Bilan du 100 % Santé : qu'en pensent-ils ?

À l’occasion de notre dossier sur le bilan de la première année de mise en application de la réforme du 100 % Santé, onze acteurs de la filière, représentants de syndicats, mutuelles, étudiants et patients ont partagé leurs premiers ressentis et recensé les défis à relever pour en assurer une réussite pérenne. Tous s’accordent sur un même point : la nécessité d’améliorer la qualité du parcours de soins et du suivi du patient, mais aussi de communiquer davantage sur la réforme.

Propos recueillis par Laura Huynh Quang
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François Dejean, président de la SFA

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Bilan : « Il est très positif. La réforme a permis de prendre en charge une partie de la population qui n’était pas équipée. Cela prouve que l’aspect financier était un frein à l’appareillage. La proportion d’aides auditives de classe I adaptée en est la preuve et montre que les audioprothésistes ont joué le jeu de cette réforme. »

Défis : « Le premier défi concerne les moyens humains nécessaires compte tenu de l’augmentation du nombre de patients qui doivent être pris en charge. Il est très important qu’une coordination réaliste soit établie entre les ORL et les généralistes pour assurer un accès à la prescription sur tout le territoire. Du côté des audioprothésistes, un ajustement du nombre de diplômés est nécessaire mais en préservant un excellent niveau de formation et une éthique professionnelle qui garantira une prise en charge “patient”.

Le deuxième défi concerne la qualité du parcours de soins qui sera la garantie de la pleine réussite de la réforme et notamment que les aides auditives adaptées et financées sont portées. Dans les récentes recommandations de bonnes pratiques (SFA-SFORL), on trouve par exemple des outils permettant de s’assurer que le patient est suffisamment motivé pour entrer dans le parcours de prise en charge. Un travail important doit aussi être accordé à la pertinence du suivi qui doit, à travers des visites et mesures utiles, informer les professionnels de l’observance et les alerter en cas de perte d’efficacité ou d’abandon. »

Éric Chenut, président de la Mutualité Française

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Bilan : « Nous nous félicitons que cette réforme ait pu voir le jour dès janvier 2020 pour l’optique et le dentaire. Les premiers retours sur le terrain montrent que la réforme est un succès et que les Français plébiscitent les équipements des paniers de soins 100 % Santé en dentaire et audioprothèse. Faciliter l’accès aux soins partout, pour tous, est une priorité pour nous. C’est pourquoi, nous avons été promoteur de la réforme du 100 % Santé et porté ce sujet au cœur du débat public.

Avant cette réforme, le reste à charge pour un appareil auditif atteignait en moyenne 850 € ! Le renoncement à des soins pour des raisons financières était une réalité pour beaucoup de Français. »

Défis : « Les complémentaires ont un rôle clé dans la mise en œuvre de cette réforme puisqu’elles sont le principal financeur des paniers de soins 100 % Santé, à hauteur de 80 % pour les lunettes, 75 % pour un appareil auditif et 70 % pour une prothèse dentaire. Mais il est aussi important que toutes les parties prenantes s’impliquent et jouent le jeu. Il est primordial que, sur le terrain, les professionnels proposent aux patients le 100% Santé, sans dénigrer l'offre. C’est un point de vigilance pour nous. »

Matthieu Del Rio, président du CNA

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Bilan : « La réforme est une avancée sanitaire et sociale pour les Français malentendants. On constate une meilleure qualité de soins pour les patients qui n’avaient pas accès à l’appareillage. C’est également un bénéfice de santé publique : le non appareillage a des incidences sanitaires et économiques considérables pour la société. »

Défis : « La vraie réussite de cette politique de santé publique se jouera dans l’observance des patients récemment appareillés et leurs suivis. Il est indispensable de surveiller que les appareils sont bien portés. Des outils pourraient être mis à disposition des audioprothésistes et des patients afin d’assurer cette qualité de suivi, telles que la télétransmission et la mise en place d’un questionnaire de satisfaction.

