Audiologie Demain : Quel est l’effet de la compression sur la source sonore originale ?
Paul Avan : Il y a deux sortes de compression : l’une qui concerne la taille des fichiers et l’autre la dynamique. C’est cette dernière qui nous intéresse et que nous testons. Schématiquement, cela consiste à diminuer les contrastes entre les sons faibles et forts. En pratique, tous les sons pertinents vont ainsi dépasser le bruit de fond. C’est un type de compression qui est utilisé dans les environnements bruyants, notamment à la radio1 ou encore par les logiciels de visioconférence. Le résultat, c’est que tous les micro-silences que l’on trouve dans la musique sont supprimés.
AD : Qu'est-ce qui a motivé ces travaux ?
PA : Tout vient d’une intuition de Christian Hugonnet (fondateur de La Semaine du son). En tant qu’acousticien, il juge qu'écouter pendant longtemps de la musique ayant subi une forte compression de la dynamique est délétère. Selon lui, le système auditif est sollicité en permanence. Mais on ne sait pas s'il a besoin de se reposer. Pour l’instant, le dogme est le suivant : il ne faut pas dépasser un certain niveau sonore pendant une durée donnée. Mais peu importe le déroulement temporel.
AD : C’est ce dogme que vous remettez en question ?
PA : Notre hypothèse est en effet celle de Christian Hugonnet : la musique compressée affecte le système auditif. Nous avons commencé une étude de faisabilité2 sur des cobayes (ou cochons d’Inde), qui ont une audition assez proche de la nôtre. Nous leur avons fabriqué une véritable discothèque – ce qui nous a valu des problèmes de voisinage... Et nous les avons exposés à de la musique compressée pendant 4 heures, à 102 dB. Si la musique compressée est fatigante pour le système auditif, alors les réflexes de protection – les muscles de l’oreille moyenne et le système efférent médian – qui sont sollicités en permanence, vont s’épuiser. Nous avons donc testé les réflexes des cobayes juste après exposition, à 24 h, 48 h et 7 jours.
AD : Quels sont les premiers résultats ?
PA : Concernant la sensibilité auditive, nous n’avons pas vu de changement significatif. C’est plutôt une bonne nouvelle dans la mesure où nous avons respecté la réglementation en vigueur. En revanche, chez les animaux exposés à la musique, la sensibilité des réflexes diminuent : ceuxci ne répondent plus pour des sons modérés à intenses, alors qu’ils le devraient. C’est donc symptomatique d’une fatigue. Tandis que les cobayes exposés à la musique normale récupèrent au bout de 48 h, ceux exposés à la musique compressé ont besoin de 7 jours. Ce qui veut dire que si on réexposait ces animaux dans l’intervalle, il y aurait des problèmes. D’un point de vue clinique, tout est normal, mais en réalité, ils sont vulnérables. Reste à identifier le mécanisme.
AD : Comment allez-vous procéder ?
PA : Nous allons étudier l’histologie et tout ce qui est en lien avec les surdités cachées. Car c’est cela dont il s’agit. Il faut mettre le doigt sur l'élément qui ne fait pas son travail : les mitochondries, les peroxysomes, les pompes à glutamate… Il y a finalement assez peu de candidats. Trouver le mécanisme est essentiel, car on découvrira certainement que des personnes sont plus vulnérables que d’autres. Cela nous mettra sur la voie d’un traitement.
En attendant, on peut alerter la communauté du son afin d’éviter les compressions féroces.