05 Janvier 2022

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La téléaudiologie face au défi de la prescription

La prescription d’un appareillage est confrontée à de nombreux défis : pénurie des prescripteurs qualifiés, déserts médicaux, etc. La téléaudiologie s’affirme comme une des solutions pour y répondre. En France, ce dossier souffre d’immobilisme mais des acteurs, comme les sociétés Shoebox (Koalys) et TokTokDoc, font bouger les lignes.

Par Bruno Scala
teleaudiologie

« La téléaudiologie n’est sans doute pas la panacée mais elle apporte une réponse à la problématique forte de l’accès à la prescription. » La situation est bien résumée par l’audioprothésiste Yves Lasry, co-fondateur de la société Koalys. Explosion des ventes d’aides auditives, pénurie annoncée et répartition hétérogène de la population d’ORL, fin (un jour peut-être) de l’autorisation de primo-prescription des médecins généralistes... Il devient urgent de trouver des solutions pour prendre en charge les patients qui se situent dans des zones peu denses en ORL et qui vont avoir besoin de s’appareiller.

Le parcours de soins respecté ?

Comme nous l'avions expliqué dans notre dossier Franchir le pas de la téléaudiologie, les solutions techniques existent. Toutefois, les freins sont nombreux : législatifs, éthiques, mais également dus à un certain immobilisme. En France, l'une des entreprises les plus avancées dans ce cadre est la société Koalys, créée par les frères Lasry, et récemment rachetée par l'entreprise canadienne Shoebox (groupe WSA).

L’an dernier, Koalys avait créé la polémique en proposant son service de téléaudiologie, Koalys remote, au réseau de soins Santéclair. L’entreprise avait été attaquée sur le fond (le service était jugé illégal) et sur la forme (Santéclair n’est pas exactement en odeur de sainteté dans le secteur de l’audioprothèse). Mais force est de constater que ce système fonctionne d’un point de vue technique, puisque que Shoebox a décidé, à l’issue de son contrat avec le réseau de soins fin 2021, de s’associer à une société spécialisée dans la télémédecine (dont le nom n’a pas été dévoilé) afin de proposer ce service aux audioprothésistes qui le souhaitent. À une différence près, mais de taille : contrairement à l’expérience Santéclair, ce nouveau service respectera le parcours de soins dicté par la Sécurité sociale, assurent Yves Lasry et Thibaut Martin, directeur de Shoebox France. C’est l'objectif principal de la collaboration avec la société de télémédecine. « L’expérimentation avec Santéclair nous a permis de tester l’expérience patient, l’expérience utilisateur (l’audioprothésiste) et l’expérience de l’ORL, et on voit que ça fonctionne très bien », se félicite Yves Lasry.

Téléaudiologie vs généralistes

Thibaut Martin détaille le fonctionnement : « Un chaland entre chez un audioprothésiste qui constate une déficience auditive. On lui offre alors la possibilité d’accéder à un ORL depuis la cabine de l’audioprothésiste. L'ORL va confirmer la perte par lui-même, puis envoyer une ordonnance. » Koalys remote permet de réaliser l’ensemble des tests exigés par la nouvelle nomenclature (arrêté du 14 novembre 2018). Pour Yves Lasry, cette solution est plus qualitative que le statu quo actuel qui autorise la primo-prescription des généralistes : « Le nombre d’aides auditives vendues a explosé cette année. De nombreuses prescriptions ont été délivrées par des généralistes, qui ne disposent ni de la compétence ni des outils. Avec Koalys remote, l'ORL a accès aux outils nécessaires pour réaliser des mesures de qualité et échanger avec son patient. Grâce à la technologie, on construit un avenir dans un secteur qui est coincé. » Un constat partagé par le Dr Laurent Schmoll, ORL et fondateur de TokTokDoc : « Certains généralistes court-circuitent l’ORL, en envoyant les patients faire leur audiogramme chez l’audioprothésiste, puis rédigent leur prescription sur la base de cet audiogramme. »

Laurent Schmoll est un fervent défenseur de la téléaudiologie. Il réalise notamment des expérimentations en Ehpad depuis plusieurs années, avec des infirmières formées pour assister un ORL à distance. Ce modèle, soutenu par le CNP d’ORL, permettrait de faciliter l’accès à l’appareillage des résidents de ces établissements fragilisés sur le plan cognitif par la surdité, en évitant les abus constatés aujourd’hui. Une délégation aux audioprothésistes pourrait être envisagée dans ce contexte, si elle est encadrée. Plus généralement, le fondateur de TokTokDoc y voit une solution d’avenir. « Je prêche auprès du CNP d’ORL pour qu’on laisse les audioprothésistes effectuer les audiogrammes, qu’ils soient ensuite adressés en visioconférence à un ORL avec une photo des deux tympans, et que l’ORL, sur la base de ces informations et après s'être entretenu en visio avec le patient pour déceler d’éventuels troubles cognitifs majeurs, puisse prescrire un renouvellement. Ça me paraît être le bon usage du numérique, qui réserve le diagnostic et la prescription à l’ORL. Avec TokTokDoc, nous testons ce dispositif avec des enseignes d’audioprothèse, de façon très parcimonieuse. Aujourd’hui, c’est officiellement interdit puisque que seuls les ORL et les MG sont autorisés à réaliser l’audiogramme, sachant que les seconds ne sont pas équipés pour le faire. »

Contrôle des téléconsultations

Je plaide pour qu'une instance, qui pourrait être composée d’audios et d’ORL, puisse contrôler les télé-prescriptions.

Dr Laurent Schmoll, ORL et fondateur de TokTokDoc

Les opposants à cette pratique dénoncent notamment le risque de compérage. « Il existe aussi en présentiel, et est même plus problématique, puisque l’ORL peut très bien recommander un audioprothésiste à son patient », répond l’ORL strasbourgeois. Et concernant la production de faux audiogrammes pour pousser la prescription : « On retrouve ce type d’abus quand un chirurgien effectue un compte rendu opératoire et qu’il cote un acte mieux valorisé que celui qu’il a pratiqué. Mais quand la Sécurité sociale procède à des contrôles, en convoquant le patient, les médecins s’exposent à un déconventionnement. Je plaide pour que, de la même façon, une instance qui pourrait être composée d’audios et d’ORL, puisse contrôler les télé-prescriptions. Toutefois, 99,9 % des professionnels sont honnêtes, quelle que soit la profession. On peut répondre aux besoins si on organise bien les choses. »

Les outils sont là, le besoin est patent, et pourtant, la téléaudiologie peine à se diffuser. « C’est humain, se désole Laurent Schmoll. Il est très difficile de changer les habitudes. Les professionnels ne veulent pas déléguer. C’est comme les médecins généralistes qui râlent parce qu’on délègue la vaccination aux pharmaciens alors qu’ils n’arrivent même pas à suivre leurs propres patients ! La médecine se développe et devient de plus en plus complexe ; on ne peut pas pratiquer comme il y a 25 ans. Il faut réserver la complexité du diagnostic aux médecins et déléguer les bouchons de cérumen, par exemple ! »

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