01 Juillet 2024

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« Le registre Epiic comptabilise 6,8 % de complications et 1,9 % d’explantation »

À partir des données du registre Epiic, le Pr Éric Truy, ORL au CHU de Lyon, a étudié les cas d’explantations-réimplantations cochléaires et les échecs. Son analyse permet de dégager les principaux facteurs de risque. Entretien.

Propos recueillis par Violaine Colmet Daâge
Eric Truy

Qu’est-ce que le registre Epiic ?

L’étude post-inscription des implants cochléaires (Epiic) est basée sur la tenue d’un registre national de tous les patients implantés cochléaires. Initié en 2011, il est réalisé à la demande du ministère de la Santé, sous l’égide de la HAS, et financé par les firmes fabriquant les implants cochléaires. Ce registre est tenu par les centres implanteurs et nous renseigne précisément sur la démographie des patients implantés en France. Il permet aussi de suivre l’évolution des patients implantés hors indications, les complications, les pannes ou encore les explantations.

En 2020, vous avez réalisé un état des lieux des cas d’explantations-réimplantations sur la base de ce registre [1]. Quels étaient les résultats ?

Sur les 5 051 patients implantés inclus, 95 ont été explantés et réimplantés. Soit 1,9 % de la population étudiée. Ces résultats sont bien meilleurs que ceux que l’on retrouve dans la littérature (entre 4 et 13 %). Cela peut signifier que nous sommes compétents en France – le faible nombre de centres agréés pourrait mener à une expertise accrue – ou qu’il existe un biais de renseignements dans la tenue de ce registre. Il est aussi possible que l’évolution des techniques ait permis d’améliorer nos résultats.

Parmi les 95 patients explantés, 58 étaient enfants (soit 3,09 % de la population pédiatrique) et 37 adultes (1,16 % des adultes implantés). Cette sur-représentation pédiatrique est classique. La chirurgie chez l’enfant est plus difficile. De plus, les patients implantés durant l’enfance présentent plus fréquemment des malformations qu’à l’âge adulte, ce qui peut conduire à des chirurgies difficiles. Enfin, les enfants ont une vie plus mouvementée, surtout les très jeunes qui apprennent à marcher. Ils sont davantage exposés aux chutes. Et ce, d’autant plus que des atteintes vestibulaires peuvent être associées. Ces chutes peuvent conduire à endommager l’implant. Nous avons d’ailleurs noté une sur-représentation des pannes dans la population pédiatrique. L’étude montre aussi que les enfants explantés avaient été implantés plus jeune (3,5 ans en moyenne) que l’âge moyen d’implantation de l’ensemble de la cohorte pédiatrique (4,5 ans), alors qu’il n’y a pas de différences d’âge entre non explantés et explantés-réimplantés chez l’adulte.

Chez l’enfant, certaines malformations de l’oreille interne rendent aussi l’implantation compliquée voire impossible. Il existe tout un panel de malformations : des mineures (comme la dilatation de l‘aqueduc du vestibule) jusqu’aux malformations majeures (telle l’absence de cochlée). Certains patients présentent aussi des lésions cochléaires importantes suite à des lésions traumatiques ou des pathologies cochléaires (séquelles de méningites par exemple) qui auront un impact sur le pronostic.

Il faut distinguer complication et échec : les complications peuvent conduire à un échec, mais certains échecs ne sont pas liés à une complication.

Quels étaient les principales causes d’explantations ?

La plupart (46,4 %) était liée à un dysfonctionnement de l'implant mais dans 39,3 % des cas, la raison était médicale ou chirurgicale. Il pouvait alors s’agir d’un « placement inapproprié des électrodes ou d’une migration du réseau d'électrodes » ou encore d’une « complication ou d’un problème chirurgical ». Malheureusement, dans le registre Epiic, il existe un nombre limité de choix pour définir les causes d’explantations. Cela a permis de gagner un temps important pour permettre au registre d'atteindre son exhaustivité mais cela se traduit aussi par un certain manque de précision.

Les complications suivant une implantation cochléaire sontelles fréquentes ?

