Tous les chemins mènent à la connectivité directe

Aujourd’hui, la majorité des aides auditives modernes bénéficient de connectivité directe avec au moins certains smartphones. Pour parvenir à cela, les fabricants ont opté pour différentes stratégies, avec chacune leurs avantages et leurs inconvénients.

Par Bruno Scala
chemin connectivite directe

C’est en octobre 2013, lors du congrès de l’EUHA en Allemagne, que la toute première aide auditive bénéficiant de connectivité directe avec un smartphone est présentée. Il s’agit de ReSound LiNX, conçue par GN Hearing. Grâce au protocole Made for iPhone que le fabricant danois a développé avec Apple, l’aide auditive permet aux utilisateurs de recevoir le son de leur iPhone (appel, musique, etc.) directement dans leurs aides auditives, sans passer par un appareil intermédiaire. Aujourd’hui, quasiment toutes les aides auditives de dernières générations proposent de la connectivité directe (streaming) avec au moins les smartphones les plus communs ou les plus modernes, à savoir la plupart des iPhone (et tablettes) et les derniers Android). Mais cette possibilité de connectivité directe est récente, voire très récente en ce qui concerne la connectivité avec Android. D’ailleurs, la plupart des aides auditives de l’avant-dernière génération ne bénéficient pas de streaming direct avec ce système d’exploitation. Et la plupart des fabricants, à l’exception des marques du groupe Sonova, ne proposent pas de connectivité directe avec les autres systèmes d’exploitation, ou avec les anciens Android.

Flashback

Afin de comprendre comment on en est arrivé à cette situation et quelles ont été les différentes stratégies adoptées par les fabricants, il est nécessaire de faire un bond dans le passé. À la fin des années 2000 et au début 2010, la connectivité directe avec les smartphones n’existe pas car les protocoles la permettant ne sont pas disponibles. Ou plus exactement, ils ne sont pas compatibles ou pas adaptés au monde des aides auditives. Il y a d’un côté les protocoles propriétaires, développés par les fabricants eux-mêmes. Ils permettent une communication entre les aides auditives, ou entre ces dernières et les accessoires ou Noah, tous dotés de la puce adéquate, afin de recevoir et envoyer des paquets de données. Il peut s'agir soit d’une communication radio (par exemple le e2e pionnier de Siemens ou encore la technologie 2.4 GHz de GN Hearing), ou par induction magnétique (NFMI). De l’autre côté, il y a le Bluetooth (également une communication radio), un protocole libre, développé par le groupement d’intérêt commun (SIG, pour special interest group) du même nom, composé de nombreuses entreprises de télécommunication (voir encadré ci-dessous). Mais bien que le Bluetooth ait été initialement mis au point pour transférer des données audios, il n’est pas du tout adapté pour les aides auditives : il est très énergivore. C’est ainsi que, dans un premier temps, les fabricants d’aides auditives vont opter pour une stratégie utilisant un appareil relais, en général assez volumineux pour stocker une batterie suffisamment puissante pour les besoins du Bluetooth. Il est relié d’un côté au téléphone via une connexion Bluetooth, de l’autre aux accessoires, via un protocole propriétaire.

La révolution Made for iPhone

En 2013, c’est donc une révolution dans le monde de l’aide auditive : la première aide auditive bénéficiant d’une connectivité directe avec un smartphone – un iPhone – est présentée au congrès de l’EUHA et mise sur le marché quelques mois plus tard. Si GN est autant investi sur la connectivité, c’est parce que ses ingénieurs ont mis au point, quelques années plus tôt, la technologie 2.4 GHz, un protocole propriétaire pionnier : « GN devait se démarquer pour retrouver une position de leader, se souvient Jean-Baptiste Lemasson, responsable Audiologie chez GN Hearing France. Cette avancée nous a fait sortir du lot. De plus, la société GN Netcom (qui commercialise les produits Jabra, NDLR), qui appartient au groupe GN, a intégré rapidement le Bluetooth SIG. Nous avions donc une certaine appétence pour le Bluetooth. » Pour mettre au point un système de communication directe entre les aides auditives et un iPhone, GN Hearing a travaillé avec Apple pour développer un protocole plus performant que celui du Bluetooth : il était nécessaire de réduire la consommation d’énergie mais aussi le délai de transmission des données. Le Bluetooth proposait en effet à l’époque un délai de 100 ms, pas du tout adapté pour les aides auditives en raison du décalage que l’utilisateur aurait perçu entre le son et l’image, que ce soit pour la télévision ou la lecture labiale.

Le protocole Made for iPhone bénéficie d’un délai bien plus court, inférieur à 30 ms. En outre, il est beaucoup moins énergivore, de l’ordre de 2,5 mA par heure, quand le Bluetooth consomme près du double.

Un an plus tard, Starkey emboîte le pas à GN Hearing, avec son aide auditive Halo. Le fabricant américain a lui aussi choisi de s’associer à Apple pour développer un protocole propriétaire.