Nous devons continuer de contrôler la qualité des soins apportés aux patients, et à n'accorder d'autorisations d’exercice que lorsqu'elles sont justifiées. Nos professionnels doivent être qualifiés et le Collège a un rôle à tenir sur ce point avec la formation continue que nous proposons. Il faut également se méfier de l’effet d’aubaine et encadrer la publicité. »

Luis Godinho, président du SDA

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Bilan : « Cette réforme a permis d’inciter les Français à prendre soin de leur santé auditive et c’était nécessaire puisqu’un Français sur deux est concerné par les troubles de l’audition, lui-même ou l’un de ses proches. elle est d’ailleurs très appréciée, selon notre sondage BVA, dévoilé fin novembre. »

Défis : « Depuis quelques mois, le SDA alerte sur des dérives commerciales abusives et demande un encadrement de la publicité en audioprothèse. La réforme du 100 % Santé a en effet été malheureusement l’occasion de voir apparaître des publicités “agressives” et des pratiques commerciales qui ne sont pas compatibles avec l’exercice de l’audioprothèse, qui est un métier du soin.

Afin de préserver la réussite de la réforme, le SDA a émis quatre propositions : encadrer la publicité commerciale, travailler sur le nombre d’audioprothésistes à former, améliorer le suivi des patients et mettre en place des règles professionnelles opposables. »

Pascal Boulud, président de la division Audiologie du Snitem

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Bilan : « Les industriels réaffirment leur soutien à la réforme du 100 % Santé qui permet à tous l’accès à des soins auditifs de qualité. Les premiers résultats dépassent les prévisions en volumes. La qualité des produits de classe I a permis d’atteindre près de 40 % de recours à ce panier de soins sans reste à charge, un résultat au-delà des attentes initiales des pouvoirs publics. »

Défis : « Il paraît nécessaire de maintenir la nomenclature actuelle au moins jusqu’à fin 2022, date à laquelle nous aurons une bonne visibilité des impacts économiques de la réforme. En effet, avec des résultats deux fois supérieurs à l’objectif initial négocié en 2018 sur la classe I, les industriels s’inquiètent de l’équilibre économique de la filière.

Pour améliorer encore le taux de pénétration des aides auditives en France et permettre un appareillage plus précoce, il est important de mettre en place des actions de dépistage tout au long de la vie. Ces actions pourront être soutenues par l’organisation de grandes actions collectives de communication, qui participeront à une meilleure prise de conscience. La démographie des audioprothésistes et des ORL, le maintien du couplage aide auditive/prestation, l'équilibre économique des volumes classe I / classe II sont d’autres enjeux importants. Sans oublier les tensions actuelles sur les approvisionnements et les coûts, et le maintien de la possibilité de mener des actions de communication raisonnée. Ces dernières participent grandement aux bons résultats du 100 % Santé en audiologie, sachant qu’une proportion importante des malentendants ne connaît pas encore cette réforme. »

Richard Darmon, président du Synea

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Bilan : « La réforme du 100 % Santé est une avancée formidable pour les malentendants. Rappelons-nous que le niveau de remboursement en France était l’un des plus faibles d’Europe, provoquant une renonciation très significative à l’appareillage auditif.

En quelques mois, ce problème est en voie d’être traité. Les chiffres sont impressionnants, démontrant la dimension du besoin qui existait. Pour l’année 2021, le nombre d’appareils délivrés verra une hausse de l’ordre de 70 %. Le nombre de personnes appareillées augmentera ainsi, en un an, de 300 000, permettant au taux de recours de grimper de 44 % à 48 %. Au-delà des chiffres, la réforme a un apport également très bénéfique sur l’image de la filière auditive, ce qui aide clairement les malentendants à passer à l’acte. »

Défis : « Pour les prochaines années, un enjeu majeur sera de maintenir notre niveau élevé d’observance. La réforme a conduit à un écart de remboursement, entre les classes I et II, pour près de deux tiers des malentendants. La conséquence est que l’appareil choisi n’est plus le plus pertinent par rapport au besoin avec, à la clé, un risque important sur le port des appareils. Cette situation peut être améliorée, dans un dialogue avec les complémentaires.

