ou pas.

Par ailleurs, ce qu’ont fait Apple et Google avec le MFi et ASHA (audio streaming for hearing aid) est très restreint par rapport à ce que propose le Bluetooth LE Audio, en termes de fonctionnalités et d’interopérabilité.

Les industriels ont déjà développé des prototypes et réalisé des tests, car ils ont pris part au développement des spécifications. Je pense qu’elles seront accessibles d’ici le dernier trimestre 2021. Après cela, les appareils disposant de ce Bluetooth seront rapidement mis sur le marché. Nous pensons que ce travail va poser les bases solides de l’innovation du streaming audio pour les vingt prochaines années.

AD : Le Bluetooth actuel, notamment la version Classic, présente de nombreux inconvénients, qui rendent son utilisation compliquée voire impossible dans les aides auditives. Comment le Bluetooth LE Audio parvient à surmonter ces problèmes ?

KK : Ce nouveau Bluetooth est une version Low Energy, moins énergivore que le Classic. Mais c’est surtout le nouveau codec*** qui permet de consommer beaucoup moins de batterie. Baptisé LC3 (pour low complexity communication codec), il permet d’obtenir une très bonne qualité sonore avec un très faible débit binaire. Ce qui signifie une consommation moitié moindre. Et cela s'améliorera à mesure que les industriels optimiseront l’ingénierie des puces.

NB : Le Bluetooth Low Energy a été conçu pour échanger des données et non du son. L’une des réussites de cette nouvelle version a donc été d’implémenter des protocoles de transport de son au sein du Low Energy. Mais, en effet, le codec, dont le développement a pris du temps, est le principal contributeur de ce gain. Il fallait en trouver un qui soit rapide, de très bonne qualité et qui ne soit pas susceptible de faire l’objet de réclamation de propriétaires de brevet ! L'entreprise suédoise Ericsson a développé ce codec en partenariat avec l’Institut Fraunhofer pour les circuits intégrés (Munich, Allemagne) – à qui on doit également le format MP3 – et en a fait don au Bluetooth SIG.

KK : Outre les questions de consommation énergétique, nous avons aussi amélioré d’autres aspects. Une des innovations majeures réside dans les canaux isosynchrones. Ils permettent d’envoyer un flux de manière synchrone à différents dispositifs. Cela résout plusieurs problèmes. D’une part, la latence est désormais beaucoup plus faible. Avant, elle était d’environ 100 ms, ce qui n’est pas acceptable dans des conditions de direct (par exemple un appel visio au cours duquel l’utilisateur se sert de la lecture labiale). Avec le nouveau Bluetooth, elle sera d’environ 20 ms. Ainsi, le signal pourra être envoyé aux deux aides auditives en même temps, plutôt que d’être envoyé à l’une, puis transféré en controlatéral, ce qui permet en outre une écoute en stéréo ! La deuxième conséquence, c’est la possibilité pour un appareil de diffuser des flux audio vers un nombre illimité d'appareils à portée, y compris les aides auditives. Cette capacité offre une toute nouvelle application que nous appelons Audio Sharing (partage audio). Elle permettra non seulement à un utilisateur de partager le son de son smartphone avec les personnes qui l'entourent (par exemple, écouter de la musique ensemble), mais également aux établissements de diffuser du contenu auprès de leurs visiteurs. C’est cette fonctionnalité, baptisée Broadcast et basée sur la localisation, qui est destinée à servir de technologie de système d’écoute assistée de nouvelle génération.

AD : Vous voulez dire que le Broadcast aura la même fonction que la boucle magnétique ?

KK : Oui, et la solution Broadcast présente par ailleurs certains avantages par rapport à la boucle magnétique : un coût de déploiement nettement inférieur pour l'établissement ainsi que la possibilité de prendre en charge plusieurs diffusions audio dans les mêmes espaces ou dans des espaces adjacents (par exemple, des salles côte à côte dans un complexe de cinéma). Et pour les utilisateurs finaux, le partage audio Bluetooth offre une qualité audio nettement meilleure et respecte la confidentialité.

NB : Le système de la boucle magnétique présente quelques inconvénients. Par exemple, il est très sensible aux interférences. Dans un théâtre, les nombreux projecteurs émettent un champ électromagnétique qui entre en interférence avec le signal audio. J’ai rencontré plusieurs propriétaires de théâtres qui me disent ne pas en faire la promotion car ils savent que les usagers se plaindront de son inefficacité. De plus, l’installation d’un système de boucle magnétique est plutôt fastidieuse : il faut déployer un câble tout autour de la zone à équiper. Avec le Bluetooth, il suffit de placer un appareil de type streamer TV au plafond.

Par ailleurs, la boucle magnétique n’est pas autant déployée qu’elle devrait l’être. C’est très inégal : dans certains pays, elle n’est quasiment pas utilisée alors que dans d’autres, elle est obligatoire dans les établissements recevant du public. Le Broadcast représente une opportunité de pallier tous ces problèmes.

AD : Comment cela fonctionnera-t-il concrètement ?

NB : C’est un système – temporairement baptisé HearStream – sur lequel travaille encore l’Ehima. Voici comment nous l’imaginons : une personne qui entrera dans un lieu public, comme une salle de cinéma, sera informée par un logo que cette salle est équipée. Si le système est actif, la personne entendra un jingle dans son aide auditive et il lui suffira d’appuyer sur un bouton pour se connecter au système et recommencer l’opération pour s’en déconnecter. Si la salle de cinéma se trouve dans un complexe et qu’un utilisateur capte plusieurs flux en même temps, il pourra choisir celui qu’il souhaite comme on se connecte à un réseau Wi- Fi. C’est le moyen le plus simple, mais nous devons également trouver une solution qui ne nécessite pas de smartphone. C’est une demande forte des associations de patients avec lesquelles nous travaillons. Nous avons besoin de leur soutien pour que ce dispositif soit un succès. Quand il sera prêt, nous distribuerons ses spécifications aux industriels, afin que son fonctionnement, notamment l'interopérabilité, soit parfait.

Le but n’est pas de remplacer la boucle magnétique mais d’améliorer l’offre en matière de systèmes d’écoute assistée pour les malentendants.

Nikolai Bisgaard, Ehima

AD : Est-ce la fin programmée de la boucle magnétique ?

KK : À terme, oui. Mais les systèmes de boucle magnétique servent bien le marché aujourd'hui et apportent un bénéfice considérable aux personnes malentendantes.

NB : Le but n’est pas de remplacer la boucle magnétique mais d’améliorer l’offre des systèmes d’écoute assistée pour les malentendants. Néanmoins, d’un point de vue industriel, le Bluetooth offre des avantages majeurs. En outre, la plupart des aides auditives modernes sont équipées de puce Bluetooth, mais pas de bobine d'induction. Avec le nouveau système, tous les utilisateurs d'aides auditives pourront profiter de ces nouvelles fonctionnalités. Nous pensons donc qu'à terme, l'importance de la boucle magnétique va décroître.

AD : En France, les aides auditives de classe I, qui sont entièrement prises en charge par l’Assurance maladie et les complémentaires santé, doivent disposer de la boucle magnétique…

NB : Heureusement, ces règles ne sont pas immuables. Quand pratiquement toutes les aides auditives seront équipées du Bluetooth LE Audio, je pense qu’il sera raisonnable de solliciter le gouvernement pour proposer que les aides auditives prises en charge soient équipées soit de la boucle magnétique, soit du Bluetooth LE Audio.

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