Le parcours des malentendants se redessine

Vers qui vont désormais pouvoir se tourner les malentendants qui souhaitent s’appareiller ? Les ORL et les quelques médecins généralistes volontaires ne pourront certainement pas assurer l’ensemble des prescriptions, amenées à augmenter. Entre autres solutions, les audioprothésistes pourraient bien être sollicités.

Par Bruno Scala
L acces aux soins auditifs a l heure du 100 sante mis en question du fait d une penurie de prescripteurs

Pas de doute, la réforme du 100 % Santé va améliorer l’accès aux soins. En 2021, grâce à cette réforme portée par la ministre Agnès Buzyn, un malentendant s’équipant d’aides auditives de classe I sera intégralement remboursé. « La santé auditive sera améliorée et les fondamentaux exigibles aux soignants mieux respectés, commente ainsi le Pr Emmanuel Lescanne, président du Collège d’ORL. Dans le contexte de la surdité, il s’agit de la qualité et de la pertinence des soins proposés aux malentendants. »

Dans les faits, la mise en place de cette réforme pose néanmoins un certain nombre de problèmes pratiques. En effet, alors qu’aucun texte n’établissait la liste précise des examens à réaliser avant une prescription, la nouvelle nomenclature (arrêté du 14/11/2018) est très détaillée (voir encadré). Le tout devant être réalisé par le médecin prescripteur. La caractérisation de ces tests est le fruit d’une réflexion minutieuse et offre l’avantage de parfaitement cadrer la prise en charge des malentendants. Mais ces examens ont un coût élevé et leur réalisation est chronophage (voir encadrés). Or ces écueils vont devenir particulièrement problématiques si l’on considère que la mise en place du 100 % Santé va entraîner une augmentation du taux d’appareillage, et donc de l’affluence chez les prescripteurs, au moins les premières années. Qui va pouvoir prendre en charge ces malentendants ? D’autant que le nombre d’ORL, lui, stagne (alors que le nombre de malentendants augmente). Pire, la quantité d’ORL spécialisés dans les explorations fonctionnelles diminue.

Formation en otologie médicale

En outre, alors que le médecin généraliste pouvait prescrire des aides auditives, sans avoir reçu de formation spécifique – et il réalisait un quart de ces prescriptions, il ne pourra désormais le faire que s’il a suivi une formation en « otologie médicale ». La Dr Natalie Loundon, responsable de l’unité audiophonologie et implant cochléaire à l’hôpital Necker-Enfants malades, membre de la commission de la HAS sur les aides auditives, expliquait pourquoi la primo-prescription n’a pas été réservée aux ORL, lors du congrès des audioprothésistes en mars 2019 : « Ce qui a orienté notre choix, c’est la problématique des déserts médicaux et la non disponibilité des prescripteurs. mais par souci de qualité, a été ajoutée une formation en otologie médicale. »

Focus sur la presbyacousie

Ainsi, les médecins généralistes qui souhaitent continuer à réaliser des primo- prescriptions d’aides auditives devront suivre cette formation. « L’inscription des médecins se fera auprès des organismes de développement professionnel continu (DPC), explique le Pr Emmanuel Lescanne. La qualification en “otologie médicale” validera un parcours de formation spécifi que pour qu’un généraliste apprenne à accompagner ce handicap sensoriel. Il saura définir l’alternative médicale ou chirurgicale de correction de la surdité. Il pourra suivre et évaluer la qualité de sa prescription. »

La formation sera-t-elle suffisante pour prendre en charge des pathologies qui sortent de la simple presbyacousie naissante ? Le Pr Lescanne est sceptique : « Ce parcours est tout de même un défi pour les enseignants. C’est un vaste programme… Avec le Pr Christophe Vincent, secrétaire général des otologistes français, je partage l’idée d’une formation plus ciblée. Nous entendons concentrer l’enseignement du prescripteur généraliste sur la presbyacousie : son dépistage – son diagnostic positif et différentiel – et sa réhabilitation.»

L’idée – raisonnable – serait donc que le médecin généraliste redirige ses patients aux pathologies complexes vers ses confrères ORL.

« La maquette sera fi nalisée dans les mois qui viennent, on espère au 1er trimestre 2020, assure le Dr Jean-Michel Klein, président du CNP ORL. Il existe déjà des DU et des DIU d’audiologie. Il sera sans doute possible de détacher des modules de ces formations pour obtenir une qualification DPC, que les médecins généralistes devront compléter avec un stage pratique. » Le Dr Klein estime que la formation durera une quarantaine d’heures, comme celle concernant l’appareillage PPC (pression positive continue) pour l’apnée du sommeil. Quoi qu’il en soit, la mise en place de cette formation doit se faire rapidement car au 1er janvier, les 30 % de médecins généralistes qui prescrivent des aides auditives, ne pourront plus réaliser que des renouvellements.

