Franck von Lennep : « La réussite de la réforme ne se mesure pas uniquement en nombre d’équipements 100 % Santé mais doit tenir compte de la satisfaction des bénéficiaires »

Le directeur de la Sécurité sociale, Franck von Lennep, dresse le bilan du 100 % Santé en audiologie, un an après son instauration. Et offre quelques réponses aux questionnements de la filière auditive sur le suivi et l'observance, la dissociation, la publicité et le remboursement des produits de classe II. Entretien.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski
Franck von Lennep

Audiologie demain (AD) : Un an après l’entrée en vigueur du 100 % santé en audiologie, quel bilan peut-on dresser ?

Franck von Lennep (FVL) : La réforme du 100 % Santé avait pour objectif de lutter contre le renoncement aux soins par la mise en place de paniers de soins de qualité pris en charge à 100 % avec l’intervention combinée de l’assurance maladie obligatoire et de l’assurance maladie complémentaire dans le cadre des contrats solidaires et responsables.

La réforme a trouvé son public en audiologie, ce dont attestent les chiffres relatifs au déploiement du panier 100 % Santé dans ce secteur :

  • Au troisième trimestre 2021, le nombre d’équipements 100 % Santé dans le total des aides auditives vendues représente 38 %.
  • L’importance prise par l’offre 100 % Santé dans les volumes d’équipements s’est accompagnée d’une hausse des volumes des ventes, sachant que ces derniers ont progressé de 85 % entre le premier semestre 2019 et le premier semestre 2021.
  • Au premier semestre 2021, 385 000 personnes se sont équipées en aides auditives contre 220 000 personnes en 2019.

AD : Lors de notre entretien en février 2021, vous rappeliez que la réussite du 100 % Santé ne pouvait pas être uniquement numérique. Comment garantir la qualité du suivi ? Comment allez-vous vous assurer de la bonne observance ?

FVL : Le 100 % Santé offre aux patients un large choix sur les aides auditives sans reste à charge. Les trois types d’aides auditives sont disponibles dans le panier 100 % Santé : contours d’oreille classiques ou à écouteurs déportés, ou intra-auriculaires, et plus de 200 modèles 100 % Santé sont référencés.

La réussite de la réforme ne se mesure pas uniquement en nombre d’équipements 100 % Santé mais doit tenir compte de la satisfaction des bénéficiaires de ces équipements ainsi que de l’utilisation effective des aides (avec un enjeu sur l’observance notamment). Une réflexion est en cours sur la mise en place d'outils de retour sur la qualité.

La dissociation entre le financement d’un produit d’une part et d’une prestation d’autre part est nécessairement une réflexion qui reste d’actualité.

AD : À plusieurs reprises, la question de la dissociation du prix de l’appareil et de celui du suivi a été agitée. Est-ce un scénario envisagé ?

FVL : Les prix des appareils auditifs tiennent compte du coût global de l’appareil et des prestations de suivi qui doivent être réalisées pour s’assurer que les réglages correspondent bien aux besoins de la personne appareillée. Cette approche globale était notamment l’une des demandes de la profession.

Afin de pouvoir disposer de données permettant de connaître les prestations de suivi réalisées, ces dernières doivent toutefois faire l’objet d’une télétransmission à l’assurance maladie obligatoire. des difficultés, notamment d’ordre technique, avaient en effet pu être identifiées par certains professionnels ; le nombre de prestations de suivi remontées était donc effectivement faible au démarrage de la réforme.

Toutefois, il est en forte progression depuis le début de l’année 2021 : 100 586 prestations de suivi au cours du premier semestre 2021 (contre 20 000 en 2020, NDLR). Les difficultés remontées par les professionnels ont été résolues suite à un rappel des consignes par la cnam et des syndicats de la profession.

La dissociation entre le financement d’un produit d’une part et d’une prestation d’autre part est nécessairement une réflexion qui reste d’actualité, tant sur ce secteur que sur l’ensemble des secteurs pris en charge sur la liste des produits et prestations. Mais il est probablement encore un peu tôt pour réinterroger ce principe de facturation.

AD : De nombreuses voix, notamment le SDA mais également les ORL, s’élèvent contre les publicités commerciales trompeuses, qu’est-il prévu pour encadrer cela alors que le poids de l’audio dans les dépenses publiques augmente de plusieurs centaines de millions d'euros cette année ?

FLV : Ces questions retiennent toute l’attention du ministère de la Santé. La constatation des pratiques commerciales trompeuses relève de la compétence de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCFF). Une enquête nationale a été lancée par la DGCCRF en 2021 sur les secteurs de l’optique et des audioprothèses et a permis la réalisation d’environ 700 contrôles. Le bilan définitif de cette enquête pourra être établi en début d’année 2022, et permettra notamment de constater les anomalies relatives aux pratiques commerciales trompeuses qui auraient pu être relevées ainsi que leur ampleur. Des pistes d’action possibles pourront être envisagées pour y remédier le cas échéant.