Cette technologie est également adoptée par Cochlear, qui bénéficie des avancées technologiques de GN dans le cadre d’un partenariat industriel entre les deux fabricants, la Smart Hearing Alliance. En 2015, le Nucleus 7 devient donc le premier implant cochléaire proposant une connectivité directe avec les iPhone.

Et Android ?

Toutefois, ce protocole MFi laisse les utilisateurs d’Android et des autres systèmes d’exploitation sans solution (environ 3 utilisateurs de smartphone sur 4). C’est ce problème que Phonak a voulu pallier. Le fabricant a le choix entre suivre la stratégie de ses concurrents et les rejoindre un ou deux ans plus tard, ou bien opter pour une autre solution, plus fidèle à la vision « Un Phonak pour chacun », en développant un protocole universel compatible avec tous les systèmes d’exploitation. Mieux même, avec tous les dispositifs dotés d’une puce Bluetooth. « Il fallait donc concevoir une puce compatible avec l’utilisation des aides auditives, se souvient Amélien Debès, directeur Support clients chez Phonak France. Quand nous sommes allés voir les fabricants de puce avec notre cahier des charges, nous n’avons essuyé que des refus. Nous avons donc dû développer notre propre puce pour connecter nos appareils en direct, en partant d’une copie blanche. »

Pas complètement blanche, puisque en utilisant le Bluetooth, la fabricant a pu se reposer sur des profils existants. Ce sont eux qui déterminent quel type de données vont être échangées, quand le Bluetooth est en charge de la connexion physique. « Dans notre cas, les profils HFP (hands free profile), qui permet la fonction kit main libre, et A2DP (advanced audio distribution profile), nécessaire pour la communication stéréo, nous intéressaient, détaille l’audioprothésiste Phonak. En outre, ce sont des technologies que nous maîtrisions, car nous les utilisions pour certains de nos accessoires. Le Bluetooth était donc dans la tête de nos développeurs depuis de nombreuses années. »

L’universalité avec Made for all

C’est ainsi qu'en 2017, Phonak lance Audeo B Direct et sa puce Sword, la première aide auditive « Made for all ». Non seulement elle peut se connecter directement à n'importe quel smartphone doté de Bluetooth, mais plus largement à n’importe quel appareil, comme une télévision, à condition qu’il soit équipé de Bluetooth également. C’est désormais Phonak qui a un coup d’avance. L’ensemble des marques du groupe Sonova, y compris les implants Advanced Bionics (via l’ajout d’un CI Connect à la base du processeur, pour le Naida CI Q90, puis en direct pour le Naida CI M, qui arrivera prochainement sur le marché français), en profitent. En termes de consommation énergétique, les deux protocoles sont équivalents. On note toutefois des avantages et des inconvénients pour chacun. Par exemple, la technologie Phonak utilise les microphones des aides auditives lors d’une conversation téléphonique en Bluetooth, tandis que les utilisateurs d’aides auditives MFi doivent parler dans le microphone du téléphone. Néanmoins, et contrairement au MFi, le Bluetooth Classic utilisé par Phonak étant un protocole point-à-point, il ne délivrait pas de signal en stéréo sur Audéo B-Direct. Mais, à partir de Marvel, les ingénieurs Phonak sont parvenus à contourner cette contrainte, en envoyant deux signaux – droite et gauche – à l’aide auditive connectée au smartphone, puis en autorisant la deuxième à récupérer son signal auprès de la première. « Le Bluetooth que nous utilisons dans nos aides auditives est donc désormais binaural et stéréophonique », conclut Amélien Debès.

Un nouveau Bluetooth pour les aides auditives

Quoi qu’il en soit, les écarts se resserrent peu à peu. En effet, en 2019, Google a annoncé qu’Android 10 serait doté du Bluetooth Low Energy et du protocole ASHA (audio streaming for hearing aids) qui permet une connectivité directe vers les smartphones Android. Les aides auditives qui sont aujourd’hui lancées sur le marché, et qui ont choisi de passer par des protocoles propriétaires, sont donc compatibles avec les derniers téléphones Android (via ASHA) et les iPhone (via MFi). Une fois encore, les utilisateurs de GN Hearing et Cochlear sont les premiers à profiter de cette avancée.

Enfin, prochainement, le Bluetooth SIG lancera le Bluetooth Low Energy Audio, un nouveau protocole développé en partenariat avec l’Ehima et spécialement conçu pour les aides auditives, qui mettra tout le monde d’accord (lire l’interview de Ken Kolderup et Nikolai Bisgaard). Ce protocole, qui ressemble fortement à ce qu’Apple a développé il y a maintenant 10 ans, permettra ainsi à toutes les aides auditives de bénéficier de connectivité directe avec tous les appareils dotés de ces puces Bluetooth (lire l'encadré ci-dessous). Il faudra compter entre 5 et 10 ans pour que tous les appareils auditifs et téléphones en circulation en soient équipés…

chronologie web
L'histoire du Bluetooth dans les aides auditives.

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