En utilisant les données du registre Epiic, la Dr Valentine Parent et d'autres ORL de centre implanteurs ont dressé un état des lieux des complications [2]. Sur 5 728 patients, 6,84 % ont présenté une complication. Celles-ci étaient plus fréquentes chez les patients présentant une malformation cochléaire mais il n’y avait pas de différence entre les groupes d’âge. Ces chiffres peuvent paraitre importants mais ils englobent les complications majeures (2,04 % chez les adultes, et 3,25 % chez les enfants) et mineures (3,47 % et 1,96 % respectivement). Cela va donc d’un simple hématome à un problème majeur nécessitant une explantation (infection locale, migration du corps de l’implant par exemple). Les infections ont concerné 0,75 % des adultes et 1,2 % des enfants. Là aussi, ces chiffres incluent à la fois les infections mineures qui vont se résorber par une simple antibiothérapie jusqu’aux infections majeures qui nécessiteront une explantation. Parmi les autres complications, des infections, des vertiges (liés à une réactivation de la maladie causale ou une atteinte de l’organe vestibulaire) et quelques cas de paralysie faciale (passagère ou définitive) ont été recensés. D’autres complications restent difficiles à étudier, comme l’acouphène ou la douleur, qui sont complexes à apprécier chez l’enfant. Chez celui-ci, la complication majoritaire reste néanmoins la panne.

Certaines aides chirurgicales, comme l’imagerie ou la robotique, réduisent-elles le risque d’explantations-réimplantations ?

L’imagerie préopératoire aide à la planification chirurgicale, à anticiper les difficultés opératoires et au choix du porte-électrodes. La robotique peut être utilisée pour insérer très lentement le porte-électrodes. Des études sont en cours pour savoir si celle-ci apporte un avantage en termes de réduction des complications par exemple, mais pour l’instant rien n’a été prouvé. Il existe aussi de nombreuses mesures peropératoires (mesure des impédances, réponses évoquées neurales) qui nous permettent de vérifier voire d’améliorer le positionnement de l’implant. Le contrôle se fait également en postopératoire à l’aide de l’imagerie.

Les résultats des réimplantations sont-ils meilleurs ?

Nous avons mené une étude rétrospective afin de comparer les résultats avant et après réimplantation chez 108 patients (dont 73 enfants). Chez les enfants, nous avons observé une amélioration du CAP score (score de perception de l’environnement sonore). Cela pourrait être dû à une maturation du système auditif, à la réhabilitation ou aux améliorations technologiques. Pour 4 enfants (dont 3 présentaient une malformation de l’oreille interne), le CAP score a diminué. Chez les adultes, une baisse des performances dans le silence est observée chez 15 patients sur 35 (pour certains en raison de difficultés chirurgicales de réinsertion en cas d’anatomie compromise, otospongiose par exemple).

Une complication entraine-t-elle forcément un échec ?

Non, il faut distinguer complication et échec. Les complications peuvent conduire à un échec. Mais certains échecs ne sont pas liés à une complication.

Chez les enfants présentant une surdité profonde congénitale, la principale cause d’échec est l’implantation tardive.

Chez les adultes présentant une surdité profonde bilatérale acquise, le facteur pronostic majeur est la durée de la surdité profonde qui doit être la plus réduite possible. Le deuxième facteur de pronostic est la qualité de la stimulation des voies auditives réalisées en amont.

Des altérations neurologiques associées peuvent enfin dégrader le pronostic. C’est le cas des pathologies cérébrales congénitales, des anoxies cérébrales, des encéphalopathies pendant la grossesse par exemple. (Lire l'article Implant cochléaire : quand les résultats ne sont pas au rendez-vous)

Quels sont les messages clés pour limiter les échecs d’implantation ?

Il faut stimuler le système nerveux central en amont de la chirurgie et ne pas laisser les patients avec une privation sensorielle longue. Ce sont les deux points clés tant chez l’adulte que chez l’enfant. Chez ce dernier, ces messages sont globalement assimilés.

J’insisterai sur le problème du vieillissement et de l’altération des fonctions cognitives. L’implant ne pourra avoir un effet positif que si le fonctionnement cérébral le permet. Il est donc important de repérer les patients au plus tôt, avant que leurs fonctions cognitives ne se dégradent, et travailler à l’amélioration du circuit du patient âgé qui reste en France non optimisé.

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