La forte progression du nombre de patients à suivre rend, également, indispensable une augmentation du nombre d’audioprothésistes et donc du numerus clausus. C’est ainsi que notre métier maintiendra un haut niveau de qualité des prestations de suivi, qui garantit l’observance.

Enfin, il existe encore un déficit d’information sur la réforme et tous les acteurs, publics et privés, doivent contribuer à la faire connaître. »

Laurent Seidermann, président du SNORL

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Bilan : « La réforme est un réel progrès car le frein financier à l’appareillage existait. Cependant, certaines dérives ont pu être constatées chez certains audioprothésistes et certaines enseignes car aucune règle de pertinence des soins n’a été mise en place. On doit pouvoir contrôler la satisfaction des patients et l’efficacité de leur appareillage. Nous avons proposé un questionnaire de satisfaction mais rien d’obligatoire dans les faits depuis deux ans… »

Défis : « La prescription doit être améliorée, notamment grâce à la primo-prescription par des généralistes formés aux questions de surdité. Le patient doit pouvoir disposer d’une prescription médicale avec un diagnostic, ce qu’un médecin généraliste non formé ne pourra traiter correctement. Si les généralistes ne se forment pas, la primo-prescription doit être alors réservée à l'ORL.

Les audioprothésistes doivent clarifier leur statut, qui est, soit soignant, soit commerçant. On constate des désaccords au sein de la profession, entre ceux qui tirent vers une profession du soin et ceux qui proposent des réductions pour le Black Friday… J’accorde une importance primordiale à l’interaction entre médecins prescripteurs et audioprothésistes afin de pouvoir proposer aux patients un contrôle de suivi de qualité. »

Ikram Yahyaoui, présidente de la Fnéa

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Bilan : « Pour les étudiants, la réforme a eu un impact important sur les stages. Nous avons notamment remarqué une hausse du rythme de travail. Nous avons également observé une augmentation des offres d'emploi ! Les étudiants se font énormément démarcher, et cela, dès la deuxième année. Enfin, la profession d’audioprothésiste se fait connaître. Nous avons eu plus de sollicitations des bacheliers concernant la formation. C’est peut-être également lié au passage sur Parcoursup. »

Défis : « Il est primordial qu’une régulation des publicités abusives pratiquées par certains audioprothésistes et certaines enseignes soit mise en place rapidement. Il faudrait instaurer un contrôle des pratiques et de l’observance. »

Marc Greco, président du Synam

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Marc Greco, président du Synam

Bilan : « Le Synam est fier d’avoir été le signataire d’une réforme aussi majeure. Elle avait pour objectif de faciliter l’accès à l’appareillage et les résultats au bout d’un an dépassent toutes les estimations qui avaient été faites lors de la négociation de 2018. Elle a permis une hausse du taux d’équipement des Français de 41 à 49 %, alors que la cible annoncée en début de négociation était de 45 %, l’amélioration considérable de la qualité des aides auditives adaptées, la précision des indications d’appareillage pour les médecins prescripteurs, et la clarification du rôle de l’audioprothésiste pour garantir un appareillage de qualité. »

Défis : « Néanmoins, il reste des éléments à clarifier, comme la formation des généralistes car l’accès au prescripteur est une condition de pérennisation de cette réforme. Le numerus clausus des audioprothésistes doit être revu à la hausse pour permettre d’absorber la croissance de l’activité de la filière et leur formation actualisée et intégrée au schéma LMD. Le Synam souhaite une meilleure répartition des rôles entre l'ORL et l’audioprothésiste d’une part, et entre l’audioprothésiste, son assistante et son technicien d’autre part. En outre, les parcours et les modes de prise en charge des patients doivent être envisagés à la lumière des nouvelles technologies disponibles (mixité entre du physique et de la téléaudiologie).

