Boucle magnétique : chronique d’une disparition annoncée ?

Quoique délaissée depuis quelques années par les fabricants d’aides auditives et par les audioprothésistes, la boucle magnétique est remise au goût du jour par le 100 % Santé qui l’impose et par le plébiscite dont elle fait l’objet de la part des associations de malentendants. Mais l’arrivée du Bluetooth LE Audio rebat les cartes. Est-ce la fin programmée de cette technologie ?

Par Ludivine Aubin-Karpinski
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Si le Bluetooth Low Energy Audio, nouveau protocole spécialement conçu pour les aides auditives, semble s’imposer comme le nouveau parangon en matière de connectivité pour le secteur, la boucle magnétique demeure le symbole de l’accessibilité auditive. En tout cas aux yeux des malentendants et de la loi.

Plébiscitée par les associations de malentendants

Inventée en 1947, la boucle à induction magnétique (BIM) n’est certes pas une technologie récente mais elle revêt bien des avantages. Dans certains environnements complexes, comme une gare ou un aéroport, une salle de conférence, ou encore un théâtre ou un lieu de culte, l’appareillage auditif peut ne pas suffire. La BIM pallie cela en transmettant les signaux sonores émis par un équipement de sonorisation ou un micro directement dans les appareils, en s’affranchissant de la distance, du bruit ambiant ou de phénomènes de réverbération et ce, quelle que soit leur marque. Ce qui fait d’elle le dispositif d’accessibilité universel par excellence, aux yeux des associations de malentendants, qui en ont fait l'une de leurs revendications.

Imposée par la loi…

L’obligation d’accessibilité est introduite en 2005 avec la loi Handicap. Un arrêté de décembre 2014 la précise en imposant à tous les établissements recevant du public (ERP), ayant une mission de service public, de s’équiper de BIM, répondant aux spécifications de la norme NF EN 60118-4. Le système est signalé par le pictogramme de l’oreille barrée + T. Malgré un démarrage laborieux, son déploiement est aujourd’hui en marche. « De plus en plus d’ERP s’équipent, même si cela reste insuffisant, commente Pierre-Yves Humbert, président de la société Access’Audition, spécialisée dans l’accessibilité pour les personnes malentendantes. Lorsque j’ai démarré mon activité il y a quinze ans, mon travail auprès de ces établissements relevait presque de l’évangélisation. Aujourd’hui, quand on parle d’accessibilité auditive, nos interlocuteurs ne tombent pas des nues. » Un avis partagé par Cédric Lorant, président d’Unanimes : « On constate de plus en plus d’oreilles barrées dans les lieux publics. Il n’y a pas de statistiques précises sur le nombre d’installations en France mais nous estimons que nous sommes à mi-parcours. » Au-delà de cette exigence d’accessibilité, la BIM s’est également imposée dans la réforme du 100 % Santé. En effet, l’arrêté du 14 novembre 2018 oblige les audioprothésistes à présenter cette technologie, retracée sur le devis normalisé, mais également à proposer au moins un modèle d’aide auditive de classe I « disposant d’une bobine d'induction permettant une position T ou une position MT ».

… mais boudée par le secteur de l’audio

Mais alors que tous les voyants réglementaires se mettent au vert, l’avenir de la BIM semble bouleversé par l’arrivée du Bluetooth LE Audio. Un paradoxe inhérent au monde législatif où la loi peine souvent à suivre le rythme de l’innovation technologique. Depuis quelques années, la BIM se voit même délaissée par les fabricants d’aides auditives et les audioprothésistes. En effet, alors qu’auparavant la fonction T faisait partie du « package », la démocratisation croissante de l’appareillage et la tendance à la baisse de l’âge des premiers utilisateurs ont conduit les constructeurs à concevoir des appareils plus petits et plus esthétiques. Or, une bobine d’induction prend de la place… Ainsi, de moins en moins d’aides auditives – et donc de malentendants – en sont équipés. Auparavant considérée comme un standard, elle n’apparaît plus aujourd’hui que comme une option. « Il est indéniable que la proportion d’aides auditives équipées a drastiquement baissé, affirme Pierre-Yves Humbert. Les patients s’appareillent plus tôt avec des pertes auditives plus légères et sont donc moins sensibles aux arguments de la boucle magnétique. Son besoin n'est ressenti que par une minorité de malentendants. Les fabricants ont moins investi ce champ-là au profit de la miniaturisation et de la connectivité Bluetooth et, par ricochet, les audioprothésistes sont moins conscients des bénéfices qu’elle peut apporter. Très clairement, la boucle magnétique ne les fait pas rêver. Ce sont des professionnels plutôt jeunes en moyenne, férus de technologie, d’un son de haute qualité... L’aspect rudimentaire de la BIM et sa rusticité n'incitent pas les fabricants à en faire la promotion. »

Nous ne donnerons pas de blanc-seing sans nous être assurés de l’efficacité du Bluetooth LE Audio.