AD : À rebours de ce qui se passe dans l’optique, les produits 100 % Santé représentent 40 % des ventes aujourd’hui. Ce pourcentage résulte-t-il d’un effet d’aubaine de certains acteurs comme certains le craignent ?

FVL : Le suivi des taux de pénétration de l’offre 100 % Santé doit être poursuivi. Toutefois, ces chiffres démontrent au contraire que cette réforme répond à des besoins non satisfaits. Le renoncement aux soins en audiologie était important : on estimait que seulement 35 % de la population souffrant d’une déficience auditive était équipée en 2014. Ce renoncement à l’appareillage pouvait notamment s’expliquer par des raisons financières, les équipements étant susceptibles de représenter un reste à charge élevé pour les assurés. Le suivi de l’évolution des taux de recours aux soins permettra d’évaluer attentivement les effets de la réforme sur ce point. Les premières données relatives à l’augmentation des volumes de vente d’appareils auditifs semblent toutefois déjà indiquer que la réforme permet bien à de nouvelles personnes de s’équiper en appareils auditifs.

Il n’est pas prévu d’aligner le remboursement de la classe I sur la classe II. La réforme ne pénalise pas les patients qui souhaiteraient avoir recours à des aides auditives de classe II pour bénéficier d’options supplémentaires de confort.

AD : Par ailleurs, la réforme ne pénalise-t-elle pas les patients nécessitant des aides auditives de classe II ? Ces patients doivent en effet choisir entre un appareil intégralement remboursé mais non adapté ou à devoir s'acquitter d’un reste à charge important pour se procurer la seule catégorie d’appareils qui leur apportera un réel bénéfice. Avez-vous prévu de fixer le remboursement de la classe ii au niveau de la classe I pour améliorer la prise en charge de ce type de patients et permettre le libre choix aux autres ?

FVL : Le panier de soin du 100 % Santé a été établi afin de répondre aux besoins essentiels pour l’ensemble des patients concernés par les indications validées par la Haute autorité de santé dans l’arrêté de nomenclature publié au Journal Officiel. Il n’a donc pas été distingué de pathologies nécessitant des appareils d’une technicité supérieure.

Pour les patients concernés par des pathologies plus lourdes comme certaines surdités de transmission ou les surdités mixtes et pour la restauration de la binauralité dans les surdités neurosensorielles au moins sévères, il existe des appareillages dédiés pris en charge à 100 % par l’assurance maladie obligatoire.

La réforme prévoit par ailleurs que le contenu des paniers 100 % Santé peut être mis à jour afin de tenir compte de l’évolution des gammes des dernières années et ne pas conduire à une bascule progressive de tous les produits dans la classe II. Un travail pourra être engagé dans l’avenir en ce sens en lien avec les acteurs du secteur.

Pour autant, il n’est pas prévu d’aligner le remboursement de la classe I sur la classe II. La réforme ne pénalise pas les patients qui souhaiteraient avoir recours à des aides auditives de classe II pour bénéficier d’options supplémentaires de confort. En effet, elle ne dégrade pas le niveau de prise en charge des aides auditives de ces patients mais permet au contraire de garantir un libre choix entre une offre intégralement prise en charge et une offre à prix libre. Le remboursement par l’assurance maladie obligatoire est identique, mais le niveau de prise en charge des aides de classe II dépend avant tout des garanties proposées par les contrats de complémentaire santé, ce qui peut être un critère de sélection de leur complémentaire par les assurés. La liberté de choix reste ainsi garantie pour l’assuré.

AD : Pensez-vous qu’il faille augmenter le nombre d’audioprothésistes pour prendre en charge la nouvelle cohorte de patients ?

FVL : Cette question fera l’objet d’un traitement dans le cadre des travaux menés par la mission de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Le rapport n’a pas encore été rendu, je ne peux donc pas préjuger des préconisations qui seront formulées par la mission.

AD : Le HCAAM mène un travail de réflexion sur l’articulation entre AMO et AMC. Quel impact auraient les quatre scénarios envisagés sur la réforme ?

FVL : Les travaux du HCAAM sur l’articulation entre AMO et AMC sont encore en cours. Mais le secteur de l’audiologie, et notamment le panier 100 % Santé, repose précisément sur l’action combinée de l’assurance maladie obligatoire et complémentaire. Toute éventuelle évolution de cette répartition entre les deux financeurs devra veiller à préserver les acquis de la réforme du 100 % Santé.

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