À mon sens, les audioprothésistes sont les seuls susceptibles d’épauler le personnel médical à court terme.
Éric Bizaguet, président d’honneur du CNA

L’enseignement de l’audiophonologie renforcé

Ainsi, face au risque de pénurie de prescripteurs, des réactions ont d’ores et déjà été amorcées. Du côté de la formation des ORL, d’abord. « Le collège a toujours veillé à l’enseignement de l’audiophonologie, assure son président. Au fur et à mesure des réformes pédagogiques, ce domaine risquait l’insuffisance de compétence, tant la formation chirurgicale est exigeante et accapare les internes dans les services hospitalo-universitaires. Le semestre de formation aux explorations fonctionnelles ORL a donc été rendu officiellement obligatoire en 2009, sous l’impulsion du Pr Garabédian. Aujourd’hui, la formation d’un spécialiste en ORL et CCF dure 6 ans. La maquette précise qu’au cours des deux dernières années, l’étudiant se prépare à l’exercice professionnel pour une prise en charge médico-chirurgicale des patients. Sous l’impulsion du collège, le ministère de l’Enseignement supérieur a aussi créé une option d’audiophonologie de deux semestres. Cette formation spécifique est choisie par l’interne d’ORL qui souhaite suivre un parcours un peu plus médical et qui a une appétence à la prise en charge des pathologies de l’audition et de l’équilibre ou bien des pathologies de la voix. » Le Pr Lescanne se veut donc rassurant quant à la capacité de tous les ORL à procéder aux examens exigés par le 100 % Santé.

Vers une délégation de tâches ?

D’autres solutions émergent, à un niveau plus organisationnel : « Les cabinets ORL, de plus en plus en exercice groupé, vont se structurer en interne avec l’entrée de nouveaux métiers : qualiticiens, hygiénistes, assistants médicaux…, prévoit le Dr Nils Morel, président du SNORL. Pour les patients en Ehpad, nous allons proposer des dispositifs innovants de coopération comme prévus dans l’article 51 de la loi HPST1. Dans certaines régions, les patients peuvent être éloignés géographiquement d’un ORL. L’organisation de l’offre de soins va de plus en plus s’appuyer sur les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). » Le Dr Klein entrevoit les choses de la même manière : « Nous devons décloisonner nos exercices et travailler en transversalité, tout en respectant les compétences et les enjeux de santé publique. Dans le cadre du CPTS, un médecin généraliste qui veut conserver son patient (ou l’inverse) pourra utiliser le matériel de son confrère ORL équipé. »

Une autre solution qui pourrait se mettre en place rapidement, dans les quelques années qui viennent, c’est une délégation de compétences aux audioprothésistes : « Les ORL sont à la recherche de professionnel qualifié, ce que les audioprothésistes sont. À mon sens, ce sont même les seuls susceptibles d’épauler le personnel médical à court terme, résume ainsi Éric Bizaguet, président d’honneur du Collège national d’audioprothèse. La délégation de tâches aux audioprothésistes fait l’objet d’une discussion aujourd’hui. mais ce sont les ORL qui doivent en faire la demande, et tout dépend de la façon dont ils envisagent l’ensemble du parcours du malentendant. Toutefois une délégation de l’audiométrie pré-prothétique, par exemple, me paraît juste. Bien entendu, il faut réfl échir au cadre éthique, et donc que les audioprothésistes ne puissent pas prescrire d’aides auditives. Je suis favorable à cette délégation de tâches, notamment chez l’enfant, qui est une priorité. mais cela suscite certaines interrogations. Par exemple, un examen peut contenir des PEA, d’OEA, des ASSR… qui ne sont pas intégrés complètement dans nos études et qui pourraient nécessiter une formation complémentaire pour certains. » D’aucuns évoquent même de nouveau l’intérêt d’introduire un corps d’audiologistes, comme cela existe dans d’autres pays.

Quoi qu’il en soit, ces solutions ne sont encore que des pistes. « Tous ces points doivent encore être discutés en interne, entre audioprothésistes, et avec les médecins ORL », confirme en effet l’audioprothésiste. Ces discussions devront aboutir rapidement à des solutions à court terme, impliquant une mise en application rapide, afin d’éviter l’engorgement craint par l’ensemble de la filière.

1 L’article 51 de la loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires) stipule que « les professionnels de santé peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d’opérer entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de réorganiser leurs modes d’intervention auprès du patient. Ils interviennent dans les limites de leurs connaissances et de leur expérience ainsi que dans le cadre des protocoles définis aux articles. »

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