Par ailleurs, l’augmentation d’activité ne doit pas laisser la place à des communications commerciales trompeuses portées par quelques acteurs qui entachent l’image de toute une profession. Le Synam appelle chacun à conserver des pratiques de communication informatives respectueuses d’un public fragile. »

Gérard Raymond, président de France Assos Santé

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Bilan : « Nous soutenons depuis le début le 100 % Santé, afin de lutter contre un des freins majeurs de l’accès aux soins : les restes à charge. Nous avions mis un point d’honneur à ce que la qualité des produits soit au centre de cette réforme et nous sommes satisfaits de constater que le défi a été relevé. Si nous nous réjouissons de l’amélioration sensible de l’accès aux audioprothèses, avec une hausse de 7,7 % du nombre de personnes équipées, nous serons vigilants à ce que le suivi soit effectué correctement, sachant que très peu de consultations de suivi ont été télétransmises. »

Défis : « En premier lieu une communication importante sur la qualité des produits, et notamment par les professionnels de santé. Aujourd’hui nous n’avons que des éléments de suivi quantitatifs, or il est indispensable de disposer rapidement de données qualitatives, notamment des usagers, pour connaître leur satisfaction sur les produits, le suivi, et surtout pour vérifier que tous les besoins sont bien couverts. »

Vincent Couloigner, secrétaire général SFORL

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Bilan : « Cette réforme repose sur deux actions majeures, l’amélioration des conditions financières d’accès aux aides auditives et l’augmentation de l’offre de soins, en proposant aux médecins généralistes (MG) qui le souhaitent des formations à la prise en charge des troubles de l’audition. Lancée depuis plusieurs mois, elle a déjà conduit à des résultats très positifs. La France est en passe de devenir le pays européen avec le plus haut pourcentage d’équipement en aides auditives et toute la communauté ORL ne peut que s’en réjouir. »

Défis : « Pour que cette réforme soit aussi un succès qualitatif, il nous faut dénoncer certaines dérives des circuits de prescription. Il est essentiel qu’en accord avec la législation, le bilan audiométrique diagnostique reste l’unique apanage des ORL ou de MG formés à l’otologie médicale. Nous savons qu’existent des circuits frauduleux où les patients sont appareillés et remboursés, sans jamais avoir vu de médecin. C’est inacceptable et nous devons tous, au sein de la filière, nous montrer vigilants pour que ces circuits ne prospèrent pas.

La formation des MG à l’otologie médicale est un second défi. À notre connaissance, aucune n’a été pour l’instant menée à son terme (lire notre article Les ORL opposés à une nouvelle dérogation de prescription pour les généralistes). Nous sommes également inquiets que la gratuité conduise à dégrader la qualité des réglages. Cela pourrait conduire à des abandons d’appareillages, de fait inadaptés. Pire, on peut craindre que les patients soient orientés à des fins commerciales vers des appareils de classe II, non intégralement remboursés, en se voyant confier à l’essai des appareils de classe I mal réglés. Afin de limiter ces dérives dénoncées par les audioprothésistes eux-mêmes, il est essentiel que soit mis en place un audit systématique du type d’appareil choisi, de ses réglages et du bénéfice obtenu à l’issue de la période d’essai. Enfin, nous sommes particulièrement préoccupés de l’appareillage de nos aînés vivant en maison de retraite, car leur évolution cognitive en dépend. Ils cumulent les difficultés d’accès au diagnostic de surdité, au médecin prescripteur et sont victimes de démarchages commerciaux abusifs et massifs d’appareillages de classe I sous le prétexte de la gratuité, en dehors de tout contrôle de qualité du service rendu. Pour ces patients, la communauté ORL travaille sur des parcours de soins innovants, intégrant par exemple la télémédecine. »

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