La réforme emblématique du quinquennat est aujourd’hui pleinement déployée depuis le 1er janvier 2021... il reste à en garantir le succès. Pour cela, il est nécessaire de peaufiner le dispositif et d’identifier les facteurs de réussite comme d’échecs potentiels. C’est à cet exercice que s’est une nouvelle fois livré le Pr Lionel Collet, lors de la table ronde de la 18e édition de La Semaine du son consacrée au 100 % Santé en audiologie. Après avoir salué une « avancée exceptionnelle », le conseiller d’État a tout d’abord rappelé l’urgence d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la filière auditive1. La lettre de mission ne devrait plus tarder. Son contenu « doit répondre aux souhaits que l’on doit avoir sur la qualité de la formation, la compétence des professionnels et la qualité de leurs exercices », a-t-il commenté, avant d’ajouter : « D’expérience, les propositions de l’Igas ont souvent valeur de feuille de route pour le politique ».
Améliorer l’accès à des professionnels compétents
Le Pr Collet a ensuite identifié les conditions du succès de la réforme du 100 % Santé, qu’il résume ainsi : « Ce sont d'abord les prescripteurs et les audioprothésistes et cela implique de conforter leurs compétences et notamment le rôle des [seconds] ». En effet, la démographie médicale en berne et la surspécialisation des ORL suscitent quelques inquiétudes quant à l’adéquation entre l’offre en termes de prescripteurs et les besoins2. Or, si la levée du frein économique devrait permettre à davantage de malentendants de s’équiper, il faut toutefois pouvoir garantir l’accès des patients à un professionnel. « Il est très important d’accroître l’offre de prescription de prothèses auditives et de prescripteurs très compétents en raison des nouvelles exigences [introduites par l’arrêté du 14 novembre 2018], explique le Pr Collet. Il faut donc que le parcours de DPC en otologie médicale soit mis en œuvre sans tarder pour que des médecins généralistes puissent en bénéficier le plus tôt possible et, qu’au plus tard en début d’année prochaine, nous disposions d’une offre permettant aux malentendants, partout en France, d’accéder à une primo-prescription. »
Il est très important d’accroître l’offre de prescription de prothèses auditives et de prescripteurs très compétents.
Pr Lionel Collet, Conseiller d'Etat.
Des compétences élargies
Cette augmentation du contingent de prescripteurs doit s’accompagner, selon lui, d’une confortation des compétences des médecins généralistes mais également de celles des audioprothésistes. Car, comme le rappelle le conseiller d’État, ces derniers « ont un rôle absolument central » et il « est démontré que l’efficacité de l’appareillage dépend de l’opérateur. » « C’est une des rares professions de santé non médicales qui peut exercer ce choix de l’outil thérapeutique », poursuit-il. Un rôle et des exigences nouvelles qui nécessitent, selon lui, de modifier a minima le programme de formation, dont la maquette n’a pas changé depuis 20 ans, et employer à de la formation les deux mois aujourd’hui dévolus uniquement à la rédaction du mémoire. « Et, si l’Igas considère le contenu actuel insuffisant, il faudra mettre en place une formation complémentaire voire concevoir l’allongement des études sur une ou deux années pour conduire à un master, qui serait le complément requis pour la prise en charge des surdités complexes, des enfants et le réglage de l’implant », ajoute-t-il.
En effet, au-delà de la question du contenu de la formation au regard de l’évolution des technologies et des explorations auditives, des nouvelles exigences de la réforme, le Pr Collet soulève celle de la compétence générale des audioprothésistes. « Comment peut-on exiger davantage de compétences pour l’ORL [NDLR : une spécialisation en audiophonologie pédiatrique est exigée pour la primo-prescription d’un appareillage d'un enfant jusqu'à l'âge de 6 ans] alors que tout audioprothésiste dispose d’une sorte de clause de compétence générale en audioprothèse et peut aussi bien appareiller adulte et enfant ?, questionne le Pr Collet. Il me semble que ce paradoxe doit être examiné, comme le fait de savoir si la formation actuelle – et au-delà la pratique – est adaptée. »
Encadrement des pratiques des audioprothésistes
À ces différents aspects s’ajoute, aux yeux du Pr Collet, la nécessité de donner un cadre réglementaire à la déontologie des audioprothésistes, qui aujourd’hui ne disposent ni d’ordre ni de règles professionnelles inscrites dans le Code la santé publique. Cette démarche a été largement initiée par le Syndicat des audioprothésistes, avec la rédaction de règles de bonnes pratiques3. Cette étape doit, selon le Pr Collet, conduire à un décret, « parce que tout va reposer sur le fait que les audioprothésistes proposent une classe I et une classe II , qu’ils réalisent le bilan initial complet, qu’ils assurent les prestations de suivi et cela implique de la déontologie », insiste-t- il, avant de conclure sur la question de la publicité. S’il n’est pas question de l’interdire, ce qui serait anachronique alors que six décrets publiés le 22 décembre 2020 ont supprimé l’interdiction générale et absolue de toute publicité pour certaines professions de santé4, il est « indispensable de l’encadrer, dès lors que sont prises en charge intégralement par la collectivité et les complémentaires une grande partie des aides auditives », conclut-il.