Cédric Lorant, président d’Unanimes

Un déploiement imparfait

À ces arguments s’ajoutent un déploiement inégal sur le terrain, auquel ont sans doute contribué les multiples dérogations à la loi de 2014 dont ont bénéficié les ERP depuis. Et, lorsqu’elles sont installées, les boucles magnétiques ne fonctionnent pas toujours parfaitement. Ce que confirme Pierre-Yves Humbert : « C’est une technologie d’une simplicité confondante mais dont l’installation exige d’être réalisée par des experts. Le souci, c’est que son développement se fait un peu de manière anarchique. Certains intervenants ont considéré à tort que la mise en place était très facile et malheureusement cela se solde souvent par un système qui fonctionne mal ou qui ne répond pas aux normes. » La boucle magnétique souffre ainsi d’une mauvaise image auprès des audioprothésistes, qui hésitent à la proposer à leurs patients.
Parfois les dysfonctionnements résultent d’un manque de formation du personnel des ERP voire de la méconnaissance des usagers eux-mêmes : « C’est pourquoi nous militons pour davantage d’information sur la boucle magnétique, commente Cédric Lorant. Il faut sensibiliser l’ensemble des parties concernées, pour éviter qu’elles ne se renvoient la balle… »

Enfin, autre inconvénient de la BIM : sa sensibilité aux perturbations magnétiques générées par les champs électriques d’autres matériels, qui créent un bourdonnement gênant, empêchant son utilisation par exemple dans le train.

Pot de terre contre pot de fer ?

Et, alors que jusqu’à présent cette technologie s’imposait notamment pour un usage collectif, elle est aujourd’hui concurrencée par l’arrivée du Bluetooth LE Audio. Ce nouveau standard, moins coûteux et moins complexe à installer, en plus de permettre le partage de son avec d’autres appareils à portée, bénéficie d’une fonction Broadcast capable de diffuser un signal sonore d’une qualité nettement supérieure vers un nombre illimité d’appareils auditifs via un partage audio multi-flux et ce, dans des aéroports ou des gares, des cinémas ou théâtres… Une fonctionnalité universelle, qui s’adresse tant aux malentendants qu’aux normo-entendants et sort l’écoute assistée du cadre de l’accessibilité, ce qui favorisera en outre son déploiement. Autant d’atouts qui semblent signer l’obsolescence de la BIM à plus ou moins long terme.

Toutefois, les experts n’envisagent pas le basculement de tout le parc d’aides auditives avant 5 à 10 ans. Pour Cédric Lorant, il est donc prématuré d’envisager de remplacer la BIM : « Nous ne donnerons pas de blanc-seing sans nous être assurés de l’efficacité du Bluetooth LE Audio, de son coût et de sa disponibilité en classe I, prévient-il. En imposant trop vite cette nouvelle technologie, on risque d’entraver le déploiement de la BIM, ce que nous avons eu tant de mal à obtenir ! Pour le moment, nous maintenons notre soutien à cette technologie BIM et souhaitons que son développement se poursuive. »

Autre obstacle que l’industrie devra lever pour une adoption réussie du Bluetooth LE Audio : la question de l’appairage. « Beaucoup de malentendants ne seront pas à l’aise avec la nécessité d’appairer leurs aides auditives avec un système de transmission de son, explique le président d'Access'Audition. Les générations futures seront plus à l’aise avec la technologie mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il ne faut pas perdre de vue la cible. Cesser d’installer des boucles magnétiques ou de proposer des aides auditives équipées de récepteurs pénaliserait de nombreux patients. Il n’y a rien aujourd’hui qui puisse rivaliser avec sa fiabilité, son coût et sa simplicité. Les deux technologies sont complémentaires. Je pense que la boucle magnétique a encore de beaux jours devant elle ! »
 

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