Un dépistage massif
Autre condition de la réussite de la réforme : la mise en place de campagnes de sensibilisation pour le dépistage de la surdité chez l’adulte. « L’objectif du 100 % Santé est de faire entrer dans le parcours de soins le plus de gens possible, le plus précocement possible avec la thérapeutique la plus adaptée possible », a rappelé le Pr Bernard Fraysse, président de la Société mondiale d’ORL (Ifos). La réforme doit permettre de lever le frein économique mais il reste que le délai moyen entre l’apparition des premiers symptômes et l’appareillage est de 3 ans et que plus de 50 % des gens consultent après 5 ans de surdité. « L’accessibilité, c’est aussi et d’abord l’information, la prévention, le repérage, le dépistage, explique le Pr Fraysse. Ce dernier doit être le plus large possible et l’affaire de tous les professionnels de la santé, y compris de ceux qui prennent en charge la fragilité, voire des acteurs de proximité tels que les postiers dans les zones rurales ». Ce dépistage massif est inscrit dans la stratégie « Vieillir en bonne santé 2020-2022 »5 à trois moments clés de la vie : dès 40-45 ans, au travers d’une application sur le site Santé publique France, au moment de la pré-retraite et dès 70 ans, par une détection plus précoce des fragilités et des déficits sensoriels, selon la démarche Icope*.
Si le Pr Fraysse admet que, faute d’un nombre suffisant de médecins généralistes formés à l’otologie médicale, il puisse y avoir quelques « retards au démarrage », pour lui, « la difficulté ne réside pas dans les ressources humaines mais dans la motivation et la mobilisation des généralistes, des gériatres y compris des ORL autour de la prescription ». « Mais, l’importance de l’audition, comme signal d’appel de la fragilité et l’un des principaux facteurs de risque modifiables du déclin cognitif, mobilise de plus en plus », rassure-t-il.
Il existe des situations pour lesquelles prescrire une solution de classe I ne sert à rien.
Pr Bernard Fraysse, président de l’Ifos
Améliorer la pertinence de la prescription
Autre axe important d’amélioration : la pertinence des soins. Celle-ci passe par l’organisation de filières en fonction des pathologies et la mise en place d’un protocole Go/ No Go avec une prise en charge par le médecin généraliste des cas non complexes, comme les presbyacousiques, et l’adressage à l’ORL pour les autres cas. « C’est là l’objectif du contenu de la formation en otologie médicale afin que ce protocole s’inscrive dans la culture des généralistes », commente le Pr Fraysse.
La pertinence des soins suppose celle de la prescription et cela implique, selon lui, l’adéquation de la classification technique des aides auditives avec la pathologie. « C’est un point sur lequel nous n’avons pas été entendus, regrette le président de l’Ifos. Nous pensions que les pathologies complexes devaient être forcément prises en charge par des thérapies complexes. Il existe des situations pour lesquelles prescrire une solution de classe I en première intention ne sert à rien. Mais, parce que nous n’avons pas pu quantifier le nombre de patients concernés, nous n’avons pas obtenu gain de cause auprès de la HAS. C’est un combat majeur qu’il nous faut mener. Quand on prescrit un dispositif médical, c’est en considération des indications et des besoins. S’il est techniquement inadapté, le service médical rendu sera nul. »
Enfin, une autre pièce manque au tableau selon le Pr Fraysse : le retour du résultat au prescripteur et la traçabilité, « qui permet d’évaluer la pertinence des soins qui ont été prescrits ».
Il semble que soient énoncés les quelques enjeux des prochains mois...